Comment devient-on un syndicaliste wallon ? Y a‑t-il des aspects particuliers dans ton existence qui t’ont conduits à cet engagement syndical dans cette petite région d’Europe ?
Il n’y a pas une recette unique, il y en a autant qu’il y a de syndicalistes. En ce qui me concerne, deux éléments ont principalement forgé mes convictions.
Mes premiers engagements, et non mes premiers combats, ont pris naissance autour des mouvements pacifistes contre les bombes présentes en Belgique, fin des années 70. On peut dire que vraiment le mouvement pacifiste m’a amené à la militance.
Deuxième élément, je viens d’une famille originaire pour moitié de mineurs, issue de la région liégeoise dans les grands charbonnages. De ce fait, une tradition familiale existe. Une des images fortes qui me revient souvent en mémoire, c’est celle d’un oncle mineur (le dernier à être le concierge de la mine de Beyne-Heusay à l’Est de Liège). Quand j’allais le voir, il avait sa bonbonne qui trainait derrière lui et malgré tout, chaque soir, il continuait à faire inlassablement, consciencieusement un dernier tour du bâtiment avant de fermer.
Des personnages comme Fidel Castro, Salvador Allende ou Lénine n’ont-ils pas influencé ton parcours syndical ?
Non, il n’y a pas une figure qui m’a marqué. Par contre, lorsque je remonte le plus loin possible dans ma mémoire, au niveau de mes premiers contacts politiques, c’est sans conteste le courant régionaliste qui, très jeune, vers 14 – 15 ans, m’a tout de suite intéressé. Ainsi, je suis entré en contact, prolongé d’ailleurs, avec Henri Mordant, le président du Rassemblement Wallon à cette époque.
Pourquoi si tôt cette fibre pour le régionalisme ?
Je pense que c’est déjà d’abord un étonnement, une attirance pour un raisonnement économique car je ne suis pas un régionaliste romantique, mais un régionaliste pragmatique. À l’époque, c’était déjà cette attirance pour une autre façon d’envisager les transferts financiers et l’organisation de l’économie dans ce pays qui me séduisait. Et de nouveau pour l’anecdote, quelque chose qui m’avait fortement frappé, et qui explique en partie ma fibre régionaliste, c’était de connaître le pourquoi qui faisait que les arbres se trouvaient en Wallonie et les meubles étaient fabriqués en Flandre. C’était une des raisons pour lesquelles j’ai été voir Henri Mordant. Ce fut pour moi une approche originale, différente du reste du monde politique de l’époque.
Pour un régionaliste comme toi, existe-t-il une vraie culture wallonne aujourd’hui ?
Il n’existe pas une culture wallonne, tout le monde le sait bien malheureusement. Il y a une série de traditions culturelles qui existent, folkloriques ou autres, qui sont fortes. Certes, elles sont intéressantes, mais ce qui manque aujourd’hui et c’est une des choses pour laquelle je revendique la régionalisation de la culture, c’est qu’on ne parvient pas à faire de cet ensemble de cultures diverses une vraie culture wallonne. C’est quelque chose qui bien souvent nous échappe mais aujourd’hui il est impossible de créer un état d’esprit culturel, un lien culturel existant entre le Mouscronnois et l’Arlonais.
Or, si demain on se dirige vers un pays de plus en plus régionalisé — probablement sur base de quatre régions, l’histoire le dira, lors de la sixième réforme de l’État – chaque région devra alors vraiment se prendre en main aux niveaux social, économique, industriel, etc. La Région wallonne devra alors se projeter sur les 10 ou 15 ans à venir. On ne peut pas demander à une région d’organiser son développement économique, d’avoir un projet de société sur 10 ou 15 ans sans qu’elle ait la culture dans ses attributions.
Te sens-tu citoyen du monde, européen, belge, francophone, wallon, liégeois ?
De toute évidence tout d’abord citoyen du monde car l’on se rend bien compte que tout est imbriqué. Toutes les décisions ou absences de décisions qui sont prises au niveau politique ou autre, n’importe où dans le monde aurait de toute façon immanquablement des effets directs chez nous. On ne peut pas être absent de ce qui se passe ailleurs dans le monde.
