Écriture inclusive ou pas écriture inclusive ? Encore faut-il vraiment comprendre de quoi on parle et quels sont les enjeux auxquels viennent répondre les différentes interventions dans la langue qui s’attaquent aux genres, le genre des personnes et le genre grammatical. Avec Tenir sa langue — Le langage, lieu de lutte féministe, Julie Abbou nous permet de prendre de la distance quant aux éternelles polémiques : invisibilisation du féminin contre lisibilité des textes et difficulté d’oralisation (le fait de pouvoir dire à haute voix un texte). L’autrice reprend et distingue les différentes pratiques et techniques – qu’elle qualifie même de technologies car, elle l’explique, toute écriture est une technologie – en les replaçant dans l’histoire. Parce qu’en effet, si les polémiques semblent récentes, le langage comme lieu de lutte, notamment féministe ne date pas d’hier. Pour les personnes qui s’y perdent, ce livre est précieux parce qu’il fournit une synthèse engagée, éclairante, sans être trop didactique. Pour les personnes qui ont l’impression d’avoir déjà tout lu sur la question, ce livre est précieux parce qu’il prend de la hauteur, réfléchissant sur les liens entre la langue et le réel, citant de Beneveniste à Lao-Tseu en passant par Monique Wittig en autres ; parce que la perspective historique nous livre des généalogies surprenantes où l’on apprend par exemple l’origine religieuse et protestante de la notion de « langage inclusif » qu’on hésitera désormais à utiliser, privilégiant peut-être d’autres formes comme la féminisation du langage ou la démasculinisation, l’adoption d’écriture non sexiste… Enfin, ce livre a le grand mérite de repolitiser des pratiques qui n’ont pas vocation à devenir de nouvelles normes, mais à alimenter sans cesse, par des bricolages permanents, un tumulte dans la langue qui est aussi un acte de résistance aux pouvoirs.
Valentine BonomoTenir sa langue - Le langage, lieu de lutte féministe
Julie Abbou
Les Pérégrines, 2022