C’était au mois d’août, en 1989. Six mois plus tôt, les États-Unis assistaient à la passation de pouvoir entre Ronald Reagan et George H. W. Bush. En avril, près de 300 000 personnes manifestent à Washington D.C. afin de défendre le droit à l’avortement. C’est aussi la sortie du deuxième épisode de Retour vers le Futur. De notre côté, le Premier ministre de l’époque, Paul Vanden Boeynants, se fait enlever. Puis est libéré. C’est l’année où l’artiste Selah Sue fait entendre pour la toute première fois sa voix. Et pour les amateurs et amatrices de sonorités plus fortes, c’est aussi l’année où le groupe de thrash metal américain Testament sort son troisième album, Practice What You Preach, avec notamment son titre, emblématique, Greenhouse Effect (effet de serre, en français).
Chuck Billy, leader du groupe, ne cache pas défendre ses racines. Que ce soit par son sang, son père étant un natif américain1, ou plus généralement, en dénonçant le massacre environnemental en cours depuis des dizaines d’années. « Fous ceux qui s’égarent/pendant que la forêt tropicale est occupée de brûler/Qui croient savoir, alors que c’est l’air que nous respirons/Le monde que nous connaissons se meurt lentement en Amérique du Sud/Les flammes brûlent tout, des arbres jusqu’au sol », martèle-t-il à coup de riffs soutenus et de batterie incisive. Des lyrics, écrites il y a plus de trente ans, qui se heurtent pourtant de plein fouet aux propos de Stuart Kirk, directeur mondial de l’investissement du groupe bancaire international HSBC, tenus en mai dernier. Dans sa ligne de mire, les responsables politiques qu’il accuse d’exagérer l’impact du changement climatique : « qu’est-ce que ça peut faire si Miami est six mètres sous l’eau dans 100 ans ? Amsterdam est sous l’eau depuis des lustres, et c’est un endroit très agréable. Nous nous adapterons »2, avait-il déclaré.
Conscient de prêcher dans le désert, le vocaliste n’en reste pas moins lucide : « dans les années 80, on écrivait déjà sur l’effet de serre ou sur des choses qui se passaient dans le monde. Mais on n’a pas été entendu. Vingt-cinq ans plus tard, les gens se rendent enfin compte que l’été et l’hiver ne sont plus les mêmes que lorsque nous étions enfants… »3. Un constat sans appel, scientifiquement confirmé par le dernier rapport du GIEC, le groupe des experts de l’ONU sur le climat. En effet, selon ces dernier·es, sans un renforcement des politiques actuelles, le monde se dirige vers un réchauffement de +3,2°C d’ici la fin du siècle. Et même si les engagements pris par les gouvernements lors de la COP26 de l’an dernier étaient tenus, le mercure monterait irrémédiablement de +2,8°C. Affolant quand on sait que chaque dixième de degré supplémentaire provoque de facto de nouvelles catastrophes climatiques.
« Notre seul espoir de respirer à nouveau/Pour arrêter la folie qui nous envahit/Que ferons-nous quand tout sera perdu ?/L’holocauste environnemental…». Un refrain qui aurait très bien pu figurer en guise d’épigraphe, à la première page du rapport du GIEC, tant il pointe que les ménages des 10 % des plus hauts revenus émettent à eux seuls entre 36 à 45 % des gaz à effet de serre. Les émissions liées au mode de vie des classes moyennes et défavorisées des pays développés sont quant à elles de 5 à 50 fois plus élevées que celles de leurs homologues dans les pays en développement.
C’est désormais fini, le temps où le réchauffement climatique était brandi afin de tenter de faire changer les mentalités. On n’en est plus là. Nous sommes à présent les deux pieds dedans : les glaciers ne cessent de fondre, le niveau des eaux augmente, les vagues de chaleur se succèdent en différents points du globe, certains récifs de coraux tropicaux disparaissent et les zones favorables aux espèces de moustiques vectrices de maladies sont de plus en plus étendues. La fin du film apparait, là, devant nos yeux. Il n’est plus possible de revenir en arrière ou de mettre sur pause. Il ne reste plus qu’une solution, radicale : débrancher la prise.
- Relire à ce propos Les larmes des apatrides, autour du morceau Trail of Tears du même groupe.
- Belga et Maud Wilquin. « Climat : une consultante accuse Shell de « dégâts extrêmes », HSBC suspend un dirigeant », RTBF (23 mai 2022).
- Jean Martinez. « Chuck Billy : both natural and native », Radio Metal (13 août 2012).