Sélim Derkaoui et Nicolas Frachon sont les rédacteurs en chef du magazine en ligne de critique sociale Frustration. Par analogie avec le 1984 de George Orwell, ils posent d’emblée que la bourgeoisie veut peu à peu nous priver de mots pour nous empêcher de parler de leur domination. Dans leur ouvrage, magnifiquement mis en page et illustré, les deux auteurs décortiquent avec finesse et humour les termes et expressions utilisés quotidiennement par les hommes et femmes politiques, DRH et journalistes mainstream pour brouiller les frontières de classe et légitimer un ordre social au service de la bourgeoisie. En somme, à l’aide d’exemples, ils nous invitent à nous poser une question salutaire : est-ce que nous ne nous serions pas mis, à notre insu, à parler le bourgeois ? Payer des « charges patronales » plutôt que des cotisations sociales, embaucher un « collaborateur » et non un salarié, engager une « réforme » pour mettre en place une politique néolibérale, sans oublier le recours au mythe des classes moyennes et le remplacement de la pauvreté et de l’exploitation par l’expression « inégalités sociales » qui permet d’avoir l’air de gauche sans parler de la lutte des classes… Ces mots que nous entendons tous les jours ne sont pas neutres, ce sont ceux de la bourgeoisie. Non contente de nous dominer et de nous exploiter, elle nous impose son langage et forge notre représentation de la réalité. Elle vise aussi à culpabiliser les individus pour mieux déresponsabiliser les structures (honni soit celui qui voit un lien avec la gestion actuelle de la pandémie !). Ce manuel de contre-propagande déboulonne la sémantique des adversaires et vise ainsi à renouveler un vocabulaire : celui de la lutte de classes.
Olivier StarquitLa guerre des mots
Combattre le discours politico-médiatique de la bourgeoisie
Sélim Derkaoui et Nicolas Frachon,
Le passager clandestin, 2020