Mon vrai nom est Elisabeth

Adèle Yon

Mais qui donc est Bet­sy ? Per­sonne ne le sait vrai­ment. C’est celle dont on ne pro­nonce pas le nom dans la famille, celle qui figure dans l’arbre généa­lo­gique mais que l’on vou­drait y effa­cer. Celle qui dérange, sans que l’on sache vrai­ment pour­quoi — parce que plus per­sonne ne s’en sou­vient, ou parce que tout le monde a pré­fé­ré oublier. Bet­sy, c’est l’arrière-grand-mère de l’autrice de ce livre. Consciente qu’un mys­tère plane autour de la san­té men­tale des femmes de sa lignée, elle enquête : elle inter­roge, confronte les récits, fouille les archives fami­liales. Et tout finit par conver­ger vers Bet­sy. Jusqu’à ce que la véri­té tombe : Bet­sy a été lobo­to­mi­sée. Offi­ciel­le­ment pour schi­zo­phré­nie. Offi­cieu­se­ment, parce qu’elle déran­geait ; parce qu’elle ne ren­trait pas dans les cases ; parce qu’elle ne cor­res­pon­dait pas à ce que son époque exi­geait d’une femme. Comme des cen­taines d’autres femmes, pas­sées sur la table d’opération : élec­tro­chocs, comas insu­li­nique pro­vo­qués, et, en der­nier recours, l’ouverture du crâne — pour reti­rer, selon des méde­cins convain­cus d’avoir rai­son, ce qui ne fonc­tion­nait pas. Au 20ᵉ siècle, la psy­chia­trie fut trop sou­vent le cache-sexe du patriar­cat. Mon vrai nom est Éli­sa­beth est un livre inclas­sable : récit intime, enquête scien­ti­fique sur le cer­veau et les troubles psy­chia­triques, cor­res­pon­dances fami­liales, plon­gée dans une époque où la « norme » — celle des domi­nants — ne se dis­cu­tait pas. Un livre bou­le­ver­sant, qui rap­pelle à quel point ces vio­lences ne sont pas si loin­taines, et pour­quoi les luttes pour l’égalité res­tent indis­pen­sables. À bien des égards, la socié­té d’aujourd’hui demeure un monde ima­gi­né par les hommes et pour les hommes. De nom­breux ver­rous res­tent encore à faire sauter.

Pierre Vangilbergen

Mon vrai nom est Élisabeth
Adèle Yon
Le Sous Sol, 2025

Autres Popcorns "Lecture"