Responsabilité sociale et démocratique des médias

Ne coupons pas le cordon sanitaire. Consolidons-le !

Illustration : Vanya Michel

C’est une marotte qui revient aux abords de chaque élec­tion en Bel­gique fran­co­phone : la légi­ti­mi­té du cor­don sani­taire média­tique. Dis­po­si­tif visant les par­tis liber­ti­cides, ini­tia­le­ment mis en place pour cir­cons­crire les dis­cours de par­tis d’extrême droite, ses contours se sont soli­di­fiés au cours des trente der­nières années. Démo­cra­tique et salu­taire. Acti­vé par la RTBF lors de l’investiture de Donald Trump, le dis­po­si­tif a fait hur­ler Georges-Louis Bou­chez, pré­sident du MR, qui est allé s’en plaindre au micro de Pas­cal Praud, une des per­son­na­li­tés les plus à l’extrême droite du pay­sage audio­vi­suel fran­çais. L’occasion d’un zoom arrière pour mieux com­prendre l’origine du cor­don sani­taire poli­tique et son volet média­tique. Et en appe­ler à la mon­tée en puis­sance d’un cor­don citoyen.

Au départ, il n’y avait rien. Ni digue. Ni rem­blais. Ni rem­part. Parce qu’il n’y avait jusqu’alors eu besoin de rien. Le pre­mier sou­bre­saut arrive après le 9 octobre 1988 où le Vlaams Blok, par­ti d’extrême droite fla­mand, fait une per­cée signi­fi­ca­tive aux élec­tions com­mu­nales, notam­ment à Anvers. Émerge alors l’idée au sein des par­tis démo­cra­tiques fla­mands d’un refus de toute alliance avec le par­ti d’extrême droite. Les chré­tiens-démo­crates, libé­raux, socia­listes, natio­na­listes et éco­lo­gistes (res­pec­ti­ve­ment CVP, PVV, SP, VU et Aga­lev) signent même un pro­to­cole. L’idée est belle sur papier, mais le cou­rage poli­tique manque. Cer­tains signa­taires font bien vite marche arrière. Puis arrive ce sombre dimanche du 24 novembre 1991. Ce jour-là, les Belges se rendent aux urnes pour des élec­tions légis­la­tives et pro­vin­ciales. Une défer­lante noire s’empare alors du Nord du pays. Avec 10,3 % des suf­frages en Flandre, le Vlaams Blok rafle 12 sièges sur 212 à la Chambre des repré­sen­tants. Et du côté fran­co­phone, le Front natio­nal belge (FN), proche du conte­nu idéo­lo­gique de son grand frère fran­çais, s’implante dans cer­tains can­tons wal­lons et fait son entrée à la Chambre, avec un élu, le dépu­té Georges Matagne.

Encore une histoire belge

Au len­de­main de ce dimanche noir démarre une impor­tante mobi­li­sa­tion de la socié­té civile et du monde intel­lec­tuel et artis­tique fla­mand, qui aura son écho de l’autre côté de la fron­tière lin­guis­tique. En à peine deux mois, plus d’un mil­lier de per­sonnes se fédèrent autour des trois ini­tia­teurs : Pau­la Burgh­graeve, Éric Cori­jn, et Paul Ver­bra­cken. La dyna­mique se solde en février 1992 par la « Char­ta 91 », un mani­feste anti­ra­ciste. C’est d’ailleurs cette charte, fon­dée sous le slo­gan « het tij keren » (ren­ver­ser le cours des choses), qui a intro­duit et popu­la­ri­sé le terme schuts­kring, mieux connu sous le nom de « cor­don sanitaire ».

Le souffle de cette dyna­mique arrive bien­tôt au Par­le­ment fla­mand qui recale le plan en 70 points pour « résoudre le pro­blème de l’immigration » rédi­gé par Phi­lip De Win­ter, le pré­sident du Vlaams Blok. Deux motions du Par­le­ment fla­mand, qui condamnent ce plan et le jugent contraire à la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme, sont adop­tées le 19 novembre 1992, à une très large majo­ri­té. Dans la fou­lée, les cinq par­tis démo­cra­tiques fla­mands concluent un accord pour exclure l’ex­trême droite de toute coa­li­tion poli­tique, et cela, quel que soit le niveau de pou­voir. Le cor­don sani­taire poli­tique est offi­ciel­le­ment né !

