Un ardent souhait d’erreur

Par Jean Cornil

Illustration : Vanya Michel

Sourdes inquié­tudes en cette fin d’été maus­sade : inon­da­tions dévas­ta­trices en Wal­lo­nie, en Midi-Pyré­nées, à New-York et dans l’ouest de l’Allemagne. Nou­veau rap­port, publié le 9 août, du GIEC dont les pers­pec­tives se révèlent encore plus catas­tro­phiques. Gigan­tesques incen­dies en Sibé­rie, en Cali­for­nie ou dans le Var qui, outre la déso­la­tion abso­lue pour la bio­di­ver­si­té, émettent des quan­ti­tés astro­no­miques de dioxyde de car­bone, les­quelles vont encore accen­tuer les pro­ces­sus de réchauf­fe­ment du cli­mat, dont le pôle Nord trans­pi­rant illustre par­fai­te­ment l’ampleur du phé­no­mène. Sans oublier, par­mi d’autres, l’extinction pro­gram­mée des abeilles.

Rajou­tons les fortes hausses annon­cées des prix de l’énergie – com­ment les plus modestes vont-ils payer le gaz et l’électricité ? – suite à la crois­sance de la demande des pays d’Asie, les ten­sions géo­po­li­tiques qui s’accroissent sur fond de bruits de bottes chi­noises et russes, de repli amé­ri­cain voire de « sor­tie de l’Europe de l’Histoire »… Le bilan, à l’aune des décen­nies qui défilent, s’alourdit dan­ge­reu­se­ment et le navire Terre tangue à la hau­teur des vagues d’incertitudes et de désastres annoncés.

À l’inverse, dans la maigre colonne des réjouis­sances posi­tives, les opti­mistes cite­ront en vrac le retour de Joe Biden dans les accords de Paris, l’expérimentation des bus à hydro­gène voire la gra­tui­té des trans­ports, les manifs des « Youth for Cli­mate », les éman­ci­pa­tions sexuelles et iden­ti­taires, les prises de conscience qui pro­gressent entre tri des déchets, boom sur le vélo, défi­lés de mode sans four­rure ani­male ou fast-food qui éli­minent les conte­nants plas­ti­fiés au pro­fit de l’eau de robi­net, laquelle sera – on vit en régime capi­ta­liste – payante…

Pas sûr, même en nuan­çant le tableau et en sou­li­gnant l’évidente com­plexi­té des choses humaines, que le bilan à l’heure des comptes – et des contes – per­mette d’éviter la sixième extinc­tion, selon l’expression consa­crée, et pas que des abeilles. Et peu de chances qu’un qui­dam, mal­gré les pro­grès de l’espérance de vie ou de la cryo­gé­ni­sa­tion, à ce moment-là, clame : « Je vous avais bien dit qu’il fal­lait chan­ger de para­digme, révo­lu­tion­ner la civi­li­sa­tion, trans­for­mer radi­ca­le­ment notre rap­port à l’animal et au végé­tal, bou­le­ver­ser nos modes de pro­duc­tion et de consom­ma­tion et pas som­no­ler dans la tran­si­tion et le déve­lop­pe­ment durable. Il s’agissait de perdre la guerre que nous menions depuis des siècles à la nature ! »

À l’heure des der­niers souffles épui­sés des grands récits théo­lo­gie-poli­tiques qui ont enchan­té les géné­ra­tions du siècle der­nier, pour le meilleur comme pour le pire, je cherche les traces d’un che­mi­ne­ment plus confiant en l’avenir de la pla­nète. Certes l’Histoire est tra­gique. Certes, dans les pas d’Albert Camus, notre géné­ra­tion doit évi­ter que le monde ne se défasse. Certes, sans ver­ser dans la « reduc­tio ad Hit­le­rum », les opti­mistes sont à Ausch­witz et les pes­si­mistes à New-York.

Peut-être, le che­min se révèle-t-il en mar­chant, comme l’exprime le juvé­nile cen­te­naire Edgar Morin, et des voies de méta­mor­phoses se dévoileront.

Mais, en moins de cin­quante ans, mal­gré quelques aver­tis­se­ments pro­phé­tiques, nous sommes pas­sés d’un pay­sage à un autre. Le per­son­nal com­pu­ter (PC) a détrô­né le Par­ti com­mu­niste (PC). Ce chan­ge­ment d’acronyme est la signa­ture de l’époque. Le car­bone a rem­pla­cé l’ennemi de classe. L’avenir radieux se noie dans l’intensité des flux de matière et d’énergie.

Devant tous ces élé­ments qui plombent par­fois le moral, puis-je pro­fon­dé­ment me trom­per et retrou­ver les élans enthou­siastes et ras­su­rants de mes jeunes années. Comme un ardent sou­hait d’erreur.

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