Comment enrayer la spirale de l’austérité, de la rigueur, de l’effritement de l’État-providence, de l’effondrement des dépenses publiques au nom des principes devenus sacrés pour les avocats tenaces du capitalisme mondialisé, tels l’équilibre budgétaire, la correspondance entre l’offre et la demande, la vertu intrinsèque du marché, le travail et l’intérêt érigés comme principes de sens ultime de la vie ? Avec des relais assurés, de la Commission européenne aux grands médias internationaux, pour promouvoir cette conception de l’existence qui tend à transformer l’homme en moine tout au long de son parcours d’esclave, mouton pour voter, fourmi pour travailler, âne pour consommer.
Mais c’est mal mesurer la souffrance sociale, la détresse des peuples, le désespoir des sans-voix et des sans-droits, la révolte qui gronde, voire l’insurrection qui vient, que de s’obstiner à s’accrocher à des dogmes économiques qui conduisent la planète droit dans le mur. Cécité intellectuelle et autisme social. Le refrain n’est pas neuf et l’Histoire regorge de ces absences d’anticipation qui nous ont précipités dans l’abîme. En 1928, le Président Hoover affirmait que « la prospérité était au coin de la rue ». En 1928 !
Pourtant, un autre monde est possible comme le proclame l’expression convenue. De Marx à Keynes, de Stiglitz à Krugman, de Sen à Passet, nombre de savants, avec leurs profondes différences, ont décrypté le réel en expliquant de manière érudite ou profane qu’aucune fatalité, à l’exception notable des limites physiques à nos vies et de la biosphère, ne nous conduisait automatiquement à l’inégalité, à la concurrence, au global burn-out comme l’exprime Pascal Chabot. Des alternatives se sont construites. Des expériences historiques on été tentées. Des utopies ont été imaginées. Notre liberté intrinsèque d’humain, acteur de notre destin, nous permet, si nous en faisons le choix, de « transformer l’eau de vaisselle en élixir de vie ». Nous sommes bien « condamnés à être libres », et rien ne nous oblige à suffoquer dans une atmosphère de plus en plus rare en oxygène moral.
Mieux encore, des citoyens et certains dirigeants ont trouvé en eux et dans les circonstances historiques, les ressorts susceptibles de remodeler l’avenir des humains. Au 20e siècle, F.D. Roosevelt a mis en œuvre en cent jours une réforme radicale de la société américaine qui a perduré jusqu’aux années 70. Jusqu’au grand renversement conservateur et ultralibéral de Thatcher et Reagan. Quarante années piteuses, après les Trente glorieuses, dont nous pressentons l’essoufflement final annoncé par nombre d’intellectuels. Aujourd’hui, des métamorphoses sociales de grande ampleur, dans le même esprit, plus juste et plus partageur, sont en cours notamment en Amérique latine. Des acteurs, jusqu’à présent plutôt dociles, ont des sursauts salvateurs, des juges de la Cour constitutionnelle du Portugal aux journalistes qui ont dénoncé les paradis fiscaux. Sans compter toutes les initiatives citoyennes qui éclosent ça et là où la résistance de certains mouvements, partis ou syndicats qui refusent l’ordre dominant du monde. En témoigne chez nous le succès imprévu d’une banque alternative.
Notre destin n’est pas tout tracé et il y a, contrairement à la formule, une alternative. Toutes les analyses de Pierre Larrouturou ou de Jean-Paul Fitoussi le démontrent lumineusement. Les quinze propositions du Collectif Roosevelt les traduisent clairement en options concrètes et immédiatement réalisables. Cela dépend de la volonté politique de nos gouvernements. C’est-à-dire des peuples. C’est-à-dire de vous et de moi.
What else ? Oui, il y a bien un autre chemin.
F.D. Roosevelt
Avocat, sénateur de l’État de New-York puis gouverneur de cet État, F.D. Roosevelt est frappé par la poliomyélite en 1921 qui le paralyse des jambes. Seul président à être réélu trois fois, il prend des mesures exceptionnelles et d’urgence face à l’aggravation de la crise en cent jours, de novembre 1932 à mars 1933 : c’est le New Deal. L’État intervient de manière volontariste dans l’économie : loi sur l’agriculture, réorganisation de la production industrielle par la réduction des excès de la concurrence et la fixation des prix, limitation de la durée du travail, salaire minimal, vaste plan de travaux publics pour endiguer le chômage massif (barrages, rénovation des routes, restauration des écoles, drainage des marais, programmes environnementaux), réorganisation du système bancaire pour contrer l’origine spéculative de la crise par la limitation du recours au crédit et par la séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires.