Un New Deal pour les activités culturelles et créatives

Photo : CC BY-SA 2.0 par Marshall Astor

La pré­sente contri­bu­tion se pro­pose de répondre briè­ve­ment aux ques­tions : Qu’est-ce qu’un artiste ? Les artistes sont-ils des tra­vailleurs comme les autres ? Quel sta­tut pour les artistes dans notre socié­té ? Com­ment les artistes sont-ils défen­dus par les syn­di­cats ? Quelle place pour la créa­tion dans notre socié­té ? L’art doit-il être ren­table ou bien consti­tue-t-il un ser­vice à la col­lec­ti­vi­té non-marchand ?


« Il faut apprendre à juger une socié­té à ses bruits, à son art, à ses fêtes plus qu’à ses sta­tis­tiques. » (Jacques Atta­li)

Qu’est-ce qu’un artiste ?

Dans son accep­tion moderne, l’artiste se défi­nit comme une « per­sonne qui se voue à l’expression du beau, pra­tique les beaux-arts, l’art »1. Si l’on veut pré­ci­ser plus avant cette notion, on consi­dère qu’un « “artiste” 2 est un indi­vi­du fai­sant (une) œuvre, culti­vant ou maî­tri­sant un art, un savoir, une tech­nique, et dont on remarque entre autres la créa­ti­vi­té, la poé­sie, l’originalité de sa pro­duc­tion, de ses actes, de ses gestes. Ses œuvres sont source d’é­mo­tions, de sen­ti­ments, de réflexion, de spi­ri­tua­li­té ou de trans­cen­dances »3. La Recom­man­da­tion de l’UNESCO, rela­tive à la condi­tion de l’ar­tiste, du 27 octobre 1980, défi­nit l’artiste comme « toute per­sonne qui, crée ou par­ti­cipe par son inter­pré­ta­tion à la créa­tion ou à la recréa­tion d’œuvres d’art, qui consi­dère sa créa­tion artis­tique comme un élé­ment essen­tiel de sa vie, qui ain­si contri­bue au déve­lop­pe­ment de l’art et de la culture, et qui est recon­nue ou cherche à être recon­nue, en tant qu’ar­tiste, qu’elle soit liée ou non par une rela­tion de tra­vail ou d’as­so­cia­tion quel­conque. »

La réforme de 2002, qui a intro­duit le nou­veau sta­tut de l’artiste, ne s’est pas appuyée sur la notion d’artiste, létat d’artiste est en effet indé­pen­dant des rela­tions de tra­vail pro­fes­sion­nelles. La nou­velle loi s’applique aux per­sonnes qui, sans être liées par un contrat de tra­vail, four­nissent des pres­ta­tions artis­tiques et/ou pro­duisent des œuvres artis­tiques contre paie­ment d’une rému­né­ra­tion pour le compte du don­neur d’ordre, dans le sec­teur de l’au­dio­vi­suel et des arts plas­tiques, de la musique, de la lit­té­ra­ture, du spec­tacle, du théâtre et de la cho­ré­gra­phie4.

L’artiste est-il un tra­vailleur comme un autre ?

Les artistes exercent leur métier de façon fort dif­fé­rente : seuls, en groupes nomades, ou en troupes rési­den­tielles, ou tout à la fois. Aujourd’hui, les dis­ci­plines artis­tiques tendent à s’interpénétrer : un comé­dien peut à tour de rôle sur un même pro­jet être met­teur en scène, auteur des textes, du décor ou de la cho­ré­gra­phie ; un artiste plas­ti­cien peut réa­li­ser des films, mettre en scène ses per­for­mances, asso­cier art visuel, image et texte. Au cours d’une car­rière, le cur­seur peut se dépla­cer, en avant mais aus­si en arrière, du niveau de l’honnête arti­san à celui de génie créa­teur, de l’exécutant banal chas­sant le cachet à celui d’étoile richis­sime ; de l’expérimentateur éthé­ré à l’entrepreneur effi­cace et fécond, de tra­vailleur subor­don­né à celle de sous-trai­tant ou d’employeur sur un ou plu­sieurs pro­jets. Comme dans tous les métiers, il y a donc mille et une façons d’exercer le métier d’artiste. Mais cette réa­li­té est bien plus com­plexe et variable que celle du tra­vailleur com­mun dont on attend un tra­vail stan­dard et objec­tif, si habile fût-il, ou un busi­ness rentable.