Dans le sud du pays, les quatre par­tis fran­co­phones, repré­sen­tant les socia­listes, sociaux-chré­tiens, libé­raux et démo­crates fédé­ra­listes (PS, PSC, PRL et FDF), œuvrent aus­si dans la même optique : pro­té­ger les valeurs fon­da­men­tales et consti­tu­tion­nelles du sys­tème démo­cra­tique. Les dis­cus­sions abou­ti­ront à la signa­ture de la « Charte de la démo­cra­tie », le 8 mai 1993. Voi­là donc notre plat pays pro­té­gé au Nord comme au Sud par un cor­don, invi­sible, mais puis­sant. Un dis­po­si­tif unique en son genre, en Europe et dans le monde.

Cette his­toire belge ne s’arrête pas là. Ou pour être exacte : cette his­toire a com­men­cé ailleurs aus­si. Le soir du dimanche noir, c’est la conster­na­tion au siège de la RTBF. Esto­ma­qués par les résul­tats qui viennent de tom­ber, Sté­phane Robert, alors admi­nis­tra­teur géné­ral et Pierre Del­rock, direc­teur de l’information de l’époque, décident de cou­per le micro à tous repré­sen­tants de l’extrême droite. Plus de pro­pos en direct. Et ceux-ci seront au besoin contex­tua­li­sés et reca­drés. Un choix déon­to­lo­gique qui ne trou­ve­ra aucune oppo­si­tion, ni auprès du Conseil d’Administration ni de la rédac­tion. Le script est acté. Voi­là un embryon de cor­don sani­taire média­tique lan­cé dès fin 1991.

De l’autorégulation avant l’heure

Le média de ser­vice public met en place un outil d’autorégulation inédit à une époque où aucune ins­ti­tu­tion n’est encore offi­ciel­le­ment char­gée de la régu­la­tion de l’audiovisuel ni de la presse fran­co­phone. Il fau­dra d’ailleurs encore attendre quelques années. Le Conseil supé­rieur de l’audiovisuel (CSA), régu­la­teur indé­pen­dant de l’audiovisuel, est créé le 24 juillet 1997, tan­dis que le Conseil de déon­to­lo­gie jour­na­lis­tique (CDJ), l’organe d’au­to­ré­gu­la­tion des médias fran­co­phones et ger­ma­no­phones de Bel­gique, ver­ra seule­ment le jour le 29 juin 2009.

Nou­vel outil d’autorégulation, le frêle cor­don média­tique néces­site tou­te­fois encore quelques réglages de rigueur. Mala­die de jeu­nesse sans doute. En 1994, le pré­sident du FN, Daniel Féret, gagne son action inten­tée contre la RTBF par laquelle il conteste son exclu­sion des débats élec­to­raux. Le tri­bu­nal de pre­mière ins­tance lui donne rai­son. La RTBF doit revoir sa copie et appelle son juriste, Simon-Pierre De Cos­ter, à la res­cousse. Le dis­po­si­tif de la RTBF est soli­di­fié d’un argu­men­taire juri­dique ali­men­té par la loi contre le racisme et la xéno­pho­bie, le Pacte cultu­rel et la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme. Du béton armé vali­dé par le Conseil d’État en 1999.

« Que ce soit dans l’accès même aux médias ou dans le conte­nu des mes­sages véhi­cu­lés par les par­tis d’ex­trême droite, l’ensemble des diri­geants de médias, tant du sec­teur public que du sec­teur pri­vé, dis­pose comme on a pu le voir, de nom­breux outils juri­diques pour empê­cher l’expression, par ces par­tis, d’i­dées qui — et c’est le moins qu’on puisse dire — ne servent pas la démo­cra­tie. À eux de les mettre en œuvre avant qu’il ne soit trop tard. », explique Simon-Pierre De Cos­ter dans Le Jour­nal des Pro­cès, le 14 avril 1995. Début des années 1990, le cor­don sani­taire média­tique est un dis­po­si­tif d’autorégulation, appli­qué de son propre chef par la RTBF puis imi­té pro­gres­si­ve­ment par l’ensemble des médias fran­co­phones audio­vi­suels et de presse écrite. Cette adop­tion rapide par l’ensemble des rédac­tions en fera sa force. Le cor­don pren­dra ensuite une forme davan­tage codi­fiée – mais non contrai­gnante – avec plu­sieurs recom­man­da­tions du CSA en 2005 et la Recom­man­da­tion du CDJ de 2011, mise à jour plu­sieurs fois et aujourd’hui rebap­ti­sée la « clause de res­pon­sa­bi­li­té sociale et démo­cra­tique ». Le règle­ment du col­lège d’avis du CSA rela­tif aux pro­grammes de radio et de télé­vi­sion en période élec­to­rale, vali­dé par le Conseil d’État en 2012, a quant à lui force obligatoire.

