
Spec Ops : The Line, un jeu d’action allemand sorti en 2012, échec commercial à sa sortie mais succès critique construit dans le temps depuis. Il vous fait incarner un peloton des forces spéciales américaines envoyé à Dubaï après une tempête de sable apocalyptique. Le début rassure le joueur qui retrouve des habitudes imposées par le succès de la franchise Call of Duty (Activision, depuis 2003) : héroïsme, impérialisme, valorisation de la violence et de la torture. Mais très vite, cette routine se grippe. Le jeu glisse imperceptiblement du plaisir, cruel mais courant dans les jeux d’action, à une ambiance oppressante pour le joueur. Car Spec Ops est l’adaptation de la nouvelle de Joseph Conrad Au cœur des ténèbres (1899). Ainsi que, officieusement, du film de Francis Ford Coppola Apocalypse Now. Ce qui ne doit rien au hasard tant le jeu tente, comme la Palme d’or de 1979, d’utiliser les codes hollywoodiens pour mieux les dynamiter, de s’en prendre aux succès militaristes des années 2000 pour leur opposer un discours radical contre la guerre. Là réside toute sa force et sa réussite, en ce que son histoire et son gameplay, la manière d’y jouer, retournent la violence contre ceux qui la produisent. Aussi bien les militaires que le joueur lui-même puisque, c’est l’originalité du jeu vidéo par rapport aux autres médias, il participe pleinement à produire la violence. Une scène parmi d’autres illustre cela. À la manière du quatrième épisode de Call Of Duty, Spec Op : The Line vous donne à jouer un bombardement d’ennemis. Mais il vous force ensuite à traverser le champ de bataille résultant de notre attaque et à nous confronter aux innombrables cadavres calcinés et aux blessés horriblement brûlés qui nous supplient de les achever, dont une bonne partie s’avère être des civils… Un jeu brillant, pas exempt de défauts mais qui parle avec virulence et audace de ce que l’héroïsme, la virilité toxique, la guerre et sa représentation font aux individus.
Julien AnnartSpec Ops : The Line
Développé par Yager
2K Games, 2012