
À Burnington, une ville perpétuellement enneigée et plongée dans la nuit, vous incarnez un enfant entouré de personnages sinistres échappés d’un film expressionniste et habités d’une bonne humeur forcée. Dans cette ambiance morbide, vous allez passer les trois heures que dure le jeu devant une cheminée dans laquelle vous allez brûler toutes sortes d’objets. Perspective absurde et jeu qui n’en est pas un ? Tout à fait. À moins que…
À la fin de décennie 2000 un nouveau modèle économique s’est imposé dans les jeux vidéo sur mobile et Facebook : le free-to-play ou F2P. Soit des jeux gratuits à télécharger et à jouer mais remplis de mécanismes pour inciter le joueur à y consacrer de nombreuses heures. Ce temps assure aux compagnies des revenus grâce à la publicité mais surtout grâce aux données générées par les actions des joueurs et à l’incitation à de petits achats par la frustration. Un modèle qui rencontra un succès inouï, illustré notamment par les emblématiques Farmville (Zynga, 2009) et Candy Crush Saga (King, 2012).
Si ce genre de jeu a depuis perdu de son importance, son architecture de gameplay et son modèle de rentabilité fondé sur l’économie de l’attention, a perduré et s’est répandu dans d’autres médias, comme le montre par exemple Netflix. Rendant le propos de Little Inferno — nous retenir dans une activité visiblement dénuée de sens mais étonnamment satisfaisante — plus pertinent que jamais. Construit sous la forme d’une mise en abîme particulièrement audacieuse, le jeu de Tomorrow Corporation ose le délicat mélange d’ennui, de fascination et de réflexion sur son sujet sans jamais sortir de son gameplay radical. Un titre audacieux qui mise sur l’intelligence du joueur pour lui proposer une expérience troublante où tout déraille au ralenti pour finalement le confronter à lui-même.
Julien AnnartLittle Inferno
Tomorrow Corporation
2012
Supports : Wii U, Nintendo Switch, PC, Mac et mobile