Que recouvre cette notion de « démocratie sanitaire » qu’on appelle parfois aussi « démocratie en santé » ? Est-ce qu’elle consiste seulement en la participation des malades aux décisions médicales qui les concernent ?
Il faut dire d’abord que l’idée de démocratie sanitaire a effectivement été historiquement portée par les mouvements de personnes souffrant de maladies chroniques, à travers notamment les façons dont ces personnes ont mis en questions leurs traitements et l’expertise médicale. Ces mouvements – on peut notamment penser à ceux initiés par des malades du Sida – ont posé la question de l’accès et du partage de la connaissance, soulignant en cela que les malades faisaient face, en raison de la maladie, à des problèmes non seulement existentiels, mais aussi très techniques : concrètement quels traitements mettre en œuvre et dans quelles conditions ?
À partir de là il me semble qu’il y a deux manières d’aborder cette notion de démocratie sanitaire. Soit on se demande comment appliquer le concept de démocratie aux enjeux de santé. Dans ce cas, le point de départ ce sont les principes généraux de la démocratie et l’on cherche à comprendre comment ils pourraient fonctionner dans le champ de la santé.
Soit, on accepte de s’en donner une définition spécifique et éventuellement plus restreinte. Et en fait c’est de cette façon, je crois, que la notion est abordée en France depuis les années 2000 puisqu’elle y coïncide globalement avec la question de la participation des usagers aux décisions les concernant et plus généralement aux décisions concernant le système de santé. Néanmoins, je pense qu’il ne faut pas enclaver la question de la démocratie sanitaire dans cette définition restreinte.
En quoi est-ce que cette définition spécifique de la démocratie sanitaire pose problème ?
Parce qu’en se bornant à cette définition, on impose une double limitation à ce que pourrait être la démocratie sanitaire.
D’une part, on restreint le champ de la démocratie sanitaire aux stricts enjeux de santé médicale et à la partie la plus technique de la médecine. Alors même que les décisions de santé couvrent de très larges domaines de réflexion, d’actions, d’interventions qui nous touchent dans de très nombreuses dimensions de notre vie : c’est par exemple la question de la santé au travail, la question de santé à l’école, etc. Bref, on limite fortement l’opérationnalisation de cette définition.
Et d’autre part, on réduit la question de la participation à celle des usagers pour ainsi dire les plus impliqués, c’est-à-dire précisément aux malades souffrant des affections les plus invalidantes, de maladies chroniques notamment. Alors même que les enjeux de santé nous concernent tous à un moment ou à un autre de notre vie, parce qu’on sera un jour malade, hospitalisé ou qu’on aura un proche malade, ou même parce que, au-delà de l’expérience concrète que l’on peut faire de la maladie, on contribue financièrement au système de santé via nos cotisations sociales et nos impôts. Les enjeux de santé sont notre affaire à tous, nous devrions donc pouvoir nous prononcer sur un ensemble de décisions et mesures de prévention.
Cette double limitation explique la faible participation du public aux décisions concernant la santé. On a en France des instances comme les « Conférences régionales de santé » mais elles ont un fonctionnement très formel et pèsent peu sur les grands enjeux de santé. Les usagers participent effectivement aux conseils d’administration des institutions de santé, mais leur pouvoir y est très limité. Même si, par ailleurs, la législation sur la démocratie sanitaire a participé à transformer les rapports entre professionnels et usagers. Une mesure comme l’accès des usagers à leurs dossiers médicaux a par exemple été un énorme acquis et a entrainé des changements spectaculaires dans le rapport soignant-soigné, notamment en psychiatrie.
Quel a été l’effet de la gestion du Covid sur ces mécanismes démocratiques en matière de santé ?