Liberté d’expression versus abus de droit

Fer de lance de cet outil de la démo­cra­tie contre elle-même, le média de ser­vice public opère depuis plus de trente ans une veille juri­dique régu­lière, pour déli­mi­ter le champ des par­tis liber­ti­cides en Bel­gique. Ren­sei­gne­ments pris, ce tra­vail de veille n’est pas fait à la légère : les pro­grammes des par­tis et les décla­ra­tions de leurs diri­geants, man­da­taires et can­di­dats sont sys­té­ma­ti­que­ment pas­sés à la loupe. L’objectif ? Voir si des élé­ments per­mettent de démon­trer de manière mani­feste, répé­tée et concor­dante, une hos­ti­li­té envers les droits et liber­tés fon­da­men­tales consa­crées par la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme (CEDH). Si ce tra­vail relève de la res­pon­sa­bi­li­té édi­to­riale de l’éditeur, ce der­nier explique recou­rir volon­tiers aux conseils de poli­to­logues et de la socié­té civile (comme le CRISP, l’Observatoire belge de l’extrême droite, le Front Anti­Fas­ciste Liège 2.0…) ou d’organisations comme la Ligue des droits humains ou Unia.

Dans les cou­loirs de la RTBF, on aime citer l’article 17 de la CEDH, « un bijou en matière de pré­ser­va­tion des droits humains », nous confie Simon-Pierre De Cos­ter. Cet article cadre l’abus de droit, autre­ment dit, il per­met d’éviter que sous pré­texte de liber­té d’expression, notam­ment, des États, des grou­pe­ments ou des indi­vi­dus se pré­valent de la Conven­tion pour pro­mou­voir des idées poli­tiques incom­pa­tibles avec la démo­cra­tie. Argu­ment d’ailleurs rete­nu récem­ment pour dif­fu­ser en dif­fé­ré le dis­cours d’investiture de Donald Trump. En 2025, comme trente plus tôt, il est ras­su­rant de consta­ter qu’on ne peut uti­li­ser l’antenne d’un média de ser­vice public pour détruire les droits et liber­tés d’autrui. Et le juriste de conclure notre entre­tien sur l’importance du cor­don média­tique « dou­ble­ment salu­taire, au sens qu’il a empê­ché des par­tis liber­ti­cides de prendre de la place en Bel­gique fran­co­phone et qu’il per­met encore aujourd’hui à la RTBF de ne pas être au ser­vice d’une rhé­to­rique contraire aux droits humains. »

De la métaphore au discours gris, c’est d’extrême droite ?

En par­lant de rhé­to­rique, les dis­cours de l’extrême droite ont bien chan­gé. Qua­li­fier d’extrême droite une inter­ven­tion média­tique, un pro­gramme, une per­son­na­li­té ou un par­ti poli­tique n’est plus si aisé. D’une part, les cri­tères issus de la recherche en sciences poli­tiques per­met­tant de qua­li­fier l’extrême droite sont nom­breux et évo­luent ren­dant l’exercice de la défi­ni­tion déli­cate. D’autre part, suite à l’adoption de légis­la­tions cri­mi­na­li­sant l’incitation à la haine raciale ou à la dis­cri­mi­na­tion et les pro­pos néga­tion­nistes, les dis­cours ne sont plus dans une logique binaire. Les termes ouver­te­ment nau­séa­bonds d’autrefois ont lais­sé place à un conte­nu plus sub­til. On ne parle plus de « race » mais de « culture » et de « reli­gion ». Plus ques­tion de « supé­rio­ri­té » et d’« infé­rio­ri­té » mais de « dif­fé­rences » avec celles et ceux qui ne sont pas « de chez nous ». Reste à savoir si ces gens sont « assi­mi­lables » avec les tra­di­tions ances­trales. Même l’expression « notre iden­ti­té » est pro­gres­si­ve­ment rem­pla­cée par « nos valeurs » ou « notre mode de vie ». Une ana­lyse de la com­mu­ni­ca­tion des per­son­na­li­tés poli­tiques belges fran­co­phones sur les réseaux sociaux, menée par l’UCLouvain et la VUB (Vrije Uni­ver­si­teit Brus­sel) à la demande d’Unia, le Centre inter­fé­dé­ral pour l’égalité des chances, parle de dis­cours gris pour qua­li­fier les pro­pos de cette « zone grise ». Des pro­pos non punis par la loi, liés à l’o­ri­gine eth­nique, la reli­gion et l’o­rien­ta­tion sexuelle. Un pro­ces­sus d’émergence de dis­cours inci­tant à la dis­cri­mi­na­tion, à la haine et à la vio­lence qui par­ti­cipe à la dédia­bo­li­sa­tion de l’extrême droite en ouvrant tou­jours un peu plus la fenêtre d’Overton1, per­met­tant ain­si à une idée consi­dé­rée jusque-là comme inac­cep­table, d’être fina­le­ment accep­tée socia­le­ment. Un jeu auquel s’adonnent aus­si les par­tis démo­cra­tiques, quand par exemple, Denis Ducarme, dépu­té libé­ral, para­phrase fiè­re­ment les pro­pos polé­miques du pre­mier ministre fran­çais, sur les ondes de la Pre­mière : « En matière d’asile, pour reprendre le terme de Mon­sieur Bay­rou, on est un peu submergés. »

