Diverses dénominations
Certaines de ces appellations sous-tendent un racisme primaire ; plus d’un parent a traité ses enfants de « romanichels », quand ils revenaient sales à la maison (cela vaut pour les appellations bohémien et gitan).
La formulation gens du voyage est quant à elle plus explicite. Elle concerne les personnes nomades, celles que nous croisons dans des aires de stationnement, généralement peu, voire pas équipées pour les accueillir. Cette appellation peut concerner des tsiganes… mais aussi bien d’autres personnes qui vivent en nomades (bateliers, saisonniers, forains…).
Ajoutons à cela que si certaines appellations sont exogènes dans une langue, elles seront endogènes dans une autre langue européenne. Si en France, le mot Rom peut être perçu de manière péjorative du fait de l’usage qu’en ont les élites politiques françaises, en Allemagne, le terme Zigeuner (tsigane), renvoyant à une période sombre de l’histoire (le génocide par les nazis), peut être perçu comme une insulte.
La dénomination Rom a été adoptée par plusieurs institutions internationales, comme l’ONU par exemple, pour parler de ceux qui représentent la plus grande minorité d’Europe. C’est aussi le nom qu’a choisi l’Union internationale romani, en 2000, pour se désigner. Parallèlement, c’est aussi l’appellation d’une partie des tsiganes d’Europe, ceux originaires des pays des Balkans. Qui plus est, tous les tsiganes ne se reconnaissent pas sous cette appellation. Et de brouiller les cartes.
Un brin d’histoire… qui reste d’actualité
L’une des raisons d’apprendre à mieux connaître le/les monde‑s tsigane‑s est bien entendu son histoire. Une histoire composée de discriminations, d’exclusion, d’esclavage (l’abolition de l’esclavage des Tsiganes en Roumanie date du milieu du 19e siècle) et même d’un génocide, perpétré en même temps que le génocide juif sous le régime nazi, dont notre société contemporaine parle peu. Interdit aux nomades, de Raymond Gurême, raconte l’histoire des camps d’internement en France, d’un témoin encore vivant de cette histoire du 20e siècle. La discrimination et l’exclusion restent toujours d’actualité.
En 2011, des manifestations anti-roms s’organisent, soutenues par des groupes néo-nazis en Bulgarie ou en Slovaquie. Nicolas Sarkozy, en 2010, a renvoyé en Roumanie et Bulgarie, dans la plus grande cacophonie et pêle-mêle des milliers de personnes, identifiées comme Roms. À l’été 2011, à Bruxelles, nous nous souvenons de l’abandon général par les pouvoirs publics de familles roms avec enfants sur la « place Gaucheret », livrés à la seule solidarité des riverains.
Aujourd’hui, au sein de l’Union européenne existe une présomption de respect des Droits de l’Homme, à l’égard des États la constituant… une présomption qui questionne, quand on voit les situations dramatiques des Roms dans certains pays de l’Union. Même si les exemples de stigmatisation et d’exclusion sont nombreux et avant tout liés à des stéréotypes.
Une identité commune et la nation Romani
L’Union internationale Romani fut créée en 1971, sous l’impulsion de Roms convaincus de la nécessité de se regrouper pour défendre leurs droits. Union reconnue pour notamment avoir réalisé un travail d’écriture d’un Statut-cadre du peuple Rrom dans l’Union européenne, elle ne fait cependant pas l’unanimité au sein des Roms eux-mêmes. Rappelons que la volonté de certains militants tsiganes de déterminer un dénominatif commun (Rom) participe d’un souci d’émancipation face aux appellations péjoratives données par les non-Roms.
