Bien moins renommée que ses contemporaines Clara Zetkin ou Rosa Luxemburg, Alexandra Kollontaï n’en demeure pas moins une figure importante de la révolution de 1917 et des luttes féministes portées à bout de bras par quelques-unes à l’époque. La mise en lumière que lui offrent Olga Bronnikova et Matthieu Renault dans leur Kollontaï Défaire la famille, refaire l’amour vient partiellement réparer cette relative invisibilisation. Militante marxiste, Alexandra Kollontaï s’était alliée à Lénine au début de la Première Guerre mondiale pour devenir une personnalité politique importante de la jeune république soviétique russe. Si l’on retient aujourd’hui le 8 mars comme journée de lutte pour les droits des femmes sous l’impulsion de Clara Zetkin, qui sait aujourd’hui que c’est à l’initiative de Kollontaï que les ouvrières soviétiques se sont battues pour obtenir un congé de maternité de dix semaines, pour l’établissement de crèches dans les usines ou encore bénéficier de pauses pour allaiter leurs enfants, combats qui doivent encore aboutir dans de nombreuses sociétés aujourd’hui ?
Mais c’est sur les questions de sexualité, d’éducation et de la famille que s’est investie la militante durant toute sa vie, au point de s’aliéner de nombreux camarades. Et de dénoncer « l’amour-propriété » et son corolaire, « la conception de l’inégalité des sexes dans la sphère psycho-physiologique » dont elle dit qu’ils sont inhérents à la société bourgeoise qu’elle n’aura de cesse de dénoncer pour prôner « l’amour-camaraderie » qu’elle présente comme moyen de transition vers le communisme grâce à une « accumulation des réserves de sentiments sympathiques » pour mener la guerre idéologique en cours.
Accusée d’avoir remplacé la lutte des classes par la lutte des sexes alors que le Parti affirmait que la vraie liberté des femmes dépendait de la fin du capitalisme et non d’une guerre ouverte contre les hommes, Kollontaï ne renoncera jamais, consciente que les critiques auxquelles elle fait face sont la preuve qu’une contre-révolution sexuelle est en marche. Pour remplacer la famille bourgeoise, Kollontaï propose une communalisation de la nature humaine dans une organisation sociétale de laquelle auront disparu les structures familiales. Ce que les deux auteurices qualifient d’« utopie kollontienne » se traduit par une répartition égalitaire du travail, hommes et femmes occupant les mêmes emplois et jouant le même rôle dans l’économie communale et une absence de structure familiale, remplacée par des groupes en fonction des âges.
Au fil de ses écrits transparait deux visions opposées de la morale communiste que Olga Bronnikova et Matthieu Renault égrainent tout au long de leur ouvrage foisonnant et critique qui rend néanmoins un important femmage à Alexandra Kollontaï dont la pensée « contient de manière inextricable ces deux tendances antagoniques, mais rien ne nous empêche aujourd’hui de tenter de les dénouer pour réactualiser le potentiel émancipateur que recèle, dans son inactualité même, la pensée de celle qui fut la plus authentique représentante du féminisme bolchévique ».
July RobertKollontaï - Défaire la famille, refaire l'amour
Olga Bronnikova & Matthieu Renault
La Fabrique, 2024