Décédée en 2018, l’historienne et militante Suzanne Citron est une personnalité encore peu connue bien qu’elle ait révolutionné une certaine façon de penser l’histoire et tout ce que ses récits charrient. En témoigne ce manuscrit récemment publié par les Éditions de l’atelier, « Légataires sans héritage. Pensées pour un autre monde ». Rédigé en 1978, il n’avait pas suscité l’enthousiasme parmi les éditeur·ices auxquel·les Suzanne Citron l’avait soumis. Historienne de formation et militante anticolonialiste, elle y construit pourtant une pensée dont nous devrions pouvoir nous inspirer afin de décloisonner nos imaginaires et contribuer à un monde plus inclusif. Elle y prône l’altérité culturelle et les mémoires plurielles en dénonçant le monopole de l’élite sur le monde en offrant de sérieuses pistes pour saisir le monde dans sa globalité et pas uniquement sous le prisme des lettré·es. Elle convoque la « mémoire anthropienne », celle de l’homme en tant qu’espèce dont elle dit qu’elle a été refoulée par la mémoire des classes supérieures. Saisir le monde sous l’angle de cette nouvelle mémoire permettrait d’en saisir la globalité. Ainsi explique-t-elle : « La mémoire historique est inséparable d’une sorte de génocide culturel (inconscient), parce qu’elle a exclu de son champ et de sa perception les illettrés, voués aux tâches manuelles, à la rusticité. Son cheval de bataille ? Le système éducatif qu’elle dit organisé pour reproduire la domination de la bourgeoisie et empêcher l’émancipation sociale. Et qui crée un « abîme entre ces savoirs supérieurs, construits à partir de la coupure originelle, cette culture rationnelle des hautes couches lettrées, et la culture du vécu enregistrée dans la mémoire anthropienne ». Suzanne Citron nous invite à repenser notre système de valeurs afin que puisse y être intégrée la nécessité de reconquérir l’espace et le temps et ainsi sortir l’histoire telle que nous la raconte le récit façonné par les élites qui en ont manipulé les symboles à leurs fins. Elle nous emmène, au fil de ses pensées, dans une nouvelle perspective de l’héritage culturel occidental et ouvre des pistes de destruction du récit historique hégémonique pour « devenir une force de proposition et de pression, qui aide à prendre des pouvoirs là où c’est nécessaire pour changer non pas ’la vie’ (formule abstraite et trop ambitieuse), mais ’quelque chose à la vie’, immédiatement ».
July RobertLégataires sans héritage – Pensées pour un autre monde
Suzanne Citron
L’Atelier, 2023 (Rééd. 1978)