Résister, rebondir et la fermer…

Par Jean-François Pontegnie

Illustration Vanya Michel

Le mot rési­lience vient de l’anglais — qui l’a lui-même piqué au latin, mais pas­sons. Il est attes­té dès 1626 comme étant le « fait de rebon­dir ». Un peu plus tard – dans le domaine des langues, le temps est une notion fort rela­tive –, au 19e siècle on le retrouve en fran­çais, dans le domaine de la phy­sique, où il concerne la soli­di­té des maté­riaux ain­si que leur capa­ci­té plus ou moins grande à retrou­ver leur forme ini­tiale après un choc. Par exemple, si, après une de ces fortes tem­pêtes qui deviennent notre lot com­mun, je me porte fort bien d’avoir reçu une tuile sur la tête, on peut dire que mon crâne est un maté­riau rési­lient. Un autre sens encore est rela­tif à la facul­té du maté­riau de faire rebon­dir ce qui lui tombe des­sus. Et donc : résis­ter et rebondir.

Dans les années 90 du siècle pas­sé, ça lui a sem­blé bien ça, à Boris Cyrul­nik, de psy­cho­lo­gi­que­ment résis­ter et rebon­dir. Et la rési­lience consiste depuis à conti­nuer à se déve­lop­per (sans doute dif­fé­rem­ment) après un trau­ma­tisme, mais, pour autant qu’on se plie à l’injonction qui nous est faite de par­ta­ger et de res­ter acteur ». Fas­toche.

Lors d’une de ses mul­tiples confé­rences, Cyrul­nik expli­quait qu’à Haï­ti les enfants des rues qui étaient mépri­sés et reje­tés par tous se sont retrou­vés en pre­mière ligne : suite au séisme, ils gui­daient les res­ca­pés dans la ville, dont ils connais­saient bien les méandres. Et il s’est avé­ré que ce sont ces enfants en gue­nilles qui ont le moins souf­fert de la catas­trophe ! Ils ont réus­si à se mettre au ser­vice de l’autre grâce à leur mode de vie, et ont aidé les plus nan­tis à se sau­ver des décombres.

C’est‑y pas beau ça : t’es pauvre et mépri­sé, puis bada­boum, un trem­ble­ment de terre et voi­là qu’en aidant les plus nan­tis, c’est toi qui souffres le moins. For­cé­ment, diront les mau­vaises langues : ils n’avaient rien, ils n’ont pas per­du grand-chose dans l’affaire. Ni d’ailleurs, mis à part l’une ou l’autre pié­cette, gagné beau­coup. Si ce n’est en termes de rési­lience : sûr que ce sont de bien gais misé­reux à présent.

L’exemple est tel­le­ment beau qu’on peut dire qu’il a fait flo­rès. Tiens, après les petits ennuis qu’a connus Fuku­shi­ma, la rési­lience a lit­té­ra­le­ment enva­hi les dis­cours média­tiques et poli­tiques : c’était la clé de voute de la recons­truc­tion néces­saire. Bon, 11 ans plus tard, on ne voit pas très bien où en est – on peut dire que les cœurs en fusion des réac­teurs sont rési­lients, ça oui.

Les habi­tants, eux, s’en sont d’abord allés rési­lier ailleurs. À pré­sent, celles et ceux qui sont reve­nus dans la zone, les rési­lients, vont fort bien, dif­fé­rem­ment, mais fort bien. Pas qu’ils aient eu vrai­ment le choix non plus, mais bon… Et l’on a bien vu aus­si qu’il y avait de pauvres irré­si­lients à qui est arri­vé ce qu’il devait arri­ver : 1600 d’entre eux sont morts en rai­son des condi­tions d’é­va­cua­tion, d’hébergement et de l’é­pui­se­ment dû aux dépla­ce­ments. Presque de la mau­vaise volon­té quoi. On leur avait bien dit pour­tant : rési­lience, bon dieu de bois ! Enfin, j’sais pas trop ce qu’ils disent en vrai au Japon, mais on a compris.

Et la rési­lience a conti­nué son petit bon­homme de che­min. Voi­là même, nous dit Le Monde, qu’une des grandes incon­nues de la guerre en Ukraine c’est la rési­lience de l’armée russe. Pour le coup, on se dit qu’on n’a pas fini d’en man­ger, et à toutes les sauces, de la résilience.

Mais faut bien avouer que c’est sur le ter­rain du réchauf­fe­ment cli­ma­tique qu’elle a trou­vé à plei­ne­ment se déployer. Là on est clai­re­ment entré dans l’ère du délire com­plet. Tu reçois un gla­cier sur le coin de l’oreille ? Tu crèves de faim ou de soif (ou les deux) ? Ton eau potable se trouve toute salée et ton riz ne pousse plus ? Tu te prends une tor­nade et tes maigres biens sont empor­tés ? Une seule solu­tion, pour autant que tu aies sur­vé­cu bien sûr : être RÉSILIENT.

Tout dépen­dant désor­mais de notre entrai­ne­ment per­son­nel à la rési­lience, on fini­rait presque par croire que tout ça sent un peu l’impuissance et, du coup, la démis­sion com­plète de nos chers res­pon­sables, non ? Enfin, ce que j’en dis, hein…

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