Carl Meffert – qui prendra le nom de Clément Moreau lors de son exil en Suisse, en 1933 – s’est installé à Berlin dans les années 20, après avoir été en prison pour participation à la révolution spartakiste. Il y devient artiste graveur. Élève de Käthe Kollwitz, il s’inscrit dans la lignée des grands linograveurs protestataires à la suite de Frans Masereel. En tant que Membre de l’Association révolutionnaire des artistes plasticiens, il va témoigner, comme d’autres artistes du moment (Grosz, Dix) de la situation sociale dans l’Allemagne de Weimar mais avec une plus grande proximité avec les situations concrètes d’un peuple voué au chômage, à l’autoritarisme et à la violence des groupes d’activistes nazis. C’est en Argentine, où il continuera son exil, qu’il va confectionner Nuit sur l’Allemagne, son œuvre majeure. Cette suite de 107 linogravures conçue en 1937 – 38 est tirée de l’expérience personnelle de Clément Moreau. Mais aussi de ce que l’on connait des derniers jours d’Erich Mühsam. Après l’incendie du Reichstag, cet écrivain anarchiste fut arrêté et pendu par les gardes S.S. dans la nuit du 9 au 10 juillet 1934, dans les latrines du camp d’Oranienburg. À travers l’histoire de ce militant pourchassé, emprisonné, torturé, qu’on veut pousser au suicide et que l’on « suicide » mains liées dans le dos, est également évoquée celle de la pénétration dans tous les recoins de la société et des esprits de la domination nazie, fondée sur la délation, la suspicion, l’arbitraire, le dressage et la violence nue. Le cadrage inspiré de la photographie et du cinéma donne des images proches de l’expressionnisme allemand avec des visages tordus de douleur de peur ou d’exaltation fanatique. Une puissante (re)découverte grâce aux éditions Plein Chant d’un ouvrage difficile à trouver et qui n’avait jamais encore été traduit en français.
Olivier StarquitNuit sur l’Allemagne – 107 linogravures des années 1937-1938
Clément Moreau
Plein Chant, 2018