
Évoquer la Shoah, c’est toujours se confronter à une question morale à la hauteur de ce que fut un holocauste qui a changé la perception du mal et, donc, de l’humanité. Comment rendre compte d’un tel évènement, après quoi plus rien n’a jamais été comme avant ? L’affaire se corse encore quand on choisit la fiction et le dessin comme médium. C’est la toute première qualité de Nadia Nakhlé que d’avoir su choisir l’exacte distance entre son récit fictionnel et l’Histoire. Le génocide nazi se dresse en arrière-plan, n’est guère frontalement abordé mais guide cependant toute la narration. On n’échappe pas à une aussi terrible entreprise. Qui, en l’occurrence, sépare deux enfants juifs, un frère, Dorian et sa sœur Anna qui n’aura de cesse de le chercher. Car son amour la hante et son absence la déchire. Elle est musicienne, jouer, c’est résister. Dorian écrit. Et le récit est ainsi scandé par la musique – les chapitres sont autant de mouvements – et les poèmes. Sans plus se voir, frère et sœur communiquent sans cesse, leurs lettres sont espoir, déchirure, regrets, culpabilité et questions – pourquoi ai-je survécu ? Le style de Nadia Nakhlé est pénétrant et d’une finesse telle que l’on ne qu’être emporté dans le tourbillon des sentiments évoqués. Et de la musique des Notes Rouges, composition attribuée à Anna, de la partition de laquelle la BD donne un aperçu et dont on peut écouter quelques notes ici. Finesse et beauté encore d’un dessin, presque retenu, d’une sobriété adéquate à son sujet et dont les couleurs codent le temps, passé et présent. Reste à déplacer le marque-page rouge au gré de votre lecture et, vous en saisissant, à sentir sous vos doigts le ruban qui noue les cheveux d’Anna…
Jean-François Pontegnie
Les notes rouges
Nadia Nakhlé
Delcourt, 2024