Après Francesco et François et J’irai plus loin, Giovanni Lentini nous propose dans Vies à l’ombre un nouveau roman de formation qui dépeint la jeunesse de Pino Scaglione dans une impasse donnant sur la rue du Molinay, jadis l’artère commerciale la plus importante de la cité industrielle de Seraing. Avant de se pencher sur Pino, il évoque avec justesse l’exil des parents, le travail au charbonnage et l’âpreté de la vie des ouvriers dans les années 60. Tout en présentant les habitants du quartier où « n’y habite pas qui veut… C’est réservé aux pauvres, aux étrangers, aux rejetés, aux abîmés de la vie, aux délaissés, aux déclassés », il dépeint ensuite l’enfance et l’adolescence de Pino (ses contacts à l’école, ses premiers émois amoureux, sa découverte de la rudesse de la vie).
Un livre touchant qui témoigne de la décence ordinaire des ouvriers, qui exsude un amour pour la culture sicilienne et pour la langue maternelle, dont de nombreuses expressions émaillent le texte (avec leur traduction). Un livre qui insiste aussi tout en finesse sur la lecture comme outil d’émancipation et de transmission (eh oui, on ne le répétera jamais assez, les livres changent la vie). Un livre qui, dans une succession d’une vingtaine de chapitres courts, esquisse de manière fouillée la vie des gens du peuple (des prolétaires quoi !) et qui regorge de touches belles et tristes (le papa qui cache à son gamin qu’il ne sait pas lire et lui raconte des histoires alambiquées pour ne pas le lui dévoiler). Un livre qui prend aux tripes sans jamais tomber dans le pathos à deux balles. Une écriture simple, haletante comme cela, on en redemande assurément !
Olivier StarquitVies à l’ombre
Giovanni Lentini
Le Cerisier, 2019