
De Soleil vert, la mémoire collective retient surtout le film, glaçant, de Richard Fleischer (Soylent Green, 1973). L’histoire ? La nôtre. Du moins si rien n’est fait pour enrayer la machinerie infernale : démographie explosive, destruction de l’environnement par le productivisme, chômage galopant, pénurie de logement, accaparement des (dernières) richesses par une caste dominante repliée dans des cités-bunkers… Dans une brume permanente (le filtre jaunâtre de la pellicule qui traduit la pollution suffocante), 44 millions d’individus survivent dans le New York de 2022. Un flic (encore) intègre mène l’enquête sur un meurtre commis dans les beaux quartiers. Enquête qui le conduira à sa propre perte lorsqu’il découvre… l’inconcevable. Voilà pour le film. Parlons maintenant du livre de l’américain Harry Harrison, publié en 1966. Depuis longtemps introuvable, hormis chez les bouquinistes, il reparaît ces jours-ci en format poche dans une nouvelle traduction. Une aubaine ! Car le roman est une alternative réelle à son adaptation cinématographique. Son titre original Make Room ! Make Room ! (« Faites de la place ! ») n’a d’ailleurs rien à voir avec le titre français utilisé, à l’origine, pour des raisons publicitaires à la sortie du film. Ici, pas de climax vers une révélation saisissante. Mais juste un roman noir de science-fiction (situé à New York mais en 1999) qui propose une description clinique d’un monde en perdition où règnent misère de masse, conflits de la faim et surpopulation. Harrison, plutôt connu pour sa SF satirique, voire humoristique, délaisse toute légèreté, tout espoir, pour nous faire partager la vision d’un futur proche la plus pessimiste qui soit. Et l’on serait bien en peine de contredire la logique interne de ce roman aussi sombre que passionnant. Les naïfs diront que ce futur n’est finalement pas arrivé ; les collapsologues, eux, ont trouvé leur roman culte !
Denis DargentSoleil vert
Harry Harrison
J’ai Lu, 2016