Queer

Inès Liotard & Philippe Liotard

S’il est un mot dont on entend rare­ment, si ce n’est dans quelques sphères mili­tantes, qu’il devrait être tra­duit, c’est bien le terme queer. Et pour­tant, les angli­cismes ont rare­ment la cote dans le monde fran­co­phone. D’ailleurs, sa défi­ni­tion aus­si reste tou­jours floue, alors que nous vivons dans un monde nor­mé à outrance. Mais n’est-ce pas jus­te­ment là sa force ? Il file, il se dérobe, il s’invente et se réin­vente au fil des époques et des luttes comme nous le racontent si clai­re­ment Inès et Phi­lippe Lio­tard. Du retour­ne­ment du stig­mate à son ori­gine à son carac­tère déviant reven­di­qué aujourd’hui, l’utopie séman­tique reste son fon­de­ment. Par sa seule énon­cia­tion, il per­met de défi­nir, de se défi­nir, mais aus­si d’agir sur ce qui est comme un « mot mani­feste » tel que les deux auteu­rices le qua­li­fient. Et c’est jus­te­ment parce qu’il n’est pas tra­duit, voire intra­dui­sible, et peu défi­nit, qu’il reste attrac­tif pour toustes cel­leux qui sont à la marge des fron­tières du genre, mais aus­si de la sexua­li­té. Ce qu’iels nous explique, c’est que dans le monde fran­co­phone, queer par­ti­cipe à l’émergence d’une uto­pie séman­tique. Qu’il per­met de détour­ner les savoirs et les hori­zons tels qu’ils nous sont pré­sen­tés et qu’il est effi­cace parce qu’il « contient et véhi­cule un triple poten­tiel de décons­truc­tion des normes de genre, de sexua­li­té et de savoir ». Il s’agit d’identité puisqu’il per­met de décrire ce qui ne pou­vait l’être grâce à aucun autre mot, mais aus­si de poli­tique puisqu’il pro­pose un pro­jet d’émancipation. En remet­tant en cause les fon­de­ments des normes et des savoirs, il offre un poten­tiel d’appropriation et de ques­tion­ne­ment essen­tiel aux per­sonnes qui s’inscrivent dans un pro­ces­sus de dési­den­ti­fi­ca­tion aux iden­ti­tés qua­li­fiées de natu­relles pour s’écarter des clas­si­fi­ca­tions éta­blies. Mais aus­si, et sur­tout, pour s’auto-identifier. Le terme queer dérange et fait peur puisqu’il dévie de la tra­jec­toire rec­ti­ligne impo­sée par les domi­nants et intègre les avan­cées de luttes des mino­ri­tés sexuelles et de genre tout en y asso­ciant les com­bats fémi­nistes, anti­ra­cistes et anti­ca­pi­ta­listes. Il per­met sur­tout à ces mino­ri­tés de se dire et d’affirmer leur pré­sence par-delà les codes tout en impo­sant, depuis leur point de vue situé, un ques­tion­ne­ment, mais aus­si de nou­veaux savoirs et de nou­velles esthétiques.

July Robert

Queer
Inès Liotard & Philippe Liotard
Anamosa, 2025

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