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Rendre le goût du vote…

Le der­nier Cahier de l’éducation per­ma­nente « Démo­cra­ties en voix de dis­pa­ri­tion » tente de dres­ser des pistes visant à relier davan­tage les citoyen·nes aux pro­ces­sus de déci­sions poli­tiques. Par­mi les 11 intervenan·tes de cette étude, la cher­cheuse Caro­line Säges­ser qui dans « Rendre le goût du vote… » déve­loppe quelques idées pour res­tau­rer la confiance dans la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive et ren­for­cer la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive. En voi­ci quelques extraits.

Quelles solutions apporter ?

Les pro­po­si­tions fusent pour que les citoyen·nes retrouvent une influence sur le cours des choses.

En Bel­gique, c’est sur­tout la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive qui tient la corde pour impli­quer davan­tage le·la citoyen·ne dans le pro­ces­sus déci­sion­nel. En 2011, une expé­rience de démo­cra­tie déli­bé­ra­tive lar­ge­ment média­ti­sée ras­semble 1000 citoyen·nes tiré·es au sort pour réflé­chir et for­mu­ler des recom­man­da­tions à des­ti­na­tion des représentant·es poli­tiques, dans le contexte d’une crise poli­tique d’une lon­gueur alors sans pré­cé­dent : après les élec­tions du 13 juin 2010, il s’est avé­ré impos­sible de for­mer un gou­ver­ne­ment fédé­ral. Il fau­dra attendre la conclu­sion de la sixième réforme de l’État pour per­mettre le 6 décembre 2011 au gou­ver­ne­ment di Rupo de voir le jour. L’expérience prend le nom de « G1000 », par réfé­rence contras­tée aux som­mets du G7 et autres G20 réunis­sant les dirigeant·es de ce monde. À la manœuvre, on trouve notam­ment l’historien fla­mand David Van Rey­brouck, dont l’essai « Contre les élec­tions » sera à l’époque lar­ge­ment dif­fu­sé, tra­duit et com­men­té. Pour lui, la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive est dans une impasse. Pour l’en sor­tir, il pré­co­nise de recou­rir à ce prin­cipe démo­cra­tique de la Grèce clas­sique, le tirage au sort.

Si le G1000 ne débouche pas sur des pro­po­si­tions ren­ver­santes, il démontre la fai­sa­bi­li­té du concept et ins­pire la mise en place de méca­nismes de repré­sen­ta­tion citoyenne per­ma­nente par le biais du tirage au sort. Le dis­po­si­tif le plus abou­ti à ce jour est celui ins­tau­ré par le Par­le­ment de la Com­mu­nau­té ger­ma­no­phone en 2019. Il se com­pose d’un Conseil citoyen per­ma­nent (Bür­ger­rat) ras­sem­blant des citoyen·nes tiré·es au sort, qui pro­pose des sujets à exa­mi­ner par l’as­sem­blée par­le­men­taire et qui peut éga­le­ment être consul­té sur des ques­tions spé­ci­fiques, ain­si que d’Assemblées citoyennes orga­ni­sées pour déli­bé­rer sur des sujets spé­ci­fiques (Bür­ger­ver­samm­lun­gen). Depuis que le Conseil citoyen de la Com­mu­nau­té ger­ma­no­phone existe, sept groupes de citoyen·nes s’y sont suc­cé­dé. Des Assem­blées citoyennes ont été consti­tuées pour débattre de sujets variés, comme la poli­tique des seniors, les com­pé­tences numé­riques ou le loge­ment. Elles ont débou­ché sur des recom­man­da­tions qui ont été assez lar­ge­ment prises en compte par les décideur·euses poli­tiques. La taille réduite de la Com­mu­nau­té ger­ma­no­phone, qui compte envi­ron 80.000 habitant·es, per­met à une pro­por­tion rela­ti­ve­ment éle­vée de citoyen·nes de par­ti­ci­per aux pro­ces­sus déli­bé­ra­tifs, ou à tout le moins de connaître per­son­nel­le­ment un·e ou plu­sieurs citoyen·nes qui y sont impliqué·es.

Depuis 2021, des com­mis­sions déli­bé­ra­tives auprès du Par­le­ment bruxel­lois peuvent ras­sem­bler des citoyen·nes et des élu·es pour débattre de ques­tions pro­po­sées par les citoyen·nes ou les par­le­men­taires ; six d’entre elles ont déjà été orga­ni­sées et ont for­mu­lé des recom­man­da­tions. Au Par­le­ment de Wal­lo­nie, une pre­mière com­mis­sion déli­bé­ra­tive ini­tiée par le col­lec­tif citoyen Cap Démo­cra­tie, a adop­té des recom­man­da­tions pour déve­lop­per l’implication per­ma­nente des Wallon·nes dans la prise de déci­sion. Quant à la Chambre des Repré­sen­tants, elle a adop­té un dis­po­si­tif per­met­tant d’installer ce type de com­mis­sion à l’avenir.

