
« Sait-on assez où risquent de nous mener collectivement les petites lâchetés de chacun d’entre nous ? » Voici la question posée en filigranes dans Matin Brun, court récit dystopique d’une dizaine de pages rédigé par l’écrivain et poète français Franck Pavloff. Le « brun » qui englue le récit fait référence à celui des chemises brunes de la SA nazie. Cette nouvelle ne s’embarrasse pas d’une mise en contexte et nous plonge d’emblée aux côtés du narrateur – qui n’a pas de nom, peut-être nous ? – et de son ami Charlie qui suivent sans trop broncher les nouvelles lois absurdes décidées par « l’ État brun », métaphore d’un régime fasciste. Charlie annonce que son chien a été piqué, faute d’être brun. Un mois auparavant, l’État avait décrété la suppression des chats qui n’étaient pas bruns, en justifiant cette décision par leur surpopulation, et par le fait que les bruns s’adapteraient mieux à la vie citadine, auraient des portées peu nombreuses et mangeraient beaucoup moins. Puis ce fut au tour du journal quotidien de la ville d’être supprimé et du rayonnage des bibliothèques d’être fortement aéré. Franck Pavloff a rédigé cette nouvelle à fin des années 1990, révolté par la poussée de l’extrême droite en France. Près de trois décennies plus tard, ce récit universel est plus que jamais d’actualité. Les démocraties chancellent face à la montée des régimes autoritaires partout dans le monde. Matin brun nous interroge sur la manière nous souhaitons agir et nous exhorte à l’engagement. Depuis 1998, le livre a été tiré à plus de deux millions d’exemplaires, traduit dans une vingtaine de langues. Il est réédité chaque année, et tant que la menace brune sera là.
Coraline BurreMatin brun
Franck Pavloff
Cheyne, 2024