
L’essayiste Frédéric Joly consacre un livre passionnant au philologue de culture juive Victor Klemperer, l’auteur de LTI, la langue du IIIe Reich, une œuvre majeure qui décrypte l’emprise du régime nazi sur la société allemande, à travers la manipulation de la langue (LTI est disponible chez Pocket, coll. « Agora »). Protégé, si l’on ose dire, de la déportation par son mariage avec une femme « aryenne », Klemperer a, dès 1933, consigné dans son journal ses remarques et analyses relatives à la corruption langagière opérée par la propagande hitlérienne. LTI (comme Lingua Tertii Imperii) fut publié en 1947, plutôt discrètement, dans une Allemagne alors sous occupation soviétique… On peut néanmoins estimer, à l’instar de Joly, qu’Orwell aura sans doute pris connaissance du travail de Klemperer pour élaborer le néo‑parler de son roman 1984, publié l’année suivante.
La langue confisquée résonne particulièrement aujourd’hui, à une époque d’appauvrissement et de standardisation des langues. Car si les mots disent bel et bien la vérité de leur temps (c’est
le fondement de l’œuvre de Klemperer), il serait alors urgent de résister aux slogans des différents populismes, qu’ils soient politiques, médiatiques ou publicitaires. Réduire le sens des mots,
voire en interdire certains, c’est à coup sûr réduire le champ de la pensée critique.
La langue confisquée. Lire Victor Klemperer aujourd’hui
Frédéric Joly
Premier Parallèle, 2019