Un recours aux méta­phores, méto­ny­mies et autres figures de style qui rend les pro­pos juri­di­que­ment presque inat­ta­quables. Face à ce constat, Sybille Gioe, pré­si­dente de la Ligue des droits humains, et Fran­çois Debras, pro­fes­seur asso­cié à l’ULiège en sciences poli­tiques, estiment néces­saire de com­plé­ter la défi­ni­tion qu’utilisent les sciences poli­tiques. Dans un article, ils pro­posent trois outils com­plé­men­taires pour qua­li­fier l’extrême droite, car comme ils le mar­tèlent « qua­li­fier d’extrême droite ce qui l’est, ne doit pas non plus être un tabou. » Trois ques­tions à gar­der en tête : « les dis­cours et les pro­po­si­tions poli­tiques sont-ils diri­gés contre les droits humains ou l’intégrité de cer­taines per­sonnes ? Les dis­cours et pro­po­si­tions poli­tiques construisent-ils une réa­li­té sociale telle que celle fan­tas­mée par l’extrême droite ? Les dis­cours et pro­po­si­tions sont-ils simi­laires à ceux sou­te­nus par l’extrême droite dans le pas­sé ? » Vous avez répon­du oui à ces ques­tions ? Vous savez à quoi ou plu­tôt à qui vous avez affaire !

Politique TikTok

Ces trente der­nières années, le ter­rain de jeux des dis­cours poli­tiques et des pos­sibles dérives anti­dé­mo­cra­tiques est deve­nu très vaste. C’est l’heure de la toute-puis­sance des pla­te­formes et des réseaux sociaux. Il est loin le temps où tout se pas­sait dans le poste. Selon l’étude 2024 du Reu­ters Ins­ti­tute for the Stu­dy of Jour­na­lism (Uni­ver­si­té d’Ox­ford), tous pays confon­dus, les réseaux sociaux, bien qu’en léger recul, res­tent le canal d’ac­cès pri­vi­lé­gié aux news en ligne, devant les moteurs de recherche et le tra­fic direct vers les sites d’info. Une infor­ma­tion regar­dée majo­ri­tai­re­ment sur le petit écran du smartphone.

Loin de favo­ri­ser le débat d’idées et les échanges construc­tifs, les réseaux dits sociaux, avides de vues, font la part belle aux for­mats courts et aux conte­nus pola­ri­sants. Des dis­cours cli­vants pri­sés par l’algorithme. De là à fran­chir le Rubi­con de l’extrême droite, il n’y a qu’un petit pas. Les par­tis ne s’y trompent d’ailleurs pas en y inves­tis­sant mas­si­ve­ment. En 2024, les par­tis belges ont dépen­sé 11 mil­lions d’eu­ros de publi­ci­tés sur Face­book avec en tête, loin devant, le Vlaams Belang avec près de 2,4 mil­lions d’euros dépen­sés pour sa cam­pagne en ligne. Les liens entre poli­tique et réseaux sont encore plus per­ni­cieux avec le règne de la « poli­tique Tik­Tok », du nom de ce réseau social en vogue notam­ment basé sur le par­tage de vidéos de quelques secondes. Dans les hémi­cycles, on s’exprime aujourd’hui bien davan­tage pour les fol­lo­wers [les per­sonnes qui suivent votre pro­fil. NDLR] que pour les autres député·es, avec tous les effets per­vers des réseaux sociaux sur la pola­ri­sa­tion des débats et la vio­lence poli­tique. Le débat a fait place à une rhé­to­rique émo­tion­nelle, grise et effi­cace, où un cer­tain Jor­dan Bar­del­la est pre­mier de classe.