Penses-tu que les nouveaux réseaux sociaux puissent être un instrument efficace de lutte sociale ?
Je pense que les réseaux sociaux peuvent en effet être un instrument efficace de lutte contre une série d’injustices comme les luttes sociales et politiques. À titre personnel, je ne suis pas un spécialiste, j’ai besoin de mes jeunes collaborateurs pour que l’interrégionale reste au goût du jour.
Je n’ai pas Twitter, je ne suis pas sur Facebook et je ne le serai pas avant un bon bout de temps. Par rapport à ces nouveaux médias, il y a une chose que je voudrais mettre en évidence, c’est que si l’on va chercher uniquement l’information sur internet, s’en contenter en ne faisant pas le chemin parallèle qui passe par le filtre d’un journaliste, il y a un véritable danger : perdre la qualité de l’information et tout sens critique. Le journalisme est un filtre très important entre ce qui se passe et la façon dont elle est répercutée, ce qu’on lit. À ce moment-là, on peut mieux identifier s’il s’agit d’un journaliste plutôt ou clairement de gauche, de droite, un croyant, un laïque etc. On connaît alors mieux à travers quel prisme on le lit. Tandis que quand on est sur les nouveaux outils, on connaît moins la source d’information et donc l’œil critique ne cesse de diminuer au fur et à mesure que l’on passe à côté de la presse classique.
Penses-tu que la culture syndicale aujourd’hui soit suffisamment forte pour faire face à un climat idéologique antisocial et très antisyndical dans les médias ?
En effet, le traitement réservé au mouvement social en Belgique ces 2 derniers mois ½ [Décembre 2011 et janvier 2012 NDLR] est profondément injuste. Si on regarde rétrospectivement et historiquement, nous avons eu le 2 décembre 2011 la troisième plus grande manifestation sociale en Belgique depuis la guerre 40 – 45. Une grève dans les services publics qui est de loin l’une des plus réussies le 22 décembre depuis l’Après-guerre. Et le 30 janvier 2012, nous avons eu la première grève générale interprofessionnelle depuis 19 ans ! Ça a donc constitué trois mouvements sociaux hyper bien suivis et de très grande ampleur. Le traitement médiatique mis en place autour de ces trois actions syndicales m’a semblé un peu faiblard au vu de la mobilisation des travailleurs.
Il semble que ce ne soit pas seulement un problème médiatique, mais aussi un problème historique et sociologique. Est-ce qu’on observe un recul fondamental sur nos valeurs, mais aussi sur le fait syndical, sur la nécessité syndicale ?
La gauche dans son ensemble, et l’organisation syndicale peut-être en particulier, avons créé nos rapports de force, les outils de répartition de richesses, notre présence ouvrière dans les usines et dans le monde socioéconomique sur base d’une économie qui était organisée à un niveau national, sur le modèle économique de la reprise économique de l’après-guerre. Ils ont été efficaces jusqu’au premier choc pétrolier en 1973. À partir de cette date, ils ne l’ont plus été. Et au niveau du mouvement syndical, nous avons les pires difficultés à transformer nos outils, non seulement de répartition de richesses, mais aussi de rapports de forces, de les adapter à cette internationalisation, cette mondialisation de l’économie.
Pour être plus concret, on peut avoir la meilleure protection sociale qui soit, des allocations de chômage décentes, une bonne couverture de soins de santé, mais nous serons toujours perdants si on n’a pas une harmonisation fiscale tant au niveau de l’impôt des personnes physiques qu’au niveau de l’impôt des sociétés.
Un des grands enjeux de la gauche européenne, c’est d’abord de construire un rapport de force syndical dans un espace qu’est l’Europe doté d’une certaine homogénéité politique, économique et géographique. Avec comme objectif de se réapproprier l’outil fiscal. C’est la meilleure façon de pouvoir répartir les richesses. On l’a abandonné à la droite. On a cru qu’il suffisait d’avoir le ministère des Affaires sociales pour pouvoir gérer les choses. Cela a été vrai pendant 20 ou 30 ans après la Guerre, mais maintenant c’est complètement faux.
