Pouvez-vous nous rappeler votre action ?
On travaille avec des femmes bénévoles, adultes, mamans pour la plupart, parfois engagées avec nous depuis 15 – 20 ans et on développe avec elles des projets socioculturels concrets pour s’engager dans la société, développer un réel vivre ensemble et une vraie cohésion sociale au premier sens du terme : à l’écoute de tous, dans la différence et dans la diversité.
L’idée c’est vraiment de pouvoir faire en sorte que le VK soit une maison de quartier où tous les talents, toutes les compétences peuvent se développer à tous âges, de tous profils venant de tous les horizons possibles et imaginables avec toutes les confessions possibles également. L’ouverture, c’est notre mot d’ordre principal.
Comment se traduit cette ouverture dans vos ateliers vis-à-vis de demandes religieuses ?
Pour que des femmes, parfois prises dans un certain enfermement, puissent reconnaitre l’espace dans lequel elles viennent comme pouvant être le leur également, on a adopté au VK une politique d’ouverture. Cela permet par exemple à un participant ou un bénévole qui le souhaiterait d’avoir un espace pour faire sa prière, si cela lui permet de se sentir à l’aise. Je pense que le premier pas d’ouverture doit toujours exister pour aller vers un deuxième pas, qui prend beaucoup plus de temps, pour professionnaliser les initiatives, aider chacun à développer ses talents et compétences, donner les outils à tous, émanciper tout en respectant la liberté et la diversité de chacun. Pour nous, c’est l’acceptation de la diversité, dans le sens où chaque personne a son individualité et donc différentes facettes de sa personnalité, la religion ne représentant qu’une seule de ces facettes, mais faisant tout de même partie de l’ADN des gens qui viennent ici, de leur personnalité dans leur globalité. On ne va donc pas la nier et leur dire : « Laissez cela dehors, laissez votre foulard ou cette petite croix dehors ». Mais bien : « Venez avec tout ce que vous êtes », parce que tout cela, c’est une richesse. Et ce sera une richesse pour nous parce que ces points de vue là vont orienter nos projets, nos actions et nous permettre de mieux comprendre la manière dont on fonctionne dans ce quartier. Mais on fait la part des choses, on ne va pas non plus donner des cours de religion par exemple.
Est-ce que des évènements viennent remettre en question cette politique ?
La remise en question est constante. Est-ce que notre approche est toujours la bonne ? Toujours adaptée au public ? Toujours adaptée à la réalité d’aujourd’hui ? En ateliers, on a quelquefois des discussions où la religion des participants intervient par exemple sur l’homosexualité. L’idée, ce n’est ni de dire « ta religion doit prendre toute la place » ni « non, ta religion n’a aucune place », mais plutôt « OK ta religion est là, parlons-en parce que moi je peux apprendre de ta religion comme toi tu peux apprendre du fait que je ne crois pas ou que je crois autre chose ». La diversité c’est un concept dynamique qui évolue et on est prêt à contribuer à cela, mais en restant ouvert. Les « incidents » qui arrivent sont finalement autant d’occasions de faire débat, de faire exister un dialogue, de nous rendre compte de réalité, des lignes de fractures, des endroits où nous ne sommes pas d’accord et surtout des moyens de dépasser ces désaccords. C’est aussi notre rôle en tant qu’acteurs socioculturels de faire exister ce dialogue.
Par rapport au radicalisme ou aux attentats, quelle est votre action sur Molenbeek ?
Notre objectif principal, c’est vraiment devenu de rétablir le dialogue interpersonnel, que les gens se rencontrent et se parlent. Qu’ils puissent s’identifier les uns aux autres et qu’ils arrêtent de catégoriser ou réduire quelqu’un juste à travers une seule caractéristique de sa personnalité. Pour nous, c’est ce qui fonctionne. On l’a vu dans le projet « Molem ma belle » qui s’installe dans l’espace public et va à la rencontre des habitants. Mais aussi avec un projet de salon de thé en extérieur, en collaboration avec l’asbl Vormingplus Citizenne, qui se veut un espace d’expression, de dialogue et de rencontre pour dépasser les clichés en connectant des gens d’horizons différents. Ainsi, des pensionnés flamands d’Anvers ou Leuven, qui viennent à Molenbeek visiter les endroits beaux et calmes de la Commune, loin de la vision médiatique « Molenbeek = terrorisme » pour finir par une rencontre-discussion à bâtons rompus avec des femmes de Molenbeek. Chacun a posé les questions pour savoir comment est-ce que cela se passait ici. Et finalement, il y a eu des questions comme « pourquoi tu portes le foulard ? » Et il y a eu des réponses : « voilà pour moi le foulard c’est cela ». Et tout le monde en est vraiment ressorti avec une meilleure compréhension et acceptation des différences de chacun. Quelque chose comme : à présent, je comprends mieux ma concitoyenne, je la comprends dans sa réalité, et je comprends maintenant mieux Molenbeek.
Et cela s’est aussi traduit dans plusieurs autres projets. Par exemple avec l’association Merhaba on lance cette année un projet de dialogue intergénérationnel. Un groupe de jeunes filles va discuter des différents sujets sociétaux que ce soit la religion, que ce soit l’homosexualité,etc.. On fait pareil avec des mamans (qui ne sont pas celles des jeunes filles). Et puis on relie les deux groupes pour voir comment on peut rétablir un dialogue qui s’est brisé entre les générations. C’est notre responsabilité à tous en tant qu’acteurs sociaux de pouvoir recréer cet espace, que cette société soit à tout le monde. Pour faire baisser la pression et éviter que les gens se referment sur le semblable.
