L’intrigue de ce livre pourrait être résumée simplement s’il ne s’agissait pas d’un livre d’Alain Damasio. L’on dirait alors que, dans une dystopie, l’auteur nous emmène dans une ville française privatisée en 2040. Dans cette histoire, un père refuse de croire à la mort de sa fille disparue. Elle serait partie de plein gré rejoindre les furtifs, des êtres dont elle aurait pris la forme.
Alors, je n’avais jamais lu Alain Damasio, et visiblement dans le milieu de la science-fiction c’est un nom, d’aucuns semble-t-il, trouvent d’ailleurs ce roman un peu faible. Autant dire qu’après avoir entendu cela, je me suis ruée sur ses anciennes productions. Parce qu’ouvrir ce livre, c’est entrer dans un monde, certes dystopique mais dont il parait plus que probable qu’il advienne, tant il envahit déjà nos vies et nos sociétés : des villes privatisées, rachetées par des multinationales, auxquelles le citoyen-client paye des droits d’accès pour emprunter les rues, hyper-connecté y compris pour anticiper le désir, quel qu’il soit. Ce livre est une alerte et une dénonciation puissante de la société de la technologie, du contrôle, de la consommation et donc éminemment politique. Ça confronte et ça peut irriter. Mais au-delà de la dénonciation, Alain Damasio nous emmène dans des possibles, des résistances et îlots de constructions de mondes nouveaux. Un livre politique et fortement ancré idéologiquement donc, mais il est bien plus que ça, car c’est aussi un livre philosophique questionnant l’humain et son besoin de maitriser le monde, la terre, les êtres qui l’habitent, quand il prend connaissance de cet inconnu, le furtif. Le furtif, cet être hors cadre connu, interroge notre rapport au vivant. Et finalement, c’est un magnifique roman d’amour, celui qu’un père et une mère peuvent porter à leur enfant. Comme s’il ne suffisait pas de ces registres politiques, philosophique, existentiel, Alain Damasio use, dans un roman polyphonique, dans laquelle la langue de chaque personnage a sa singularité. Et d’une langue follement délectable, où le son prend part à l’intrigue et est toujours poétique. Où les mots sautillent, s’enfilent, s’envolent, savoureux et justes. Courez le lire !
Anne-Lise CydzikLes furtifs
Alain Damasio
La Volte, 2019