Décoloniser le droit

Marine Calmet

Dans cet entre­tien d’une petite cen­taine de pages, la juriste Marine Cal­met dévoile son com­bat quo­ti­dien pour décons­truire et modi­fier ce qu’elle nomme le « droit d’oppresser ». En effet, le droit occi­den­tal, fran­çais ici en l’occurrence, a été conçu et rédi­gé par cel­leux qui nous gou­vernent avec une inten­tion­na­li­té poli­tique pré­cise, à savoir domi­ner les per­sonnes esti­mées infé­rieures et la nature. Celle qui se qua­li­fie plu­tôt d’ethnologue juri­dique s’intéresse prin­ci­pa­le­ment au droit com­pa­ré afin de sai­sir « pour quel hori­zon social est pen­sée une norme ». Et force est de consta­ter que ses constats font mouche grâce à son tra­vail, notam­ment, sur la ter­mi­no­lo­gie choi­sie pour rédi­ger les lois. On connaît le poids et le pou­voir des mots, et dans le domaine juri­dique, ça ne rate pas. Ain­si, elle évoque le terme de « rétro­ces­sion » uti­li­sé par l’État fran­çais concer­nant des terres autoch­tones en Guyane — comme si ces der­nières avaient été cédées par les premier·es habitant·es aux colons — alors que c’est bien d’une « res­ti­tu­tion » qu’il est ques­tion. Si les auto­ri­tés fran­çaises refusent encore à ce jour de modi­fier leur lexique au même titre qu’elles rejettent le qua­li­fi­ca­tif d’« autoch­tone », c’est que celles-ci res­tent encore pro­fon­dé­ment impré­gnées de colo­nia­lisme. Et Marine Cal­met de déplo­rer que, dans ces cir­cons­tances « (…) il faut conclure (…) que le droit fran­çais a été et reste un outil colo­nial. Dans ce type de contexte, réfor­mer le ‘droit de l’oppresseur’ est dif­fi­ci­le­ment envi­sa­geable, car il s’agit d’un rap­port de force biai­sé ». Après s’être pen­chée sur la colo­nia­li­té du droit, elle pour­suit avec ce qu’elle nomme un « droit hors-sol », construit sans aucune consi­dé­ra­tion pour le vivant dans son ensemble, poin­tant ain­si la non-prise en compte tant des humains que des autres qu’humains. S’inspirant du droit cou­tu­mier, elle pro­pose des pistes de réflexion qui, si elles pou­vaient être mises en œuvre, per­met­traient de conce­voir un « droit où l’axiome de base n’est pas l’individu mais le milieu. Un droit fon­dé sur la réa­li­té (des éco­sys­tèmes et des modes de vie) et non pas sur une fic­tion (celle d’un indi­vi­du abs­trait pla­cé au bout de la chaîne ali­men­taire, iso­lé­ment et de façon arti­fi­cielle) ». Évi­dem­ment, cela revien­drait à pro­fon­dé­ment déstruc­tu­rer la socié­té actuelle. Mais le jeu n’en vaut-il pas la chan­delle, s’il s’agit de faire du droit un outil pour pro­té­ger les inté­rêts géné­raux, et plus uni­que­ment ceux des humains, pour réta­blir un rap­port de force éga­li­taire avec les inté­rêts indus­triels et finan­ciers ? Poser la ques­tion, c’est déjà un peu y répondre…

July Robert

Décoloniser le droit
Marine Calmet
Wildproject, 2024

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