Des contraintes par­ti­cu­lières pèsent lour­de­ment sur tous les métiers artis­tiques. Ces métiers connaissent en effet des risques et dépen­dances tout à fait spé­ci­fiques : risque de créa­ti­vi­té lié à la per­son­na­li­té-même de l’artiste, temps de recherche-déve­lop­pe­ment récur­rent et non rému­né­ré, risque lié au carac­tère pro­to­ty­pique des œuvres et des pres­ta­tions, risque lié aux aléas non maî­tri­sables du suc­cès, aux dépen­dances vis-à-vis de la mode, de la média­tion cultu­relle (cri­tique), de nom­breux inter­mé­diaires (agents, tour­neurs, pro­duc­teurs, dis­tri­bu­teurs, édi­teurs, gale­ristes, etc.) ou encore inter­mit­tence de l’activité rému­né­rée, acti­vi­té trans­na­tio­nale5 et mul­ti-acti­vi­té obli­gée. De plus, ces pro­fes­sions ne sont ren­tables que par acci­dent et pour des périodes aléa­toires. La mon­dia­li­sa­tion des échanges, l’évolution rapide des tech­no­lo­gies de la com­mu­ni­ca­tion accen­tuent aujourd’hui les effets de ces contraintes. Bref, le tra­vail de l’artiste s’accomplit sur et dans l’incertain6.

Quel statut pour les artistes dans notre société ?

Comme toute acti­vi­té pro­fes­sion­nelle, même libé­rale, per­sonne ne conteste plus aujourd’hui que l’activité d’artiste peut s’exercer soit de façon indé­pen­dante, soit dans les liens d’un contrat de tra­vail ou d’un sta­tut.

Au pre­mier abord, on peut s’interroger sur la per­ti­nence d’adapter nos légis­la­tions sociales ou fis­cales aux métiers artis­tiques. On constate pour­tant que depuis le début des années 1980, une Recom­man­da­tion de l’UNESCO, des études et des dis­cus­sions avec tous les acteurs concer­nés menées en Bel­gique, mais éga­le­ment en Europe7 ont conclu à la néces­si­té d’organiser une assu­ra­bi­li­té sociale plus adap­tée pour être effec­tive, ain­si qu’une taxa­tion de leurs reve­nus plus proche de leur capa­ci­té contri­bu­tive.

Les règles géné­rales conçues après-guerre dans ces domaines ont pris pour base la situa­tion com­mune des tra­vailleurs de l’industrie et du com­merce ou l’hypothèse d’activités ren­tables, ce qui est loin d’être le cas dans les métiers artis­tiques. Depuis les années 70, la France, l’Allemagne, et plus récem­ment d’autres Etats euro­péens, comme le Luxem­bourg8, ont mon­tré la voie en amé­na­geant leurs règles d’assu­rances sociales ou d’aide sociale ain­si que leur régime fis­cal aux condi­tions de tra­vail et de reve­nus par­ti­cu­lières aux artistes du spec­tacle et aux créa­teurs : bas­cu­le­ment de la pro­tec­tion sociale des artistes indé­pen­dants dans le régime des sala­riés, règles d’accès et de main­tien des assu­rances amé­na­gées (chô­mage, vacances annuelles, retraite), nou­velles sources de finan­ce­ment des assu­rances sociales (par les entre­prises exploi­tant des œuvres ou des pres­ta­tions artis­tiques), éta­le­ment des reve­nus excep­tion­nels, déduc­tions for­fai­taires des charges pro­fes­sion­nelles, taxa­tion par­ti­cu­lière des droits d’auteur.

En Bel­gique, avant la réforme de 2002, il exis­tait deux dis­po­si­tions spé­ci­fiques rela­tives au tra­vail et aux reve­nus des artistes : l’une, assu­jet­tis­sant la rému­né­ra­tion des artistes de spec­tacles aux coti­sa­tions sociales dans le régime des sala­riés (Article 3, 2°, A.R 28.11.1969) — dont l’objectif avoué était de res­treindre la concur­rence déloyale menée par les artistes ama­teurs — a, dans les faits, contri­bué à main­te­nir le tra­vail artis­tique dans l’illégalité (tra­vail au noir) ; l’autre dis­po­si­tion, dis­pen­sant d’assujettissement au sta­tut social des indé­pen­dants les auteurs béné­fi­ciant effec­ti­ve­ment d’un sta­tut social équi­valent (article 5, A.R. n° 38 du 27.07.1967), a créé une insé­cu­ri­té sociale et fis­cale de leur sta­tut pen­dant des décen­nies. Cette situa­tion, insup­por­table, a été lar­ge­ment critiquée.

La réforme qui s’en est — fort labo­rieu­se­ment et incom­plè­te­ment — sui­vie consti­tue une grande pre­mière à l’échelle euro­péenne. Elle a créé, peut-être à son insu, l’embryon d’un nou­veau sta­tut social ori­gi­nal : le sta­tut sui gene­ris d’entre­pre­neur qua­si-sala­rié : l’autonomie dans la sécu­ri­té. En syn­thèse : l’activité artis­tique peut être exer­cée au choix de l’artiste, sous sta­tut social de sala­rié (accès aux pres­ta­tions sociales des sala­riés)9 ou d’indépendant10 — outre bien sûr, en cas de subor­di­na­tion, sous contrat de tra­vail -, et la per­sonne qui paie la rému­né­ra­tion est rede­vable des coti­sa­tions sociales au titre d’employeur. À cette mesure fon­da­men­tale, viennent s’ajouter des dis­po­si­tions mineures : une réduc­tion des coti­sa­tions patro­nales faci­lite les res­pect de la loi ou incite à l’engagement d’artistes ; les pres­ta­tions artis­tiques et celles des tech­ni­ciens du spec­tacle exer­cées sous l’autorité d’un employeur ou uti­li­sa­teur occa­sion­nels (pas les entre­prises cultu­relles ou occu­pant déjà du per­son­nel)11 peuvent consti­tuer du tra­vail tem­po­raire pres­té à l’intervention de bureaux sociaux pour artistes (les B.S.A.) ; de petites indem­ni­tés12 ne sont ni taxables, ni sou­mises à coti­sa­tions sociales. Ce sta­tut sui gene­ris d’entrepreneur qua­si-sala­rié étend la sécu­ri­té sociale du régime géné­ral à tous les artistes indé­pen­dants, artistes inter­prètes, du spec­tacle et artistes créa­teurs, y com­pris l’assurance chômage.

Selon Euro­stat, en 2009, il exis­tait en Bel­gique 26.300 artistes (ils étaient 27.700 en 2004), ce qui repré­sen­te­rait 0,6% du total de la popu­la­tion active13, soit une légère dimi­nu­tion depuis l’adoption du nou­veau sta­tut de l’artiste en 200214. Avec son 0,6 %, la Bel­gique se situe dans la moyenne basse des pays de l’Ouest euro­péen, le pour­cen­tage d’artistes fluc­tuant dans cette zone entre 0,5 % et 1,3 % de la popu­la­tion active, les Pays-Bas se situant dans la moyenne supé­rieure, à l’instar des autres pays du Nord de l’Europe (Suède et Fin­lande) qui atteignent 1,5 %.

Selon l’ONEm, en 2009, 6.904 tra­vailleurs ayant fait appel aux allo­ca­tions de chô­mage auraient décla­ré l’exercice d’une acti­vi­té artis­tique. Ils étaient 7.448 en 201015. Ces chiffres ont sus­ci­té des cris d’orfraie de la part de cer­tains qui veulent y voir une fraude sociale à grande échelle : des abus auraient été consta­tés quant au champ d’application de la réforme, ain­si que dans l’accès à l’assurance et au béné­fice des allo­ca­tions de chômage.

On observe cepen­dant que le nombre de per­sonnes exer­çant une acti­vi­té artis­tique et béné­fi­ciant peu ou prou des indem­ni­tés de chô­mage ne s’élèverait qu’à un peu plus du quart des artistes actifs en Bel­gique. Ne peut-on pas se réjouir de l’évolution de la situa­tion, et du fait qu’aujourd’hui, une par­tie des per­sonnes exer­çant une acti­vi­té artis­tique accèdent (enfin) aux assu­rances sociales, y com­pris à l’assurance chô­mage16 ?

Comment les artistes sont-ils défendus par les syndicats ?

Les repré­sen­tants des syn­di­cats sont actifs dans cer­tains sec­teurs cultu­rels seule­ment (audio­vi­suel, ciné­ma, spec­tacle). Depuis tou­jours, ils défendent, par la voie ins­ti­tu­tion­na­li­sée de la négo­cia­tion col­lec­tive, le sala­riat et les avan­tages sociaux qui y sont tra­di­tion­nel­le­ment asso­ciés. Les indé­pen­dants ne relèvent pas de leurs pré­oc­cu­pa­tions. Des sec­teurs artis­tiques entiers ne sont donc pas concer­nés par ces négo­cia­tions (arts visuels et gra­phiques, B.D., écri­ture lit­té­raire), et cer­taines pro­blé­ma­tiques liées aux acti­vi­tés artis­tiques indé­pen­dantes, mul­ti­dis­ci­pli­naires ou à la mobi­li­té trans­na­tio­nale les dépassent. Au cours des der­nières décen­nies, la ges­tion des droits intel­lec­tuels, droit d’auteur et voi­sins, les a par­ti­cu­liè­re­ment mobi­li­sés. Les ques­tions liées au sta­tut de l’artiste semblent les inquié­ter dès lors qu’ils craignent le déve­lop­pe­ment de nou­veaux concepts et l’émergence de nou­velles struc­tures sor­tant du cadre strict du salariat.

Quelle place pour la création dans notre société ?

On observe de tous temps, dans toutes les socié­tés, même lorsqu’ils subissent des condi­tions extrêmes comme celles des camps d’extermination, que les humains recherchent la pré­sence dis­trayante, récon­for­tante ou éclai­rante de la Culture, de l’Art.

La Bel­gique peut se gran­dir d’avoir adop­té un sta­tut ori­gi­nal pour les artistes. Et plu­tôt que d’envisager uni­que­ment les coûts liés à l’adoption de celui-ci, notam­ment l’assurance chô­mage, et de consi­dé­rer que les sub­ven­tions et autres mesures sou­te­nant la culture alour­dissent les finances publiques, ne faut-il pas éga­le­ment éva­luer et chif­frer tous les avan­tages qu’apportent nombre de per­sonnes qui peuvent main­te­nant tra­vailler offi­ciel­le­ment, payent leurs impôts et génèrent pour l’État des recettes directes et indi­rectes ? On sait que le tou­risme se déve­loppe en Bel­gique là où des mani­fes­ta­tions cultu­relles, des fes­ti­vals sont orga­ni­sés17. L’attrac­tion cultu­relle consti­tue aujourd’hui la seconde moti­va­tion des Euro­péens, après le coût, pour choi­sir une des­ti­na­tion de vacances ou de séjour18. Le tax shel­ter se révèle un inci­tant fis­cal tout à fait béné­fique pour notre pays dans le domaine du ciné­ma19. Pour­quoi pas un tax shel­ter pour les Arts (arts du spec­tacle, visuels, numé­riques) ? Les com­mer­çants d’Avignon pleurent quand les artistes sont en grève. Bil­bao a recon­ver­ti ses chan­tiers navals en musée d’art contem­po­rain avec un suc­cès inima­gi­nable. Le TRM est deve­nu l’un des meilleurs opé­ras euro­péens, une fenêtre de visi­bi­li­té pres­ti­gieuse sur notre pays et une des­ti­na­tion de choix pour les mélo­manes belges et étrangers.

L’Art est socia­le­ment néces­saire et éco­no­mi­que­ment utile lorsqu’il n’est pas rentable.

Un New Deal pour les Arts et la créativité

Aujourd’hui, les quelques dis­po­si­tions sociales adop­tées en 2002 sur le sta­tut de l’artiste ne peuvent res­ter en l’état. La récente crise, pro­vo­quée par l’ONEm vis-à-vis des artistes, doit être mise à pro­fit pour avan­cer, sur deux plans : la pour­suite de la construc­tion du sta­tut de l’artiste et le déve­lop­pe­ment d’un cadre éco­no­mique et juri­dique pro­pice au déve­lop­pe­ment des indus­tries cultu­relles et créatives.

L’implémentation du sta­tut social et fis­cal de l’artiste doit être pour­sui­vie de façon intel­li­gente et cohérente.

