5h34, ce documentaire fleuve dure 5h34 ! Cela peut paraitre une éternité mais en fait, c’est le temps juste et nécessaire pour s’immerger dans l’atmosphère de l’Irak d’avant et d’après-guerre (celle de 2003) ou, devrait-on plutôt dire, de l’Irak d’entre-deux-guerres. Le réalisateur franco-irakien Abbas Fadhel filme sa famille, et notamment sont neveu Haidar, un jeune garçon aussi espiègle que perspicace. On suit du point de vue de cette famille de classe moyenne, le quotidien des Baghdadis sous la dictature paranoïaque de Saddam, les restrictions et rationnement sous l’embargo international, les coupures d’eau et de courant, au milieu des guerres successives. Mais aussi, les préparatifs méthodiques, entre crainte et résignation, à la guerre qui vient. Puis, après les 3 semaines, habilement mises en ellipse, de la blitzkrieg menée par le USA, on accède à la vie d’après. Celle de la chute du dictateur mais aussi celle sous l’occupation US. La « nouvelle Irak » commence (mal) : vols, meurtres et destruction par des gangs de pilleurs s’y multiplient. Haidar sera d’ailleurs fauché par une balle tirée par on ne sait qui, preuve en chair de la déliquescence et de l’entrée dans l’hyperviolence du pays. Corruption, pauvreté et injustices ne font que croître sous l’occupation. On y voit aussi les germes d’une résistance religieuse qui annonce Daesh. Cette saga familiale donne des visages aux habitants d’un pays qu’on a plutôt eu l’habitude de suivre vue du ciel (les fameux écrans verts des missiles s’abattant sur Baghdad) ou de derrière les hummers américains. Ceux des film militaristes à la American Sniper, considérant la population à la manière des Indiens des vieux westerns : comme de dangereux sauvages qu’on peut abattre préventivement sans se poser de questions. Un chef‑d’œuvre intense, saisissant et poignant. Une fresque historique vertigineuse. Un récit populaire qui vient patiemment diffracter les images d’actualité et de propagande des équipes TV embedded qui ont complètement façonné notre regard. Un basculement des points de vue nécessaire pour faire le bilan de 30 ans de Guerre du Golfe et comprendre un peu plus les tragédies qu’a connues et que connait le Moyen-Orient.
Aurélien BerthierHomeland, Irak année zéro
Un film de Abbas Fadhel,
Stalker Production, 2015