
Le tueur en série (serial killer) se distingue de ses collègues assassins, non pas par le nombre de ses victimes – son palmarès macabre doit au moins en compter trois –, mais parce que celles-ci ont été occises dans des endroits et à des moments différents. La variété de ses crimes (ou leur caractère « thématique ») oblige donc les enquêteurs à établir, meurtre après meurtre, un profil psychologique du tueur. Le serial killer devient ainsi, inévitablement, un personnage dont l’épaisseur psychique se prête à merveille aux œuvres de fiction. Voilà pourquoi, en matière d’intrigues criminelles, le tueur en série eut, de tout temps, la faveur des productions cinématographiques, romanesques ou picturales.
M le Maudit, sorti à Berlin en mai 1931, peut être considéré comme le film fondateur du genre. Fritz Lang, son réalisateur, portait un vif intérêt à l’actualité criminelle, particulièrement fournie dans l’Allemagne des années 20 et 30. Les tueurs de masse (Massenmörder) y font régulièrement la Une des journaux à sensation et de la presse conservatrice. L’un d’eux, Peter Kürten, deviendra célèbre sous le surnom de Vampire de Düsseldorf. Kürten ‒ qui se dénoncera lui-même en 1930, après une impressionnante série de crimes perpétrés pendant 30 ans ! ‒ fut aussi l’un des premiers meurtriers de l’histoire à livrer des confessions aux psychiatres allemands, contribuant ainsi à la naissance des méthodes de profilage.
C’est donc fort logiquement un article de presse, consacré aux Massenmörder, qui est à l’origine du scénario de M le Maudit, premier film « parlant » de Fritz Lang.
Dans une ville pétrifiée de terreur, des enfants sont assassinés par un individu d’apparence anodine, Hans Beckert (Peter Lorre). Un meurtrier anonyme qui se manifeste en sifflotant un air d’Edvard Grieg. La police est sur les dents, mais piétine. Les truands, eux, sont inquiets : la mobilisation policière vient troubler leur bizness quotidien… Avec l’aide d’un « syndicat des mendiants », la pègre locale organise à son tour la traque du meurtrier. Et devance la police dans son arrestation. Dans une scène finale mémorable, Beckert (alias M comme Mörder) passe en jugement devant une assemblée composée de bandits masculins et de mères éplorées.
Rien dans les images de ce film n’évoque l’imminente arrivée au pouvoir des nazis. Mais assez subtilement, Lang y révèle pourtant son pessimisme radical. En introduisant la psychologie criminelle dans le film policier, le cinéaste pose la question de la responsabilité du meurtre dans une société en crise. D’où l’effet miroir du long-métrage, où se reflète la mentalité d’une époque perçue par le réalisateur comme régressive. Devant ses « juges », Beckert se défend en évoquant l’étrange forme de malédiction dont il serait l’objet ; il est, dit-il, obligé de tuer. Le verdict populaire sera néanmoins sans appel : il faut éliminer physiquement cette « anomalie » avant qu’elle ne contamine (et ne remette en cause) la société dans son ensemble. De fait, par ce biais, Lang annonce bel et bien l’entrée en scène du IIIe Reich.