
Si les récits sur l’immigration italienne en Belgique ne manquent pas ces dernières années, celui de Carmelo Virone prend un angle original : le parcours de Margherita, sa mère, restée de longues années au pays avant de fouler le sol belge pour rejoindre son mari au mitan du 20e siècle. Ce faisant, il la sort de l’oubli, en lui demandant de raconter son histoire, son vécu, son exil. Le livre se base sur de multiples entretiens que l’auteur a menés avec sa mère au crépuscule de sa vie. Il a recueilli minutieusement ses souvenirs qu’il nous restitue, mêlant discrètement sa propre voix à la sienne. Cette histoire familiale commence à Favara, un village proche d’Agrigente. Haut perché, Favara vit essentiellement de l’agriculture et de petits négoces. Ses habitant·es connaissent le dénuement total et la faim. Margherita décrit la vie quotidienne des villageois·es en Sicile, l’omniprésence de la religion et des traditions, les rituels amoureux très encadrés, le contrôle social serré. Elle évoque également la période fasciste, le voisinage avec la mafia, la Seconde Guerre mondiale. Mais aussi la situation des femmes et des enfants, ainsi que les relations familiales. Le récit laisse aussi une belle place aux nuances apportées par la langue natale au travers de l’évocation des comptines et chansons que lui murmure sa mère. Carmelo Virone inscrit la vie de Margherita dans une perspective collective, il décrit les mouvements d’exil actuels, tout en mesurant les spécificités qui ont forgé les destins des sien·nes. Mais surtout il transmet son récit en ne mettant aucune barrière aux émotions qu’il suscite chez elle et chez lui. Expressions du visage, tonalité de la voix de sa mère, sentiments : le texte rend bien toute la charge émotionnelle et transgénérationnelle d’un parcours de migration.
Sabine BeaucampMargherita : une enfance sicilienne
Carmelo Virone
Le Cerisier, 2024