
Le I (pour intersexes) de LGBTQI+ est encore trop peu discuté dans la sphère politique et médiatique alors qu’on estime que près d’1,7 % des naissances dans le monde sont concernées. Les enjeux des luttes des militant·es intersexes restent aussi finalement peu connus d’une grande partie des milieux associatifs et militants. Cet ouvrage pionner de la sociologue Michal Raz, accompagnée de l’activiste intersexe Loé Petit (dont le propos ancre l’analyse dans le vécu des premièr·es concerné·es) est très éclairant. Avec les outils des études féministes et queers, Raz revient sur la manière dont certaines variations des caractéristiques sexuelles ont pu être pathologisées au cours du 20e siècle. Elle donne aussi à découvrir les mouvements de luttes émancipateurs, qui ont peu à peu pris de l’importance entre 1990 et 2010 jusqu’à représenter une force capable de s’opposer au pouvoir médical tout puissant. Celui-ci s’est en effet arrogé le droit de définir ce qu’était le « vrai sexe », et définir ces « variations du développement génital » comme des troubles, une anomalie à régler par la chirurgie ou des traitements hormonaux sans se poser de questions (ni en poser à celleux qui deviendront leurs patient·es). Cette histoire est particulièrement dure à lire car elle est faite de mutilations, de dommages physiques irrémédiables et d’une violence psychologique répétée et sournoise. Notamment une culture du secret puisque la plupart du temps, on leur a même caché l’objet des nombreuses opérations qu’iels ont subi et nombre d’entre elleux n’ont découvert la vérité qu’à l’âge adulte ! L’ouvrage montre combien le monde médical, drapé dans ses certitudes et sa vérité statistique, ne s’interroge jamais sur le bienfondé d’opérer/mutiler un enfant et procède d’une idéologie de se conformer à la binarité. Car la plupart du temps, il n’y a pas de bienfaits physiques ni d’urgences médicales qui justifient leurs actes, seulement la supposition que l’enfant vivra mieux en étant assigné·e au maculin ou au féminin. Quant au consentement, les enfants ne sont tous simplement pas consult·és tandis que les médecins imposent leur décision à des parents mal informés et déboussolés. Un livre qui prouve, s’il le fallait, que les catégories du normal et du pathologique construites par le monde médical sont arbitraires et relèvent de critères situés historiquement et socialement, et non d’une vérité biologique ultime.
Aurélien BerthierIntersexes : du pouvoir médical à l’autodétermination
Michal Raz et Loé Petit
Le Cavalier bleu, 2023