Par exemple, en matière d’assujettissement aux assu­rances sociales, ne fau­drait-il pas cla­ri­fier et étendre le champ d’application du nou­veau sta­tut et ins­tau­rer une uni­ci­té d’assujettissement au régime géné­ral de sécu­ri­té sociale ? Qu’est-ce que la créa­tion, l’interprétation ou l’exécution artis­tique visées par le nou­veau sta­tut ? Faut-il y voir la notion juri­dique d’œuvre lit­té­raire ou artis­tique — dont le cri­tère essen­tiel est l’originalité -, ou la notion d’interprétation ou exé­cu­tion artis­tique rele­vant du droit de la pro­prié­té lit­té­raire et artis­tique ? Le légis­la­teur de 2002 ne donne aucune défi­ni­tion pré­cise de ces notions, pour­tant pierre angu­laire de sa réforme. On peut donc pen­ser qu’il s’en est remis à la juris­pru­dence pour les éclai­rer. Toute règle de droit doit en défi­ni­tive être inter­pré­tée, au cas par cas, par le juge. Avant la réforme, la juris­pru­dence, inter­pré­tant sans doute lar­ge­ment les textes de l’époque, avait, par exemple, esti­mé que les effeuilleuses rele­vaient de la caté­go­rie des artistes de spec­tacles, tout comme les DJ’s. Aujourd’hui, faut-il inter­pré­ter res­tric­ti­ve­ment une loi éten­dant le champ d’application de la sécu­ri­té sociale à une caté­go­rie de tra­vailleurs aty­piques, par­ti­cu­liè­re­ment pré­caires ? Il nous paraît que l’inter­pré­ta­tion large de la loi devrait conti­nuer à pré­va­loir. A la liste des sec­teurs d’application (audio­vi­suel, arts plas­tiques, musique, lit­té­ra­ture, spec­tacle, théâtre et cho­ré­gra­phie) ne fau­drait-il pas ici pré­fé­rer les termes domaines d’expression ? Les artistes tra­vaillent dans tous les sec­teurs de l’économie. Les arts gra­phiques et numé­riques, qui ont pris une place impor­tante dans les pra­tiques artis­tiques, ne devraient-ils pas être clai­re­ment visés. Les métiers d’artistes se pra­tiquent sous divers aspects : une dan­seuse, un musi­cien, sala­riés en prin­cipe, dis­pensent des cours, coachent des élèves. Doivent-ils dans cet autre aspect de leur acti­vi­té, l’enseignement, être assu­jet­tis paral­lè­le­ment comme indé­pen­dant ? On sait que le cumul des sta­tuts sociaux, et la mul­ti­pli­ca­tion des coti­sa­tions qui en résulte, est finan­ciè­re­ment inte­nable. La seule solu­tion viable est donc l’uni­ci­té d’assujettissement dans le régime géné­ral de sécu­ri­té sociale. Ne faut-il pas alors clai­re­ment étendre le nou­veau sta­tut de l’artiste à l’enseignement des arts, y com­pris l’animation d’ateliers, au conseil ou à la direc­tion artis­tique ? Les tech­ni­ciens du spec­tacle et de l’enregistrement sonore ou audio­vi­suel connaissent les mêmes condi­tions de tra­vail que les artistes inter­prètes. Ne devraient-ils pas pou­voir eux aus­si béné­fi­cier du même statut ?

Autres exemples d’améliorations. En matière de coti­sa­tions sociales : ne faut-il pas, à l’instar d’autres pays, recon­naître des for­faits de frais pro­fes­sion­nels spé­ci­fiques, ces frais étant récur­rents et pas néces­sai­re­ment à charge de l’employeur ? Les coti­sa­tions sociales d’indépendant ne pour­raient-elles pas être cal­cu­lées sur les reve­nus nets sans mini­ma ? En matière d’assurance chô­mage : l’accès des créa­teurs ne devraient-ils pas être basé sur la règle du cachet (les reve­nus sont conver­tis en jours de tra­vail) ? Le tra­vail inter­mit­tent ne devrait-il pas être pris en compte de façon plus réa­liste (emploi conve­nable) ? Le déve­lop­pe­ment de pro­jets ne devrait-il pas équi­va­loir à la recherche d’emploi ? Et sur­tout, en cas d’activité artis­tique deve­nue prin­ci­pale, ne fau­drait-il pas sim­ple­ment sus­pendre le paie­ment des allo­ca­tions (et non pas exclure l’artiste et lui impo­ser un nou­veau stage) pour sta­bi­li­ser son sta­tut social et évi­ter des bas­cules à répé­ti­tion dans le sta­tut des indé­pen­dants ? Etc. En matière d’emploi : ne faut-il pas adap­ter les mesures inci­ta­tives au tra­vail de courte durée ? En matière fis­cale : ne doit-on pas ins­tau­rer l’étalement de la taxa­tion sur les reve­nus excep­tion­nels ? Per­mettre la déduc­tion des frais pro­fes­sion­nels en cas d’activité artis­tique non pro­duc­tive de reve­nus suffisants ?

Mais le sta­tut de l’artiste doit aus­si s’insérer dans un envi­ron­ne­ment plus glo­bal, pro­pice au déve­lop­pe­ment des acti­vi­tés artis­tiques et créa­tives20.

Le sec­teur artis­tique et créa­tif doit être mieux struc­tu­ré et plus clai­re­ment sou­te­nu par des outils d’activité simples, comme des secré­ta­riats sociaux ad hoc, admi­nis­trant et sécu­ri­sant au mieux l’activité natio­nale et inter­na­tio­nale des tra­vailleurs inter­mit­tents de ces sec­teurs, des outils de col­la­bo­ra­tion  (le tra­vail col­la­bo­ra­tif, ni subor­don­né, ni indé­pen­dant21), des outils de ges­tion admi­nis­tra­tive de pro­jets artis­tiques (une nou­velle forme sécu­ri­sée de tri­an­gu­la­tion du tra­vail22), et des outils d’information inter­ac­tive sur les pro­jets et les pres­ta­tions, les demandes des entre­prises et des orga­nismes publics et pri­vés. Outre des fonds d’investissement dans les ser­vices aux entre­prises créa­tives23, un cadre juri­dique clair, faci­li­ta­tif et inci­ta­tif, comme un tax shel­ter pour les Arts et le spec­tacle vivant24 devrait être mis en place.

