
Le mot résilience vient de l’anglais — qui l’a lui-même piqué au latin, mais passons. Il est attesté dès 1626 comme étant le « fait de rebondir ». Un peu plus tard – dans le domaine des langues, le temps est une notion fort relative –, au 19e siècle on le retrouve en français, dans le domaine de la physique, où il concerne la solidité des matériaux ainsi que leur capacité plus ou moins grande à retrouver leur forme initiale après un choc. Par exemple, si, après une de ces fortes tempêtes qui deviennent notre lot commun, je me porte fort bien d’avoir reçu une tuile sur la tête, on peut dire que mon crâne est un matériau résilient. Un autre sens encore est relatif à la faculté du matériau de faire rebondir ce qui lui tombe dessus. Et donc : résister et rebondir.
Dans les années 90 du siècle passé, ça lui a semblé bien ça, à Boris Cyrulnik, de psychologiquement résister et rebondir. Et la résilience consiste depuis à continuer à se développer (sans doute différemment) après un traumatisme, mais, pour autant qu’on se plie à l’injonction qui nous est faite de partager et de rester acteur ». Fastoche.
Lors d’une de ses multiples conférences, Cyrulnik expliquait qu’à Haïti les enfants des rues qui étaient méprisés et rejetés par tous se sont retrouvés en première ligne : suite au séisme, ils guidaient les rescapés dans la ville, dont ils connaissaient bien les méandres. Et il s’est avéré que ce sont ces enfants en guenilles qui ont le moins souffert de la catastrophe ! Ils ont réussi à se mettre au service de l’autre grâce à leur mode de vie, et ont aidé les plus nantis à se sauver des décombres.
C’est‑y pas beau ça : t’es pauvre et méprisé, puis badaboum, un tremblement de terre et voilà qu’en aidant les plus nantis, c’est toi qui souffres le moins. Forcément, diront les mauvaises langues : ils n’avaient rien, ils n’ont pas perdu grand-chose dans l’affaire. Ni d’ailleurs, mis à part l’une ou l’autre piécette, gagné beaucoup. Si ce n’est en termes de résilience : sûr que ce sont de bien gais miséreux à présent.
L’exemple est tellement beau qu’on peut dire qu’il a fait florès. Tiens, après les petits ennuis qu’a connus Fukushima, la résilience a littéralement envahi les discours médiatiques et politiques : c’était la clé de voute de la reconstruction nécessaire. Bon, 11 ans plus tard, on ne voit pas très bien où en est – on peut dire que les cœurs en fusion des réacteurs sont résilients, ça oui.
Les habitants, eux, s’en sont d’abord allés résilier ailleurs. À présent, celles et ceux qui sont revenus dans la zone, les résilients, vont fort bien, différemment, mais fort bien. Pas qu’ils aient eu vraiment le choix non plus, mais bon… Et l’on a bien vu aussi qu’il y avait de pauvres irrésilients à qui est arrivé ce qu’il devait arriver : 1600 d’entre eux sont morts en raison des conditions d’évacuation, d’hébergement et de l’épuisement dû aux déplacements. Presque de la mauvaise volonté quoi. On leur avait bien dit pourtant : résilience, bon dieu de bois ! Enfin, j’sais pas trop ce qu’ils disent en vrai au Japon, mais on a compris.
Et la résilience a continué son petit bonhomme de chemin. Voilà même, nous dit Le Monde, qu’une des grandes inconnues de la guerre en Ukraine c’est la résilience de l’armée russe. Pour le coup, on se dit qu’on n’a pas fini d’en manger, et à toutes les sauces, de la résilience.
Mais faut bien avouer que c’est sur le terrain du réchauffement climatique qu’elle a trouvé à pleinement se déployer. Là on est clairement entré dans l’ère du délire complet. Tu reçois un glacier sur le coin de l’oreille ? Tu crèves de faim ou de soif (ou les deux) ? Ton eau potable se trouve toute salée et ton riz ne pousse plus ? Tu te prends une tornade et tes maigres biens sont emportés ? Une seule solution, pour autant que tu aies survécu bien sûr : être RÉSILIENT.
Tout dépendant désormais de notre entrainement personnel à la résilience, on finirait presque par croire que tout ça sent un peu l’impuissance et, du coup, la démission complète de nos chers responsables, non ? Enfin, ce que j’en dis, hein…
Un commentaire
Merci pour ce billet. Partout le mot résilience (et bien d’autres) nous envahissent. Je partage l’excellent article du monde-diplomatique (https://www.monde-diplomatique.fr/2021/05/PIEILLER/63082) sans oublier le livre de Thierry Ribault https://www.lechappee.org/collections/pour-en-finir-avec/contre-la-resilience