What Else ? Un autre chemin

Le grand natu­ra­liste Théo­dore Monod écri­vait que « la civi­li­sa­tion se construit non sur des com­pli­ci­tés faciles, des démis­sions, des escla­vages mais sur des refus, des rup­tures, des dépas­se­ments ». Et c’est bien l’enjeu his­to­rique car­di­nal de notre moder­ni­té : com­ment orien­ter le bas­cu­le­ment du monde en cours vers de la soli­da­ri­té, du par­tage et du plai­sir plu­tôt que de bar­bo­ter en cla­quant des dents dans « les eaux gla­cées du cal­cul égoïste » selon la célèbre for­mule de Karl Marx ?

Com­ment enrayer la spi­rale de l’austérité, de la rigueur, de l’effritement de l’État-providence, de l’effondrement des dépenses publiques au nom des prin­cipes deve­nus sacrés pour les avo­cats tenaces du capi­ta­lisme mon­dia­li­sé, tels l’équilibre bud­gé­taire, la cor­res­pon­dance entre l’offre et la demande, la ver­tu intrin­sèque du mar­ché, le tra­vail et l’intérêt éri­gés comme prin­cipes de sens ultime de la vie ? Avec des relais assu­rés, de la Com­mis­sion euro­péenne aux grands médias inter­na­tio­naux, pour pro­mou­voir cette concep­tion de l’existence qui tend à trans­for­mer l’homme en moine tout au long de son par­cours d’esclave, mou­ton pour voter, four­mi pour tra­vailler, âne pour consommer.

Mais c’est mal mesu­rer la souf­france sociale, la détresse des peuples, le déses­poir des sans-voix et des sans-droits, la révolte qui gronde, voire l’insurrection qui vient, que de s’obstiner à s’accrocher à des dogmes éco­no­miques qui conduisent la pla­nète droit dans le mur. Céci­té intel­lec­tuelle et autisme social. Le refrain n’est pas neuf et l’Histoire regorge de ces absences d’anticipation qui nous ont pré­ci­pi­tés dans l’abîme. En 1928, le Pré­sident Hoo­ver affir­mait que « la pros­pé­ri­té était au coin de la rue ». En 1928 !

Pour­tant, un autre monde est pos­sible comme le pro­clame l’expression conve­nue. De Marx à Keynes, de Sti­glitz à Krug­man, de Sen à Pas­set, nombre de savants, avec leurs pro­fondes dif­fé­rences, ont décryp­té le réel en expli­quant de manière éru­dite ou pro­fane qu’aucune fata­li­té, à l’exception notable des limites phy­siques à nos vies et de la bio­sphère, ne nous condui­sait auto­ma­ti­que­ment à l’inégalité, à la concur­rence, au glo­bal burn-out comme l’exprime Pas­cal Cha­bot. Des alter­na­tives se sont construites. Des expé­riences his­to­riques on été ten­tées. Des uto­pies ont été ima­gi­nées. Notre liber­té intrin­sèque d’humain, acteur de notre des­tin, nous per­met, si nous en fai­sons le choix, de « trans­for­mer l’eau de vais­selle en élixir de vie ». Nous sommes bien « condam­nés à être libres », et rien ne nous oblige à suf­fo­quer dans une atmo­sphère de plus en plus rare en oxy­gène moral.

Mieux encore, des citoyens et cer­tains diri­geants ont trou­vé en eux et dans les cir­cons­tances his­to­riques, les res­sorts sus­cep­tibles de remo­de­ler l’avenir des humains. Au 20e siècle, F.D. Roo­se­velt a mis en œuvre en cent jours une réforme radi­cale de la socié­té amé­ri­caine qui a per­du­ré jusqu’aux années 70. Jusqu’au grand ren­ver­se­ment conser­va­teur et ultra­li­bé­ral de That­cher et Rea­gan. Qua­rante années piteuses, après les Trente glo­rieuses, dont nous pres­sen­tons l’essoufflement final annon­cé par nombre d’intellectuels. Aujourd’hui, des méta­mor­phoses sociales de grande ampleur, dans le même esprit, plus juste et plus par­ta­geur, sont en cours notam­ment en Amé­rique latine. Des acteurs, jusqu’à pré­sent plu­tôt dociles, ont des sur­sauts sal­va­teurs, des juges de la Cour consti­tu­tion­nelle du Por­tu­gal aux jour­na­listes qui ont dénon­cé les para­dis fis­caux. Sans comp­ter toutes les ini­tia­tives citoyennes qui éclosent ça et là où la résis­tance de cer­tains mou­ve­ments, par­tis ou syn­di­cats qui refusent l’ordre domi­nant du monde. En témoigne chez nous le suc­cès impré­vu d’une banque alternative.

Notre des­tin n’est pas tout tra­cé et il y a, contrai­re­ment à la for­mule, une alter­na­tive. Toutes les ana­lyses de Pierre Lar­rou­tu­rou ou de Jean-Paul Fitous­si le démontrent lumi­neu­se­ment. Les quinze pro­po­si­tions du Col­lec­tif Roo­se­velt les tra­duisent clai­re­ment en options concrètes et immé­dia­te­ment réa­li­sables. Cela dépend de la volon­té poli­tique de nos gou­ver­ne­ments. C’est-à-dire des peuples. C’est-à-dire de vous et de moi.

What else ? Oui, il y a bien un autre chemin.

F.D. Roosevelt

Avocat, sénateur de l’État de New-York puis gouverneur de cet État, F.D. Roosevelt est frappé par la poliomyélite en 1921 qui le paralyse des jambes. Seul président à être réélu trois fois, il prend des mesures exceptionnelles et d’urgence face à l’aggravation de la crise en cent jours, de novembre 1932 à mars 1933 : c’est le New Deal. L’État intervient de manière volontariste dans l’économie : loi sur l’agriculture, réorganisation de la production industrielle par la réduction des excès de la concurrence et la fixation des prix, limitation de la durée du travail, salaire minimal, vaste plan de travaux publics pour endiguer le chômage massif (barrages, rénovation des routes, restauration des écoles, drainage des marais, programmes environnementaux), réorganisation du système bancaire pour contrer l’origine spéculative de la crise par la limitation du recours au crédit et par la séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires.

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