Fragile/s

Nicolas Martin

Vous est-il déjà arri­vé de lire un roman dys­to­pique, d’anticipation ou de science-fic­tion et d’avoir la furieuse impres­sion que le monde dans lequel vous plonge l’auteur·ice pour­rait être le nôtre demain ? Que tout ce qui s’y passe pour­rait adve­nir dans notre socié­té capi­ta­liste hété­ro­pa­triar­cale ? Autre­ment dit, que cette dys­to­pie nous pend au nez ? Cette impres­sion, anxio­gène s’il en est, m’a impré­gnée durant les longues heures pas­sées avec Typhaine et sa famille dans une socié­té fran­çaise hypo­thé­tique, mais furieu­se­ment proche de la réa­li­té. Alors qu’Emmanuel Macron a récem­ment appe­lé au « réar­me­ment démo­gra­phique », dans Fragile/s, Typhaine est élue pour béné­fi­cier du pro­gramme expé­ri­men­tal de « génoem­bryo­lo­gie » mis en place par le gou­ver­ne­ment pour faire face à une vague de nais­sances tou­chées par le « syn­drome du X fra­gile » résul­tant en des enfants au han­di­cap plus ou moins lourd. Après une gros­sesse sui­vie de près, Typhaine accouche d’un enfant « sain », mais très vite se pose la ques­tion de savoir « sain » à quel point… Ain­si, Nolan adopte très vite des com­por­te­ments qui ques­tionnent Typhaine, laquelle va très vite être mise au ban. En effet, ce genre de socié­té n’accepte aucune remise en ques­tion de ses prin­cipes, cela va sans dire. Sous cette chape de plomb d’une socié­té qui bas­cule dou­ce­ment dans la dic­ta­ture, Nico­las Mar­tin tisse un récit fait de vio­lences patriar­cales, raciales et vali­distes qui font peur tant elles paraissent réa­listes. Des acti­vistes qui agissent sous le radar, des poli­ti­ciens dog­ma­tiques, des citoyen·nes soumis·es aux dis­cours réac­tion­naires face aux­quels iels se sentent impuissant·es, les per­son­nages qui émaillent le récit nous confrontent, attisent la colère mais sont aus­si une énorme source d’espoir et d’empouvoirement. Ain­si, l’auteur réus­si la gageure de nous immer­ger dans un récit pro­fon­dé­ment angois­sant, sans pour autant nous lais­ser impuissant·es tant sa lec­ture offre, de manière sub­li­mi­nale, des voies de résis­tance. À la marge, mais elles sont là, et c’est incroya­ble­ment éclairant.

July Robert

Fragile/s
Nicolas Martin
Au diable Vauvert, 2024

Autres Popcorns "Roman & Poésie"