On a aussi un projet qui s’appelle le Forumthéâtre. Des bénévoles utilisent les méthodes du théâtre-action et jouent des petites scènes de la vie courante. Puis ils demandent l’avis du public, voire au public de rejouer la scène pour trouver des solutions. Cela a super bien fonctionné parce que c’est quelque chose auquel on peut s’identifier, et qu’on peut poser des questions, réagir. On en avait fait un sur les violences intrafamiliales. Vu l’actualité, on a commencé, il y a quelques mois suite à la demande du public, à en faire autour de la radicalisation de certains jeunes. On avance vraiment à tâtons parce que c’est compliqué. Comment est-ce qu’on peut faire ce genre de sujet sans partir dans les débats théologiques pur et dur ? Parce qu’on n’a pas les compétences ni les connaissances pour ce faire et que c’est un débat trop houleux. Et puis, on ne veut pas non plus partir dans le « voilà ce que la société devrait faire » ou le « voilà cela c’est la faute de untel ou c’est la faute de ceci ».
On veut pouvoir l’entendre des gens. On s’est donc dit qu’on allait partir d’une réalité que tout le monde connaissait, c’est-à-dire une réalité intrafamiliale : une maman qui a une discussion avec sa jeune fille qui lui dit qu’elle ne veut plus aller à la piscine parce que cela va à l’encontre de ses convictions. Comment gérer cela ? On s’est dit qu’on tenait quelque chose parce que tous les parents peuvent s’identifier au fait qu’à partir d’un certain âge l’enfant recherche son identité et qu’on ne sait pas trop bien comment lui parler. Pour nous finalement le problème de la radicalisation des jeunes, c’est cela. C’est comment est-ce qu’on peut en arriver à connecter dans cette période difficile qu’est l’adolescence. Et c’est donc là-dessus qu’on va se concentrer.
Comment le radicalisme intervient dans votre travail ? Rencontrez-vous des cas ? Est-ce que c’est un de vos chevaux de bataille ?
Ça se manifeste par exemple par des mamans qui nous disent : maintenant on a peur. On avait déjà peur avant, mais on a encore plus peur maintenant. Parce qu’en tant que maman on ne sait pas toujours ce que fait son enfant adolescent après l’école ou pendant le week-end quand il va avec ses copains. Et c’est une réalité qui existait déjà, mais on ne se rendait pas compte de l’ampleur de la chose. Cela a été tellement présent dans les médias qu’elles se sont dit : si cela se trouve, ça peut me concerner demain. Elles entendaient dire des choses par la voisine, la cousine, mais c’est devenu une réalité très concrète pour ces femmes-là. Elles ne s’en doutaient absolument pas et beaucoup l’ont découvert à la télévision comme tout le monde. Et cela c’est une peur qu’ont tous parents d’adolescents, celle qu’on vienne toquer à votre porte pour vous dire qu’on a retrouvé votre enfant overdosé ou qu’il a fait quelque chose de très mal. C’est une peur parce qu’on ne peut pas contrôler les moindres faits et gestes de ses enfants.
C’est pourquoi on a tenté de rétablir le dialogue intergénérationnel entre les parents ou d’autres figures et les jeunes. Mais aussi de rassurer les mamans dans le fait qu’il y a une part qu’elles ne contrôlent pas. Les rassurer et leur permettre d’exprimer leur peur plutôt que de hurler sur leurs enfants ou avoir tendance à vouloir les contrôler et les étouffer et du coup produire exactement l’effet inverse que celui recherché. L’idée c’est de donner des outils à tout le monde que ce soit pour communiquer, mais aussi pour se rassurer et pour souffler deux secondes.
Est-ce que vous pensez que face à des tentations djihadistes pour des jeunes ou moins jeunes la culture prise au sens large, l’action culturelle, socioculturelle, socioartistique, peuvent faire quelque chose ?
C’est notre rôle justement de rappeler à la société qu’on en fait tous partie. Et c’est à nous de montrer la beauté de la diversité et de la richesse multiculturelle qui peuvent exister que ce soit à Bruxelles, en Belgique ou partout dans le monde. Et je crois que l’art c’est le meilleur moyen pour pouvoir le véhiculer. Le dialogue que ce soit interpersonnel, mais surtout interculturel permet de se rappeler qu’on peut tous apprendre des différences des uns des autres et finalement tous se compléter dans cette différence. Et que cette différence peut devenir la mienne d’un jour à l’autre. C’est ce qui nous permet de nous rappeler que les différences nous relient plus qu’elles nous divisent. Et l’art pour moi, c’est le meilleur dialogue parce quand on fait une activité où les femmes sont en train de danser, où les jeunes sont en train de chanter ou de rapper, ils n’ont pas forcément besoin d’avoir un diplôme ou de parler la même langue pour pouvoir se comprendre. Quand on écoute un rap d’une langue qu’on ne connait pas, on arrive souvent à sentir l’émotion qu’ils veulent dégager et le message passe bien, même s’ils ne connaissent pas la langue. Et c’est cela qu’on essaie de dire ici aussi : finalement, on parle la même langue, il faut juste qu’on arrive à s’écouter…