Dans le contexte de la pandémie de Covid, on a eu affaire à deux régimes de contrainte. D’une part on a imposé des mesures contraignantes aux individus : des restrictions d’aller et venir, le port obligatoire du masque, la vaccination rendue globalement obligatoire avec la nécessité de présenter le pass sanitaire… D’autre part, ces mesures ont été imposées par la contrainte, de façon très autoritaire, dans un système de décision vertical : on n’a pas du tout participé, en tant qu’usager ou citoyen, à la définition de ces mesures. Surtout dans un pays comme la France, où depuis le début de la pandémie les décisions sont prises dans des « comités de défense sanitaire » concentrés autour du président de la République. Puis avec la création d’instances ad hoc, en dehors des dispositifs d’expertise institutionnalisés existant par ailleurs sur les questions de santé. Alors, la démocratie sanitaire n’était déjà pas très satisfaisante à la base, mais là…
C’est-à-dire ? Des mécanismes existaient, mais ils n’ont pas été utilisés ?
C’est surtout qu’on en a créé d’autres ! Alors, en soi, ce n’est pas forcément mal, car on peut se dire qu’on avait besoin de plus d’expertise au vu de la situation. Mais pourquoi court-circuiter les instances qui existaient déjà ? D’ailleurs, un principe de la démocratie c’est quand même l’institution de la démocratie. Et le principe des institutions, c’est de faire fonctionner en routine des instances de délibération qui permettent d’effectuer des choix éclairés.
Or, quand un gouvernant crée un nouveau comité de façon ad hoc, on peut se dire qu’il n’aura pas l’autorité face à ce gouvernant ou simplement que ses membres ne sauront pas négocier leur autonomie, parce que dans un premier temps au moins ils ne se connaissent pas, qu’ils n’ont pas l’habitude de travailler ensemble, qu’il leur faut du temps pour mettre en place un règlement intérieur… Et qu’ils n’ont pas non plus l’habitude de se positionner par rapport à l’autorité politique, ni peut-être la stature pour exister dans le jeu d’équilibre entre gouvernement et expertise. Et donc on pourra soupçonner que ce comité fera ce qu’on lui dit de faire, ou au contraire qu’il ne sera pas écouté et servira simplement de fusible à des décisions du gouvernement c’est-à-dire qu’on lui fera porter le chapeau de décisions difficiles. On a l’impression que ça a par exemple été le cas lorsque le président de la République a décidé de maintenir le vote aux élections municipales prévu le premier week-end du premier confinement en mars 2020.
D’ailleurs, en France, toute la relation entre ce conseil scientifique et le gouvernement Macron a été un jeu de faux-fuyant. L’expertise a été sollicitée à certains moment-clés pour obtenir des réponses qui étaient assez télécommandées à des questions que se posait le gouvernement. À l’inverse le conseil scientifique a pris l’initiative de rédiger des rapports qui n’ont pas été publiés parce que cela gênait le gouvernement. Et par ailleurs, on a vu un grand nombre de décisions politiques qui étaient à l’opposé de ce que proposait le comité. Dans cette situation exceptionnelle, on peut se demander si on n’a pas eu un affaiblissement de l’expertise face au politique.
Cette expertise, qu’elle soit instrumentalisée ou non par les politiques, se fait-elle en tout cas au détriment d’une participation citoyenne aux décisions importantes qui ont dû être prises depuis le début de crise ?
Ça, c’est un autre enjeu du débat sur la démocratie sanitaire que d’interroger la nature de l’expertise. On peut le faire sous deux angles.
D’abord, le périmètre de l’expertise. Par exemple, si on prend le Covid, à priori pathologie virale, on peut se dire que l’expertise est détenue par des virologistes et des épidémiologistes. Mais en fait non, car le Covid et les conséquences de la gestion du Covid nous affectent dans toutes les dimensions de notre vie. Est-ce qu’on peut juste se contenter de suivre les prescriptions des épidémiologistes qui sont dans leur rôle quand ils nous disent qu’il faut limiter les propagations du virus par un confinement ? Certes, on arrêtera la propagation du virus, mais on créera dans le même temps de la dépression, du chômage, etc. Questions auxquelles les épidémiologistes auront évidemment peu de réponses vu que ce n’est pas leur champ… On ne peut donc pas enclaver l’expertise. Or, le choix qu’a fait le gouvernement en France c’est de constituer un comité composé à une très grande majorité de médecins, et notamment d’épidémiologistes, de virologues et de spécialistes des maladies infectieuses, dans lequel l’analyse sociale et économique de la situation avait donc moins voix au chapitre. On voit du coup qu’il était peut-être plus difficile pour ce comité de prendre en compte finement par exemple ce qu’un confinement va produire sur la santé mentale des gens, quels vont être les effets sociaux de la déscolarisation des enfants, quel impact sur l’économie les fermetures vont-elles avoir, ou des questions comme la façon dont les individus vont effectivement suivre les mesures de confinement et plus généralement de prévention. On peut donc se demander s’il n’aurait pas fallu faire une assemblée plus large. C’est pourquoi j’avais proposé en mars 2020 un « parlement du coronavirus » regroupant des expertises diverses issues de la société civile, des sciences humaines et sociales, etc., permettant d’embrasser toutes les dimensions d’un problème total comme celui du Covid.
