
Les lecteurs attentifs de cette chronique – un milliard d’individus au bas mot… – savent que son leitmotiv, outre la défense acharnée de l’art d’en bas, est implicitement, et métaphoriquement, contenu tout entier dans une poupée russe. Le message est on ne peut plus clair : tout est dans tout ! Et réciproquement.
Mais qui est-elle au juste cette poupée russe, aussi appelée matriochka ou poupée gigogne ?
C’est une idole. De bois. Très impudique puisqu’elle nous invite à voyager au plus profond d’elle-même. Une expédition de l’étagère vers le centre de la Terre, par strates ou couches successives. Suivant la technique de l’oignon.
Mais pourquoi diable répondre à son appel ? L’objet de ce voyage n’est-il pas, en effet, prédéfini par la logique torve d’un fabricant ou pire, d’un commanditaire ? Il n’y a donc pas de raison valable à cette aventure de salon, si ce n’est la pulsion de la quête…
Vers qui, vers quoi ? Une star de l’effeuillage ? Les douze apôtres ou les douze salopards ? Un dictateur peut-être ? Puis un autre, puis un autre, puis un autre… Jusqu’au plus petit des dictateurs. Dont la cruauté serait inversement proportionnelle à la taille.
Il doit exister aussi une poupée russe islamiste dont on dévoilerait, au fur et à mesure, les mollahs et ayatollahs empilés (très difficile à prononcer ça) jusqu’à la révélation du prophète : un morceau de bois non peint celui-là, ne figurant rien d’autre que la matière elle-même. Et si Mahomet n’était au fond que la métaphore du vide originel dont nous sommes toutes et tous issus ?
De l’hypothèse théologique à la pataphysique spatiale, il n’y a qu’un pas. C’est pourquoi certains disciples d’Alfred (Jarry) pensent également que le big bang lui-même prit naissance à la plus infime limite d’une poupée russe. Selon cette théorie, l’expansion de l’univers serait donc le produit du développement continu, par couches, de la plus petite à la plus grande, d’une formidable poupée ! Et tôt ou tard – d’aucuns disent bientôt… – une couche incommensurable submergera notre univers tout entier. La dernière ligne d’horizon de l’humanité, au-delà de laquelle nous ne verrions que du vide, serait donc bel et bien la face cachée d’une poupée gigogne ! Une sorte de miroir céleste sur lequel, l’espace d’un instant, se reflèteront nos vanités qu’on croyait éternelles. Bien fait pour nos gueules.
Et si cette histoire de va-et-vient n’avait finalement aucun sens ?
Profitons dès lors des quelques instants qui nous restent pour vous conseiller un détour par les œuvres plastiques superbes de Sara Conti, artiste montoise qui utilise notamment les formes galbées de la matriochka comme support de création. Tapez Sara Conti sur votre moteur de recherches et laissez-vous surprendre.
C’est bien quand nos vies s’emboîtent, non ?