Quand tombent les aiguilles de pin

Katsi’tsakwas Ellen Gabriel

Les récits de la lutte des popu­la­tions autoch­tones pour la défense de leurs terres ances­trales demeurent bien rares dans les pays occi­den­taux. S’ils font l’objet d’une mise en lumière dans cer­tains milieux mili­tants, peu nom­breux sont les médias qui les visi­bi­lisent et osent dénon­cer les poli­tiques colo­niales tou­jours à l’œuvre dans de nom­breuses régions du monde. En outre, lorsqu’elles sont média­ti­sées, ces luttes le d’une voix exté­rieure, qu’elle soit jour­na­lis­tique, uni­ver­si­taire ou aca­dé­mique. Dans Quand tombent les aiguilles de pin, la parole est à une pre­mière concer­née et c’est ce qui fait de cet ouvrage un objet aus­si unique qu’essentiel. Katsi’tsakwas Ellen Gabriel est la figure emblé­ma­tique de la résis­tance Mohawk à proxi­mi­té de Mont­réal dans les années 1990. C’est avec elle que l’historien Sean Car­le­ton s’est entre­te­nu pour lui per­mettre de racon­ter le siège de Kanehsatà:ke et de Kahnawà:ke (appe­lé éga­le­ment la « crise d’Oka ») de son point de vue de femme autoch­tone, une démarche édi­to­riale inédite et sal­va­trice. Durant l’été 1990, la com­mu­nau­té Kanehsatà:ke se mobi­lise contre un pro­jet de déve­lop­pe­ment rési­den­tiel et de construc­tion d’un ter­rain de golf sur des terres où se trouve, notam­ment, un cime­tière mohawk. Les membres de la com­mu­nau­té décident de blo­quer, sym­bo­li­que­ment, un che­min de terre secon­daire afin d’informer les gens de leur lutte ter­ri­to­riale et des rai­sons de leur oppo­si­tion au pro­jet colo­nial mené par les auto­ri­tés cana­diennes. Katsi’tsakwas Ellen Gabriel est rapi­de­ment nom­mée porte-parole de cette lutte puisqu’elle est tri­lingue (Mohawk, fran­çais et anglais), ce qui lui per­met de s’adresser tant aux médias qu’aux auto­ri­tés, aux poli­ciers et aux habitant·es. Mais aus­si parce que les femmes ont un rôle pri­mor­dial dans sa com­mu­nau­té, celui de pro­té­ger le ter­ri­toire. Au micro de Car­le­ton — dont il faut sou­li­gner la démarche lui qui affirme que son but « était plu­tôt de céder mon pou­voir et mon auto­ri­té en tant que cher­cheur pour créer un espace où la lumière d’Ellen puisse briller » — Katsi’tsakwas Ellen Gabriel raconte la manière dont les médias ont trans­for­mé leur lutte de libé­ra­tion en un acte cri­mi­nel. Mais aus­si com­ment le gou­ver­ne­ment, alors mais encore aujourd’hui, ren­force conti­nuel­le­ment le sté­réo­type de l’« Indien sau­vage ». Si le siège a duré 78 jours à l’époque, Katsi’tsakwas Ellen Gabriel affirme qu’aujourd’hui encore, la lutte se pour­suit « La résis­tance a sans doute trans­for­mé les rela­tions entre le Cana­da et les peuples Autoch­tones, mais Kanehsatà:ke n’a pas ces­sé son com­bat contre la dépos­ses­sion. Nous avons encore per­du plus de terre depuis. C’est une his­toire sans fin. Mal­gré les nom­breuses réper­cus­sions de notre lutte, qui en a nour­ri d’autres de bien des façons, il reste encore beau­coup de che­min à faire avant de résoudre les enjeux ter­ri­to­riaux his­to­riques du Cana­da ». Alors que les guerres colo­niales et géno­ci­daires font tou­jours rage, Quand naissent les aiguilles de pin vient ajou­ter un peu d’huile au mou­lin de la réflexion sur la manière dont nous, allié·es, pou­vons être force de soutien.

July Robert

Quand tombent les aiguilles de pin
Une histoire de résistance Autochtone
Katsi’tsakwas Ellen Gabriel
Remue-ménage, 2025

 

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