L’autre enjeu, c’est effectivement de questionner l’idée même d’expertise et d’affirmer que l’expertise n’émane pas seulement des experts consacrés, au sens où ils sont reconnus socialement comme experts, c’est-à-dire des sachants, des gens qui sont formés pour : les patients porteurs d’une maladie et les usagers des soins ont aussi une véritable expertise et peuvent produire des savoirs. Par exemple, avec le coronavirus, on a peu pris en compte les expertises nées du terrain, pour faire face aux conséquences psychosociales du confinement (organisation de relai de première nécessité, cellule de soutien…) au-delà des discours lénifiants sur les « premiers de corvées ». Cette ensemble d’expertise et d’expériences a fonctionné et a pourtant joué un rôle important dans la capacité de notre société à dépasser cette crise. Mais on peut également penser à l’expertise de patients pour la reconnaissance du Covid long, développée dans une logique proche des mobilisations concernant d’autres pathologies chroniques. Ainsi, on voit des groupes de patients qui s’organisent pour faire reconnaitre un état pathologique qui n’est pas reconnu par la médecine. Ils pointent et se donnent des outils pour mettre en évidence un ensemble de symptômes et d’effets handicapants à long terme. Et ils finissent, forts de ces données, par obtenir l’accès à des arènes scientifiques.
Vous rappelez d’ailleurs le rôle d’enquêteur mené par des groupes de malades ou de patients que ce soit, autour des maladies chroniques, dans le champ du handicap ou celui de la santé mentale. Comment participent-ils à la création du savoir ?
D’abord par un travail de reconnaissance de ces problèmes de santé divers, au sens où ils œuvrent à la fois pour identifier les problèmes et pour que ceux-ci soient mieux pris en compte. Ces groupes mènent de véritables enquêtes pour décrire ce qui leur arrive en mobilisant des méthodes relevant de l’épidémiologie, et ces enquêtes peuvent aller jusqu’à des publications dans des revues scientifiques, ou bien elles inspireront des travaux conduits par des chercheurs. En sociologie, on parle « d’épidémiologie profane » : des individus, comme vous et moi, se mettent à relever des symptômes, à construire des questionnaires et à produire des données quantitatives ou bien à recueillir des témoignages. Le recueil et l’analyse de ces données, portées par des collectifs de malades, organisés en association, permettent dans un second temps d’interpeller les chercheurs et éventuellement de faire reconnaitre l’existence d’une condition, d’un état, d’une pathologie. Puis d’obtenir aussi une reconnaissance sociale : compensation, mise en place de filière d’accès à des soins, etc.
