Cela fait presque deux mois que des étudiant·es, des intellectuel·les et des ouvrier·es manifestent afin de dénoncer la corruption et demander des réformes politiques et démocratiques. Le pouvoir décide de siffler la fin de la récréation et envoie une colonne de chars en direction de la place Tian’anmen. Soudain, un jeune homme apparait sur la route et leur fait face. Les engins blindés avancent mais lui ne bouge pas. Les véhicules s’arrêtent. Perché sur le balcon d’un hôtel non loin, le reporter Jeff Widene, de l’Associated Press, capture cet instant. Nous sommes le 5 juin 1989, dans une Chine post-révolution culturelle. Cette photo, qui prendra familièrement le nom de « Tank Man », fera le tour du monde et deviendra une icône de la résistance.
Trois ans plus tard, le cliché arrive jusqu’au Brésil, dans les mains de Max et Igor Cavalera. Les deux frangins, et leaders de Sepultura, alors âgés de 23 et 22 ans, sont occupés de composer leur cinquième album. « Chaos A.D. était bien plus politisé que les précédents. On a écrit sur la lutte des classes et sur des problèmes susceptibles de concerner le monde entier »1, explique Max Cavalera. En titre d’ouverture figure « Refuse/Resist ». Marquée par la symbolique et l’histoire de « Tank Man », la fratrie décide d’en utiliser les images pour illustrer le clip vidéo et le livret accompagnant la sortie single du morceau. Un écho aux multiples scènes d’émeutes auxquelles ils avaient déjà pu assister pendant leur jeunesse.
L’inspiration pour ce titre, Max la tire également d’un voyage à New York : « J’étais dans le métro et je me rendais à Manhattan, dans les locaux de Roadrunner Records, notre label à l’époque. Il y avait un gars des Black Panthers devant moi, coiffé d’une coupe afro. Il avait aussi une veste en cuir noir, qui comprenait à l’arrière un long discours à propos de son mouvement et du black power. Tout à la fin, en bas du vêtement, figuraient trois mots : refuse and resist »2. Différence des peuples, mais convergence des luttes, la résistance pour credo.
La chanson débute par des battements de cœur. Ce sont ceux de Zyon, le fils aîné de Max Cavalera, enregistrés lors d’une échographie avant que l’enfant ne naisse. Ce n’est qu’en commençant à tourner mondialement pour leur précédent opus, « Arise », que le groupe de thrash s’est véritablement rendu compte de la réalité sociopolitique du Brésil. Le souvenir du massacre de Carandiru, du nom de ce pénitencier de São Paulo au Brésil où 111 prisonniers furent tués le 2 octobre 1992 à la suite d’une rébellion, est encore frais dans l’esprit des ados. C’est donc bousculés dans leur vision de la société que les artistes reviennent écrire au pays, en prenant le pari de désormais intégrer dans leur musique des sonorités tribales propres au Brésil. Ce qui insufflera dans leurs compositions une ambiance directement reconnaissable.
« Chaos A.D., Disorder unleashed, Starting to burn, Starting to lynch, Silence means death, Stand on your feet, Inner fear, Your worst enemy ». Vingt-six ans plus tard, les messages sociaux portés par « Refuse/Resist » sont devenus universels. Difficile de ne pas avoir ces riffs de guitare en mémoire lorsque, le 1er janvier 2019, l’ex-militaire Jair Bolsonaro monte à la tête du Brésil. Aujourd’hui Président, cet homme d’extrême-droite est tristement connu pour ces positions misogynes, contre les homosexuel·les, les noir·es et les peuples indigènes. Le 31 mai dernier, des dizaines de milliers d’étudiant·es étaient dans les rues afin de protester contre les profondes coupes budgétaires du gouvernement dans les universités. Une mesure parmi d’autres, visant au final, selon les autorités, à « expurger le marxisme culturel » de l’enseignement. La résistance devient alors un instinct de survie.