Jusqu’à quel point la lutte pour l’usage « juste » d’une langue est-il un moyen de contrôle et de destruction des autres possibles usages d’une langue ? Jusque très loin selon Philippe Blanchet, sociolinguiste à Rennes et auteur de ce Combattre la glottophobie. La glottophobie recoupe l’ensemble des discriminations à prétexte linguistique. Les locuteurs de langues minoritaires rejetées et dites « régionales », (qualifiés de « patois », de « dialectes ») ou des langues d’origines extra-européennes sont particulièrement visés dans un contexte où une langue « officielle » prime. Mais elles touchent également aux manières de parler et concernent alors le rapport à une version de la langue dite « standard » et joue essentiellement comme outil de distinction sociale. Toutes libertés prises avec elle — variations grammaticales, orthographiques, de vocabulaire ou dans l’intonation des mots (les « accents ») — sont brimés, moqués ou férocement combattus. Un exemple récent ? La série belge « Ennemi public » a dû être expurgée de ses « belgicismes » pour pouvoir passer à la télé française. La glottophobie peut s’exprimer à un niveau institutionnel dès l’école ou entre les individus au quotidien. Elle dénote d’une sorte d’hygiénisme linguistique encore bien peu conscientisé, mais que l’auteur arrive à faire sentir par de nombreux exemples. Elle se fonde sur un rêve de pureté. Celui d’une langue unique, intangible et non contaminée par d’autres langues qui justifie une lutte constante contre les « barbarismes ». Une idéologie de standardisation arbitraire de la langue et du monolinguisme à combattre au travers d’un rapport plus généreux et relaxé à la langue, ou plutôt aux langues, à la multiplicité de leurs expressions et variations et au moyen d’une pratique humaniste et plurielle de celle-ci.
Aurélien BerthierDiscriminations : combattre la glottophobie
Philippe Blanchet
Textuel, 2016
Retrouvez une interview de Philippe Blanchet ici