L’Union euro­péenne s’est don­née pour moteur de com­pé­ti­ti­vi­té le déve­lop­pe­ment de l’innovation et de la créa­ti­vi­té. La Com­mis­sion vient de lan­cer une stra­té­gie ambi­tieuse pour déve­lop­per la crois­sance et l’emploi dans les sec­teurs de la culture et de la créa­tion25.

L’Art peut être, comme le sang, l’argent, une force vitale qui nour­rit, irrigue et vivi­fie toute socié­té humaine, sus­cite la joie, ouvre l’esprit et opère comme pro­fond vec­teur de par­tage entre les Hommes. C’est un aspect du génie humain et un outil qui devrait être beau­coup mieux com­pris, sou­te­nu et uti­li­sé comme fac­teur de déve­lop­pe­ment de la Bel­gique, et par­ti­cu­liè­re­ment de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles. Une oppor­tu­ni­té à sai­sir. Le temps est compté.

  1. Le Petit Robert, Dic­tion­naire de la langue fran­çaise, Paris, 1996.
  2. Du latin ars, artis : habi­le­té, métier, connais­sance technique.
  3. Ency­clo­pé­die en ligne Wikipedia.
  4. Article 1bis, loi 27.06.1969, révi­sant l’ar­rê­té-loi du 28.12.1944 concer­nant la sécu­ri­té sociale des travailleurs.
  5. En Bel­gique, le sec­teur des acti­vi­tés créa­tives, des arts et de l’amusement est le troi­sième sec­teur, après celui de la construc­tion spé­cia­li­sée et de l’intérim et avant celui de la construc­tion, en nombre de déta­che­ments à l’étranger d’assurés sociaux rési­dant en Bel­gique!! (Ques­tion par­le­men­taire n° 212 de Guy D’Haeseleer au Ministre des affaires sociales, 18 juin 2008).
  6. V. notam­ment P.-M. Men­ger, Le Tra­vail créa­teur — S’ac­com­plir dans l’in­cer­tain, Paris, 2009, Gal­li­mard-Seuil-Édi­tions de l’E­HESS, coll. « Hautes Études », 670 pp.; Por­trait de l’artiste en tra­vailleur — Méta­mor­phoses du capi­ta­lisme, Paris, 2002 Edi­tions du Seuil La Répu­blique des idées, 96 pp. ; R. Mou­lin et P. Cos­ta, L’Artiste, l’institution et le mar­ché, Paris, 2009, Flam­ma­rion, Champs Arts, Poche ; R. Mou­lin, Le Mar­ché de l’art : Mon­dia­li­sa­tion et nou­velles tech­no­lo­gies, Paris, 2009, Flam­ma­rion, Champs Art, Poche ; SMart Éd., L’Artiste au tra­vail — État des lieux et pros­pec­tives – De Kuns­te­naar aan het werk – een stand van zaken en de toe­kom­st­pers­pec­tie­ven, Bruxelles, 2008, SMart – Bruy­lant, 2008 ; S. Capiau, La Créa­tion d’un envi­ron­ne­ment juri­dique et éco­no­mique appro­prié pour les acti­vi­tés artis­tiques – Néces­si­té et urgence d’une inter­ven­tion publique, 2000, 44 pp., Conseil de l’Europe, Stras­bourg, DGIV/CULT/MOSAIC52000°22, 44 pp.
  7. La Recom­man­da­tion de l’UNESCO rela­tive à la condi­tion de l’artiste ; A. Nayer, X. Parent, J. Van Lan­gen­donck, Étude ayant pour objet une ana­lyse de l’importance de l’activité artis­tique dans l’économie belge et les pos­si­bi­li­tés de l’augmenter par une réforme du sta­tut social et fis­cal des artistes – Rap­port final adres­sé à l’État belge, repré­sen­té par le ministre de l’économie et de la recherche scien­ti­fique, avril 2000, 342 pp. ; dif­fé­rents Rap­ports du Par­le­ment euro­péen ( Pack 1991, Vaz da Sil­va 1999, Fraisse 2002 et Gibault 2006) ont abou­ti à des réso­lu­tions du Par­le­ment invi­tant les États Membres à adop­ter des dis­po­si­tions sociales et fis­cales amé­lio­rant le sta­tut des artistes, notam­ment la Réso­lu­tion du Par­le­ment euro­péen du 9 mars 1999 sur la situa­tion et le rôle des artistes dans l’Union euro­péenne, la Réso­lu­tion du Par­le­ment euro­péen sur l’im­por­tance et le dyna­misme du théâtre et des arts du spec­tacle dans l’Eu­rope élar­gie (2001/2199(INI)), la Réso­lu­tion du Par­le­ment euro­péen du 7 juin 2007 sur le sta­tut social des artistes (2006/2249(INI)) ; Un sta­tut pour les artistes. Solu­tions concrètes pour la sécu­ri­té sociale et la fis­ca­li­té des artistes. Rap­port final des tra­vaux de la table ronde, CERP, 1993.
