
Malcom Ferdinand, philosophe et ingénieur en environnement, signe ici un essai qui pousse le lecteur à repenser sa perception du monde et des enjeux écologiques à la lumière d’un des commerces les plus violents qu’ait connu l’humanité : la traite négrière. Au départ de celle-ci est né un rapport au vivant dont les traces sont perceptibles jusque dans les combats environne- mentaux contemporains, qui abandonnent dans la cale du monde, les vivant·es, humain·es et non humain·es, qui ne sont pas invité·es sur la carte postale du monde à sauver. L’esclavage a en effet arraché à leur terre et réduit à l’état d’objet et de biens meubles plus d’un million d’êtres humains, pour en faire la main d’œuvre forcée servant à défricher d’immenses territoires destinés à une culture unique, défigurant ainsi des terres, caribéennes ou autres, riches d’une biodiversité à jamais décimée. L’esclavage et l’apparition des plantations a donné lieu à ce que l’auteur nomme l’habiter colonial, instituant une manière destructrice et discriminante d’occuper la terre. Si chaque chapitre de cet essai porte le nom d’un navire négrier, c’est pour permettre de prendre la mesure de l’horreur à l’œuvre. La traite négrière a non seulement dénié le statut d’être humain à celles et ceux qui ont été réduits en esclavage, elle a aussi durablement imprégné notre rapport au monde, au vivant dans son ensemble, considérant comme acceptable de soumettre et détruire tout ce dont la présence et l’existence ne sont pas reconnues comme légitimes aux yeux des maitres.
Aujourd’hui encore, l’habiter colonial est à l’œuvre, pour décider quels espaces sont à préserver ou non, qu’ils soient habités par l’Homme ou non. En effet, la gestion contemporaine des espaces naturels à préserver se fait parfois aux dépens des habitant·es de ces territoires. C’est donc au départ de l’ère de la plantationcène, celle de l’esclavage, que Malcom Ferdinand propose de penser notre entreprise de destruction de la planète, dont découle notamment une fracture, indispensable à dépasser, entre combats écologistes et combats anticolonialistes : d’une part, les militant·es écologistes se préoccupent peu des rapports de dominations racistes et sexistes qui traversent la société ; d’autre part, les combats antiraciste et anticolonialiste font peu de cas de l’état de notre planète. Pour sortir de cette fracture, Malcom Ferdinand propose le concept d’écologie-du-monde, qui ne laisserait personne dans les cales du navire. Si les réponses concrètes aux situations exposées pourront manquer à certain·e lecteur·trice, Malcom Ferdinand propose néanmoins avec Une écologie décoloniale un essai brillant, nourri de références bibliographiques trop rarement mobilisées en Occident.
Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen
Malcom Ferdinand
Le Seuil, 2019