Précaution prise, l’Union Internationale Romani définit la nation romani comme « une nation sans territoire compact et sans prétention à l’être ». En précisant qu’il ne s’agit pas de « critères définitoires », ce texte avance un « faisceau de références » à travers lesquelles se reconnaît la nation rom :
— une origine indienne commune. Ceux que nous appelons Roms ou Tsiganes auraient quitté l’Inde aux alentours du 10e siècle ;
— une langue commune, le romani, que cette langue soit encore pratiquée ou qu’elle corresponde au souvenir d’ancêtres qui l’ont parlée. Des auteurs et professeurs, tel que Marcel Courthiade, dans cette même volonté de fédérer pour mieux défendre leurs droits, travaillent à la standardisation du romani. Les réalités géographiques et les stratégies d’intégration/inclusion, ont en effet donné un langage empreint des langues du territoire dans lesquels les Roms se sont installés et donc des langues romani plutôt qu’une langue romani ;
— une intégration par le sang ou les alliances au réseau des familles romani en Europe ;
— une « conscience d’appartenir avec fierté à une commune nation romani, quels que soient les mots utilisés localement pour la nommer, les personnes n’appartenant pas à cette collectivité étant désignées traditionnellement sous divers noms dont le plus répandu est ‘’gadjo’’, féminin ‘’gadji’’ » ;
— un certain nombre de valeurs philosophiques et humaines communes. Celles-ci prennent leur sens dans une forme d’organisation sociale dans lesquels les liens familiaux de premier niveau sont primordiaux, s’élargissant en cercles concentriques, jusqu’à la distinction de Rom / Gadjo, c’est-à-dire Rom / non-Rom.
Ces valeurs, comme dans tout peuple, sont défendues variablement d’un groupe et d’une personne à l’autre. Comme dans toute organisation sociale. Nous pouvons y voir émerger, par exemple, des revendications féministes. À cet égard, le documentaire de Meritxell de la Huerga, Gitana Soy, est particulièrement parlant. L’on y voit, dans l’Espagne actuelle, des femmes discuter de leur statut de femmes au sein des Gitanos (Tsiganes d’Espagne), de traditions et d’éducation.
Outre les critères repris ci-dessous, nous pourrions ajouter, comme le propose Alain Reyniers, une conception particulière du territoire. La conception du territoire reviendrait à dire que c’est « l’individu qui construit le territoire à sa mesure et non le territoire qui cloisonne l’activité humaine sur un espace préalablement délimité ». Dans cette perspective, le territoire varie en fonction des nécessités économiques, commerciales, familiales… Un groupe se déplacera pour un travail (comme par exemple, dans les travaux saisonniers) et profitera de ce déplacement pour rendre visite à la famille vivant dans la région.
Des productions culturelles comme vecteur d’identité
Créées de toute pièce ou non, les identités tsiganes existent et avec elles un monde de création spécifique. L’émergence de nouvelles formes d’expression culturelle dans le giron artistique est favorisée par des médias roms propres. Les prémisses apparaissent dès le début du XXe siècle en Russie, ainsi que dans certains pays des Balkans. Aujourd’hui, des radios en romani aux magazines, la langue rom permet à certains groupes de connaître et reconnaître, et d’unifier. Cela en lien avec les réalités politiques, d’exclusion, de soumissions des populations tsiganes.
En France, dans les années 1980, une maison d’édition est initiée par le Père Jean Fleury. Structure associative, Wallâda développe la collection Waroutcho, consacrée à la parole tsigane. Wallâda publie l’auteur qui reste encore aujourd’hui l’un des principaux, et est initiateur du passage à l’écrit de l’auteur tsigane : Matéo Maximoff.
En Belgique, le nom du guitariste Django Reinhardt sonne comme le fondateur du jazz manouche. Tsigane et nomade, il est issu d’une famille de Sinti — que l’on appelle manouche en France. Beaucoup de lieux qu’il aura traversés célèbrent encore aujourd’hui le musicien.
Pour conclure
Nous retiendrons les propos de Nicolae Gheorghe, sociologue rom de Roumanie : « Être Tsigane ne signifie pas nécessairement parler tsigane, agir en tsigane, avoir une Église différente. La tsiganité est une définition qui est toujours négociable et négociée, selon que l’on veut ou non se déclarer tsigane. » L’objectif de ce texte n’est pas d’enfermer les Tsiganes dans un statut un et indivisible, mais de tenter de montrer qu’il existe des réflexions, parfois contradictoires, comme il existe des particularités et une forme d’universalité, dans ces cultures… comme dans les autres.
EXPOSITION « Roms, Tsiganes, Gitans, Gens du voyage... entre mythes et réalités »
Présence et Action Culturelles vous propose, dans le cadre de la campagne que l’ASBL mène sur la question des représentations et de l’histoire des Roms, de visiter l’exposition « Roms, Tsiganes, Gitans, Gens du voyage... entre mythes et réalités » à la Maison du Livre à Saint-Gilles (Bruxelles) jusqu’au 18 avril 2012. Cette exposition se déplacera en Wallonie par la suite.
Programme complet disponible ici