  8. V. notam­ment La Situa­tion des pro­fes­sion­nels de la créa­tion artis­tique en Europe, ERI­Carts, Bonn, pour le Par­le­ment Euro­péen, Dépar­te­ment thé­ma­tique Poli­tiques struc­tu­relles et de Cohé­sion, Culture et Édu­ca­tion, Direc­tion géné­rale Poli­tiques internes de l’Union, IP/B/CULT/ST/2005_89, 03.08.2006, S. Capiau et A. Wie­sand, avec la col­la­bo­ra­tion de Danielle Cliche, et avec des contri­bu­tions addi­tion­nelles de Ves­na Copic et Rit­va Mit­chell, et un réseau d’experts euro­péens, 139 pp.
  9. Le nou­vel article 1bis, insé­ré dans la loi du 27 juin 1969 révi­sant l’ar­rê­té-loi du 28 décembre 1944 concer­nant la sécu­ri­té sociale des tra­vailleurs, s’applique aux per­sonnes qui, sans être liées par un contrat de tra­vail, four­nissent des pres­ta­tions artis­tiques et/ou pro­duc­tion des oeuvres artis­tiques « dans le sec­teur de l’au­dio­vi­suel et des arts plas­tiques, de la musique, de la lit­té­ra­ture, du spec­tacle, du théâtre et de la cho­ré­gra­phie ». La per­sonne de qui elles reçoivent leur rému­né­ra­tion est consi­dé­rée comme l’employeur.
  10. Lorsqu’une per­sonne qui four­nit des pres­ta­tions artis­tiques et/ou pro­duit des oeuvres artis­tiques prouve qu’elles ne sont pas four­nies dans des condi­tions socio-éco­no­miques simi­laires à celles dans les­quelles se trouve un tra­vailleur par rap­port à son employeur, elle peut sol­li­ci­ter une décla­ra­tion d’indépendant à la Com­mis­sion Artistes.
  11. L’employeur et l’utilisateur occa­sion­nel est celui qui n’a pas pour acti­vi­té prin­ci­pale l’organisation de mani­fes­ta­tions cultu­relles ou la com­mer­cia­li­sa­tion de créa­tions artis­tiques, ou qui n’occupe pas d’autre per­son­nel pour lequel il est assu­jet­ti à la sécu­ri­té sociale des tra­vailleurs (A.R. 23 mai 2003).
  12. Mon­tants maxi­ma pour 2012 : annuel : 2.361,52 EUR — jour­na­lier : 118,08 EUR (Source : ONSS).
  13. Alors qu’on pou­vait en dénom­brer 27.700 en 2004. Ces chiffres regroupent les écri­vains, les artistes créa­teurs et les artistes du spec­tacle (ISCO 245). Source : Euro­stat, EU-LFS, in Euro­stat Pocket­books, Cultu­ral Sta­tis­tics, Euro­pean Com­mis­sion, 2011, p.77.
  14. Pen­dant la même période, en France, on est pas­sé de 150.500 artistes en 2004 à 180.200 en 2009, ce qui repré­sente 07% de la popu­la­tion active ; aux Pays-Bas, de 99.300 artistes en 2004 à 107.500 artistes en 2009, ce qui repré­sente, 1,3% de la popu­la­tion active ; en Alle­magne on est pas­sé de 235.000 artistes en 2004 à 327.800 en 2009, ce qui repré­sente 0,8 % de la popu­la­tion active, en Espagne, on est pas­sé de 77.600 artistes en 2004 à 101.500 artistes en 2009, ce qui repré­sente 0,5 % de la popu­la­tion active ; en Ita­lie, on est pas­sé de 118.300 artistes en 2004 à 119.100 artistes en 2009, ce qui repré­sente 0,5 % de la popu­la­tion active, au G‑D de Luxem­bourg on est pas­sé de 600 artistes en 2004 à 1.500 artistes en 2009, ce qui repré­sente 0,7 % de la popu­la­tion active ; au Royaume-Uni on est pas­sé de 140.500 artistes en 2004 à 195.600 artistes en 2009, ce qui repré­sente 0,7 % de la popu­la­tion active.
  15. Ques­tion écrite n° 5 – 1059 de B. Anciaux du 31.01.2011, à la vice-pre­mière ministre et ministre de l’Emploi et de l’Égalité des chances, char­gée de la Poli­tique de migra­tion et d’asile.
