Ce n’est pas parce que c’est impossible qu’il ne faut pas y réfléchir, expérimenter et chercher d’autres manières de faire. C’est sur cette base que Françoise Vergès invite à repenser l’institution muséale dans son ouvrage Programme de désordre absolu. Pourquoi la décolonisation du musée occidental est-elle impossible ? Pourquoi n’est-il pas suffisant d’exposer plus de diversité sur les murs, d’offrir des visites guidées pensées et réfléchies sur base de l’histoire coloniale de nos pays ou encore de parler de préservation ? Pourquoi une véritable analyse critique ne permettrait-elle pas de décoloniser nos musées ? Parce que cette décolonisation ne passe pas uniquement par les collections exposées et la manière de les présenter, mais aussi par la création « d’un lieu où les conditions de travail de celleux qui nettoient, gardent, cuisinent, font de la recherche, de l’administration ou de la production sont pleinement respectées, où les hiérarchies de genre, de classe, de race, de religions sont contestées ». Dans cette impossible décolonisation, l’autrice pointe également le fait que pour prétendre récupérer un objet pillé, volé ou acquis malhonnêtement par une institution ou un particulier, le groupe, la communauté, le peuple volé doivent négocier sa restitution à l’intérieur du droit qui les a dépossédés de leur propriété. Le musée est et reste un terrain de batailles idéologique, politique et économique. Son « programme de désordre absolu », selon la formule consacrée par Franz Fanon dans Les damnés de la Terre, « nous invite à nous informer des luttes, si ‘’petites et mineures’’ soient-elles, pour la dignité et la vie, à apprendre de ces luttes, à nous organiser et à mener un travail d’imagination urgente, en réactivant des utopies émancipatrices et pragmatiques et en continuant à créer des institutions post-racistes, post-patriarcales et post-capitalistes ».
July RobertProgramme de désordre absolu - Décoloniser le musée
Françoise Vergès
La Fabrique, 2023