Nécessité de contre-discours

Autant d’évolutions qui secouent les cor­dons poli­tique et média­tique, en plus d’un tra­vail de sape de ces outils mené ces der­nières années par des figures de droite jouant sur la trans­gres­sion per­ma­nente. À l’instar de George-Louis Bou­chez, pré­sident du Mou­ve­ment Réfor­ma­teur (MR), qui ver­rait bien dis­pa­raître ce dis­po­si­tif. Dans cette logique, le Centre Jean Gol, le centre d’études de l’action libé­rale et outil de guerre cultu­relle du MR, affirme que le cor­don média­tique serait même « ins­tru­men­ta­li­sé par la gauche et détrui­rait le plu­ra­lisme idéo­lo­gique voire ali­men­te­rait la pola­ri­sa­tion et l’in­to­lé­rance ». Un ren­ver­se­ment de valeurs inquiétant.

Face à ces effri­te­ments démo­cra­tiques, l’importance des luttes menées par la socié­té civile est indis­pen­sable. Dans une de ses ana­lyses, Benja­min Biard, char­gé de recherches au CRISP, regroupe les dif­fé­rentes com­po­santes de la socié­té civile sous la clair­voyante appel­la­tion de « cor­don sani­taire citoyen et édu­ca­tif ». Cor­don qui selon lui rem­plit six rôles-clés face à l’extrême droite. Des rôles qui s’entremêlent par­fois et se ren­forcent : l’information et la com­mu­ni­ca­tion ; le tra­vail édu­ca­tif et cultu­rel ; la pres­sion sur les auto­ri­tés publiques ; la pour­suite judi­ciaire des acteurs d’extrême droite ; la défense des vic­times ; le rem­part physique.

Vu l’extrême-droitisation crois­sante des dis­cours poli­tiques dans la sphère publique, dans les médias et sur inter­net, la néces­si­té de se sai­sir de manière col­lec­tive de la pro­blé­ma­tique est deve­nue une évi­dence au sein de la socié­té civile. D’aucuns, en Wal­lo­nie et à Bruxelles, appellent à ren­for­cer ces rôles et les syner­gies entre les dif­fé­rents acteurs mili­tants et ins­ti­tu­tion­nels afin de déployer avec plus de vigueur un cor­don sani­taire citoyen. Pour que les actions de lutte et la dif­fu­sion de contre-dis­cours se mul­ti­plient. Que ce soit sur le ter­rain, en empê­chant des membres de l’extrême droite de dis­tri­buer des tracts ou de tenir réunion, comme le fait notam­ment le Front Anti­fas­ciste de Liège 2.0. et d’autres col­lec­tifs de la Coor­di­na­tion anti­fas­ciste de Bel­gique. Ou via des outils péda­go­giques et actions de sen­si­bi­li­sa­tion, dans les écoles et les entre­prises, comme les mènent notam­ment La Cible asbl qui pro­meut les valeurs démo­cra­tiques depuis 2004. Zoé Fau­con­nier, char­gée de pro­jet à La Cible, constate l’importante per­co­la­tion des dis­cours d’extrême droite au sein des publics durant ses ani­ma­tions. Et de rap­pe­ler la néces­si­té d’organiser un réseau de lutte en se syn­di­quant, en sou­te­nant (finan­ciè­re­ment) les asso­cia­tions, en invi­tant un maxi­mum de villes à voter une motion « ville anti­fas­ciste », etc. L’asbl œuvre aus­si à la mise en place d’un cor­don sani­taire citoyen sur les réseaux sociaux. La Cible a d’ailleurs déve­lop­pé Clic-gauche.be, une pla­te­forme inter­ac­tive qui per­met de débus­quer les intoxs, de les dénon­cer et de les contrer en occu­pant l’espace numé­rique. Car comme nous le sou­ligne Rosa­rio Mar­mol-Per­ez, ani­ma­trice poli­tique et cultu­relle à La Cible : « Chaque petite vic­toire est impor­tante pour mettre un terme à cette bataille cultu­relle menée par l’extrême droite ».

  1. La fenêtre d’Overton, ou « fenêtre de dis­cours », est une théo­rie poli­tique déve­lop­pée par Joseph P. Over­ton, lob­byiste, juriste et poli­to­logue amé­ri­cain qui déter­mi­ne­rait le péri­mètre de ce qui peut être dit et dis­cu­té au sein d’une socié­té. On parle « d’ouvrir la fenêtre d’Overton » dans le but déli­bé­ré de faire pas­ser des idées extrêmes ; un pro­cé­dé de plus en plus sou­vent uti­li­sé par les par­tis d’extrême droite et de droite radicale.

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