  16. Se réjouir peut sem­bler para­doxal, mais le chô­mage intermittent.
  17. RTBF La Pre­mière, Jour­nal 30.08.2012, 9:00.
  18. Cultu­ral Sta­tis­tics, op.cit., p. 161.
  19. Depuis sa créa­tion en 2004 jusqu’à 2010, cette mesure fis­cale a engen­dré un gain net de 77 mil­lions d’euros pour l’État, géné­ré une crois­sance de l’emploi de 23 % (8,5% en moyenne en Bel­gique) et de 25% du nombre d’indépendants dans l’audiovisuel, le nombre de films belges a cru de 250%, leurs récom­penses de 49%, A. Pei­gnois, « La Pro­duc­tion audio­vi­suelle rap­porte 77 mil­lions à l’État », LeSoir.be, 04.07.2012,16 :17.
  20. Le Rap­port du KEA Euro­pean Affairs, L’Économie de la Culture en Europe, réa­li­sée pour la Com­mis­sion Euro­péenne, DG EAC en 2006, sou­ligne à la fois la contri­bu­tion directe (en termes de PIB, crois­sance et emploi) et la contri­bu­tion indi­recte (liens avec la créa­ti­vi­té et l’in­no­va­tion, liens avec le sec­teur des TIC, déve­lop­pe­ment et attrac­ti­vi­té des régions) du sec­teur cultu­rel et créa­tif à l’A­gen­da de Lis­bonne. Quelques chiffres : le chiffre d’af­faires du sec­teur était de 654 mil­liards d’eu­ros en 2003 ; le sec­teur a contri­bué au PNB com­mu­nau­taire à hau­teur de 2,6 % en 2003 ; la valeur ajou­tée du sec­teur a crû de 19,7 % de 1999 à 2003 ; en 2004, 5,8 mil­lions de per­sonnes au moins étaient employées dans le sec­teur, soit 3,1 % des emplois totaux en Europe. Le Rap­port KEA sur L’impact de la culture de 2009 plaide pour que le déve­lop­pe­ment de poli­tiques en matière d’innovation soient à l’avenir conçues de telle sorte qu’elles recon­naissent l’aspect inter­sec­to­riel et mul­ti­dis­ci­pli­naire de la créa­ti­vi­té, qui asso­cie les élé­ments de la « créa­ti­vi­té basée sur la culture », « la créa­ti­vi­té éco­no­mique » ain­si que « l’innovation tech­no­lo­gique et scien­ti­fique ». Le Rap­port L’Economie Créa­tive 2010, publié par la CNUCED, Confé­rence des Nations Unies sur le Com­merce et le Déve­lop­pe­ment, met à jour des don­nées empi­riques qui montrent com­bien l’économie créa­tive consti­tue un des sec­teurs émer­gents les plus dyna­miques de l’économie mondiale.
  21. V. M. Her­mia, « Le rôle de la culture et la place de l’artiste, défor­més par le prisme de l’idéologie néo­li­bé­rale », PAC.
  22. V. S. Capiau, « L’artiste à l’avant-garde des nou­velles formes de tra­vail ? » et P.-M. Men­ger, « Le tra­vail au pro­jet. Réflexions sur le sec­teur artis­tique et sur la néces­si­té de finan­cer de façon spé­ci­fique la sécu­ri­té sociale », in L’Artiste au tra­vail – état des lieux et pers­pec­tives, Bruylant/SMart, Bruxelles, 2008, p. 271 à 287.
  23. Des fonds d’investissement aux entre­prises créa­tives ont été récem­ment créés comme St’Art et KultuurInvest.
  24. R. Rosoux, « Le Tax Shel­ter : une exten­sion à d’autres sec­teurs que l’audiovisuel ? », in L’artiste au tra­vail, op.cit., p. 223 à 228.
  25. Voir : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/12/1012&;format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=fr ; Europe créa­tive ; La poli­tique de cohé­sion de l’UE pour la période 2014 – 2020 ; Site web de la com­mis­saire Androul­la Vassiliou.

Suzanne Capiau est avocate au Barreau de Bruxelles, médiateur, maîtresse de conférences à l’ULB. (audiovisuel et spectacle vivant) et chargée de cours à l’Université de Lorraine (multimédias et internet).

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