Déranger. Si l’on s’en réfère au Larousse, ce verbe signifie « embrouiller l’ordre ; bouleverser ; gêner le cours normal de quelque chose ; contrecarrer un ordre établi ». Dérangé. Le public assistant à ce qu’il pense être une lecture d’extraits du roman Mon vrai nom est Élisabeth d’Adèle Yon l’est, incontestablement. La tournure de ce qui est en train de se dérouler sur scène est-il scénarisé ? Rien de ce qui se passe là n’est approprié à un lieu de culture feutré. Ce qui se joue est-il normal ? Cette femme sur scène est-elle dérangée ? Souffre-t-elle de troubles psychiques elle-même, comme l’héroïne du récit qui nous réunit ? Peut-être lui donne-t-on accès à l’espace scénique pour nous montrer que chacun·e y a sa place ? Mais, quand même, faut-il endurer cela ? Est-ce bien convenable ? Une spectatrice crie qu’il faut lui venir en aide. Quelques autres quittent la salle, incapables de supporter le malaise, tournant au mal-être. Mal-être du public répondant en écho à celui présent sur les planches. Au fil de moments d’interview menée par l’autrice Colombe Boncenne, d’extraits lus par Adèle Yon et Liora Jaccottet et de vidéos, le public rencontre Élisabeth, arrière-grand-mère d’Adèle Yon, diagnostiquée schizophrène à tort, internée de force, première femme lobotomisée en France, à la demande de son propre mari (voir chronique du livre). Femme libre – jugée trop excentrique et différente — Élisabeth subira, comme des milliers d’autres femmes, la violence systémique de cette société ultra patriarcale, loin des regards, derrière les murs blancs d’une chambre d’hôpital psychiatrique. Cette performance littéraire dérange car elle questionne les conventions sociales attendues et la place laissée à folie dans notre champ de vision. Elle interroge notre nous le plus profond. Aurions-nous toutes été des Élisabeth ?
Mon vrai nom est Élisabeth
Adèle Yon, Colombe Boncenne & Liora Jaccottet
L’intime Festival, 2025