Contrai­re­ment aux craintes for­mu­lées par certain·es, le tirage au sort a démon­tré son effi­ca­ci­té pour mettre en place des assem­blées repré­sen­ta­tives de la diver­si­té du corps social et pour sus­ci­ter des déli­bé­ra­tions appro­fon­dies per­met­tant d’adopter des recom­man­da­tions lar­ge­ment consen­suelles. En revanche, il n’a pas encore démon­tré de façon convain­cante sa capa­ci­té à inflé­chir signi­fi­ca­ti­ve­ment les déci­sions publiques, mais sur­tout, il n’a pas encore suf­fi­sam­ment mon­tré qu’il contri­buait à res­tau­rer la confiance de l’ensemble de la popu­la­tion dans les pro­ces­sus démo­cra­tiques. Sans doute les participant·es aux diverses assem­blées citoyennes en sortent-iels avec une confiance renou­ve­lée dans les pro­ces­sus de déci­sion poli­tique aux­quels iels ont été associé·es — si tant est que le poli­tique tienne un mini­mum compte de ses recom­man­da­tions. En revanche, la façon dont cette confiance renou­ve­lée pour­rait ruis­se­ler sur la socié­té tout entière n’est pas encore suf­fi­sam­ment réflé­chie. Pro­ba­ble­ment dépend-t-elle for­te­ment de l’échelle du ter­ri­toire concer­né par l’assemblée. À cet égard la petite Com­mu­nau­té ger­ma­no­phone consti­tue assu­ré­ment un très bon ter­rain d’expérimentation.

Restaurer la confiance, une responsabilité des élu·es

D’autres mesures pour­raient être envi­sa­gées pour aug­men­ter la confiance des citoyen·es dans les méca­nismes de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive. La sup­pres­sion des listes de suppléant·es, là où elles existent encore (c’est-à-dire à l’élection des membres de la Chambre des repré­sen­tants, des dépu­tés euro­péens, des dépu­tés wal­lons et des dépu­tés fla­mands) , pour faire appel au·à la candidat·e non élu·e ayant obte­nu le plus de voix en cas de désis­te­ment d’un·e man­da­taire don­ne­rait plus de poids au vote des citoyen·nes au détri­ment du choix des par­tis. Il en va de même pour la sup­pres­sion de l’effet dévo­lu­tif de la case de tête, qui voit les voix du « pot com­mun » être dis­tri­buées aux candidat·es qui n’at­teignent pas le chiffre d’é­li­gi­bi­li­té dans l’ordre où le par­ti les a présenté·es au suf­frage. Il est actuel­le­ment réduit de moi­tié pour la plu­part des scru­tins, et a été sup­pri­mé pour les élec­tions pro­vin­ciales ain­si que pour l’é­lec­tion des conseiller·es communaux·ales en Wal­lo­nie (dans les com­munes de langue fran­çaise) et dans toutes les com­munes de Flandre. La géné­ra­li­sa­tion de cette sup­pres­sion de l’effet dévo­lu­tif de la case de tête don­ne­rait un poids plus éle­vé au vote de l’électeur·ice dans le choix des élu·es, tout en ayant pour incon­vé­nient de per­son­na­li­ser davan­tage les cam­pagnes électorales.

À pro­pos des cam­pagnes élec­to­rales, une régu­la­tion plus étroite des mon­tants que les par­tis peuvent consa­crer à la pro­pa­gande en dehors des périodes de comp­ta­bi­li­sa­tion des dépenses, ain­si que des règles plus contrai­gnantes de la dépense de la dota­tion géné­reuse qu’ils reçoivent seraient les bien­ve­nues. Le finan­ce­ment public des par­tis poli­tiques est en Bel­gique un des plus éle­vés de l’Union euro­péenne, tant et si bien que les for­ma­tions poli­tiques en viennent à thé­sau­ri­ser une par­tie des mon­tants reçus sous forme d’investissements immo­bi­liers ou mobi­liers. Par ailleurs, la dota­tion com­prend une par­tie fixe modeste au regard de celle qui est mobile, et direc­te­ment dépen­dante du nombre de voix récol­tées par le par­ti lors de l’élection de la Chambre. Cette situa­tion ne favo­rise pas l’accès des nou­velles for­ma­tions à l’arène poli­tique. En 2023, une série de recom­man­da­tions ont été for­mu­lées par le panel citoyen, « We need to talk ». Hélas le monde poli­tique , confron­té à des sug­ges­tions de réforme de son mode de finan­ce­ment, à la fois juge et par­tie, a esti­mé pré­fé­rable de ne rien faire, lais­sant les choses en l’état et les 60 citoyen·nes du panel fort dépité·es…

Natu­rel­le­ment, une démo­cra­tie repré­sen­ta­tive en bonne san­té sup­pose des élu·es à la conduite irré­pro­chable. S’il est légi­time que les représentant·es de la Nation soient cor­rec­te­ment rémunéré·es pour le tra­vail impor­tant qu’ils accom­plissent, leur rému­né­ra­tion se doit d’être trans­pa­rente, et de ne pas être assor­tie d’avantages com­plé­men­taires, tels l’octroi d’allocations de frais for­fai­taires défis­ca­li­sés, d’indemnités de sor­tie fara­mi­neuses ou de pen­sions supé­rieures aux pla­fonds admis

(…)

Soi­gner notre démo­cra­tie peut impli­quer de lui gref­fer de nou­veaux membres, sous forme d’un recours ins­ti­tu­tion­na­li­sé aux pro­ces­sus déli­bé­ra­tifs ou aux consul­ta­tions popu­laires. Mais elle doit sur­tout consis­ter à soi­gner son cœur, à savoir l’organisation de la repré­sen­ta­tion des citoyen·nes par des élu·es qui jouissent de leur confiance.



Retrouvez cet article dans son intégralité au sein du dernier numéro des Cahiers de l’éducation permanente « Démocraties en voix de disparition ».

Disponible en ligne ici.