Un troisième élément très difficile, tant en rapport de force qu’en termes d’idéologie, appartient aux responsables économiques et patronaux : c’est le discours tenu aux jeunes demandeurs d’emploi. C’est devenu impossible de tenir le même qu’il y a 20 ans d’ici. Aujourd’hui, dire aux jeunes que leur carrière professionnelle ne se fera plus chez un unique employeur, qu’ils changeront d’emploi tous les 5 ans, qu’ils passeront fatalement par des CDD et de l’intérim, mais que, dans le même temps, lorsqu’ils sont chez un employeur, ils doivent s’investir et lui donner tout ce qu’ils ont dans les tripes ! Ce message ne passe évidemment plus. Il est clairement impossible d’avoir une jeunesse qui s’investisse au niveau professionnel, études, ou formation si on lance un message aussi nébuleux que celui-là.
Le grand enjeu des prochaines années de la région liégeoise sera évidemment la reconversion du bassin. Quel va être le rôle de la culture ?
C’est une vaste question. Il y a deux manières d’y répondre
D’une part, la culture peut amener à de la création de nouveaux objets ou à d’adaptation d’objets, à du design, etc. Le lien entre la culture, l’art, la création et l’économie est pour moi quelque chose de très important. On croit souvent en Wallonie que quand on fait quelque chose de solide et efficace on sait le vendre. Or, ce n’est plus le cas, en économie, il faut quelque chose en plus de « solide et efficace » pour qu’on puisse vendre, industrialiser, commercialiser un produit.
Le deuxième aspect en termes de redéploiement, est quelle place va-t-on donner à la culture en Wallonie et dans notre société de façon plus large ? Aujourd’hui, objectivement, la place de la culture prise comme outil permettant aux gens de développer leur esprit critique est un échec complet. Aujourd’hui, les budgets sont consacrés à 5 ou 6 grands outils culturels wallons ou francophones. Budgétairement, on se trompe. Seuls 2 à 4 % des francophones vont dans ces lieux, les musées, etc.
Et puis surtout, et je ne veux pas être moraliste par rapport à l’ensemble des citoyens, mais comprendre que par le prisme de la culture, ils peuvent poser un regard critique sur l’évolution de la société, c’est quelque chose qui échappe complètement à une grande partie des travailleurs. En cela, il y a dans le monde d’aujourd’hui un échec de la culture. Pour ma part, je trouve que l’éducation permanente devrait s’adresser aux laborantins, à l’employé de banque, à l’informaticien. Ce sont les travailleurs actuels, et ceux de demain. Selon moi, l’éducation permanente ne parvient pas à accrocher, à ce que ces citoyens-là s’intéressent aux évolutions de la société. Il s’agit là d’un grand enjeu à côté duquel on est en train de passer.
Quelle est la période de l’histoire ancienne et contemporaine que tu préfères le plus ?
Je pense que je m’arrêterais au Siècle des Lumières pour les raisons évidentes de ce que cette période représente non seulement par rapport à nos sociétés actuelles d’un point de vue politique et culturel. Mais aussi pour ce qu’elle représente comme paradoxe. Cette réflexion ouverte et humaniste, éminemment importante et positive par rapport à l’évolution des sociétés en Occident ne s’adressait en effet qu’à une toute petite partie de l’humanité. L’évolution est intéressante et le paradoxe l’est tout autant.
Quelles sont tes lectures ?
Ayant peu de temps, j’avoue être d’un classicisme très ennuyant.
Je suis en train de terminer le prix Goncourt « L’art français de la guerre » d’Alexis Jenni. Après je passerai certainement au prix Renaudot.
La musique que tu écoutes ?
J’adore Arno depuis TC Matic. J’aime beaucoup le dernier CD de Louis Chedid, mais ce n’est pas pour cela que j’aime tout ce qu’il fait. Adolescent, je jouais de la guitare basse, je chantais, c’était l’époque du hard-rock, Deep Purple, Led Zeppelin…
Le mot qui te colle le plus à la peau ?
Je ne sais pas si c’est un mot, plutôt un sentiment. Je déteste quand l’injustice entraîne la tristesse. C’est quelque chose qui me renverse.