On parle aujourd’hui de patients-experts, de pairs-aidants…
C’est le deuxième enjeu de l’expertise profane. C’est un mouvement parti de porteurs de pathologies cette fois-ci bien établies et prises en charge comme le diabète, les handicaps, les cancers, les maladies psychiatriques… C’est à relier historiquement avec une certaine désinstitutionnalisation, c’est-à-dire le fait que les individus qu’on prenait en charge à l’hôpital sont de plus en plus renvoyés chez eux où ils doivent gérer la maladie et son traitement. Typiquement, en psychiatrie, entrer à l’hôpital signifiait y rester une bonne partie de votre vie. Grâce à des traitements plus efficaces, comme les neuroleptiques, on a pu faire diminuer les symptômes. Pour le diabète, l’insuline a permis aussi de confier aux malades le soin de gérer leur condition. Mais en les renvoyant chez eux, on les a mis seuls face à leur maladie et donc en situation de devoir faire tout un travail sur leur propre pathologie. Ils ont été amenés à développer leur propre expertise pour élaborer des manières d’intégrer les traitements dans leur vie et de le gérer eux-mêmes, de se bricoler une vie quotidienne malgré la maladie. D’où l’idée d’un travail d’expertise des patients de plus en plus valorisé jusqu’à aboutir à ce mouvement des patients-experts. C’est donc la reconnaissance par des professionnels soignants de ce que les patients savent faire face à la maladie. Mais c’est aussi des manières d’associer des patients dans les équipes médicales pour apporter quelque chose aux autres patients : les pairs-aidants. Ce mouvement d’expertise de pair-à-pair va d’ailleurs bien au-delà du champ de la santé. Dans les champs du travail social, de la lutte contre la pauvreté, de l’insertion de personnes en marge, on a aussi recruté des pairs-aidants. Il n’y a pas de pathologie, mais bien une expérience qui leur donne donc un savoir sur cette condition et partant, des outils dont d’autres pourraient bénéficier.
Pour revenir à votre proposition de parlement du coronavirus. En quoi ça pourrait consister et comment ça pourrait changer la donne ?
Il s’agit d’une part de revaloriser le rôle des parlements, qui est souvent minoré par l’imposition d’une verticalité lors de crises. Et d’autre part de créer une instance de délibération, un peu dans l’esprit de Bruno Latour et son parlement des choses, où des intérêts divers seraient représentés plus largement face aux enjeux nouveaux qui se posent en matière de santé.
Au fond, ça existe déjà dans des instances créées dans nos démocraties depuis le 19e siècle. On reconnait la nécessité d’une intervention technique sur un certain nombre de problèmes, et on crée donc des instances d’expertises pour plancher sur ces questions très précises suivant les priorités du moment : le logement, la santé publique, le travail, l’école… La question qui se pose, c’est celle du cadrage du problème, qui aujourd’hui sont globaux alors que ces instances d’experts planchent sur des réponses par champs très restreints.
Il y a en effet dans ces instances d’expertises un héritage du fonctionnement des administrations de nos États qui ont été construites durant les trois premiers quarts du 20e siècle, c’est-à-dire quand nos États intervenaient directement pour constituer et animer des secteurs de la vie sociale. Des commissions spécialisées pouvaient planifier de nombreux secteurs de nos vies dans le cadre de l’État providence. Or, depuis 40 ans, avec le néolibéralisme, on a assisté à un retrait de l’État qui a produit un émiettement de problèmes pourtant imbriqués les uns avec les autres. Cet émiettement se traduit par exemple dans la désinstitutionnalisation de la psychiatrie par le fait qu’on renvoie les gens chez eux, qu’on ferme les grandes institutions. Les problèmes de santé mentale de ces gens qui rentrent chez eux vont dès lors être pris en charge par une diversité de services (aide au logement, services sociaux…) qui ne sont pas intégrés comme ça l’était dans le cadre d’une vaste institution de santé mentale. On va donc se retrouver par exemple avec des questions de santé mentale dans le logement puisque quand on renvoie les personnes avec des problèmes psychiatriques dans les HLM, la santé mentale devient un enjeu pour les HLM.
C’est précisément cette transversalité des problèmes qui rend les grandes instances d’expertises beaucoup moins efficaces aujourd’hui, car elles ne sont plus tout à fait en phase avec les problèmes tels qu’ils se posent puisque les situations sont devenues beaucoup plus fluides. Les problèmes de santé circulent dans toutes les sphères de nos vies. Ce sont, à l’école, les questions d’échecs scolaires ; au travail, les questions de harcèlements, de burn out, de risques psychosociaux ; dans le logement, de mal-logement, de syndrome de Diogène… Les questions de santé ne sont donc plus seulement une affaire de médecins, mais deviennent multidimensionnelles. Un fait social total comme le Covid l’a encore prouvé récemment. Or, nos instances d’expertises, conçues en silo, sur des enjeux spécifiques, ont tendance à ne plus avoir de prise sur ces phénomènes. D’où le besoin d’autres formes de fonctionnements démocratiques qui passent par la mobilisation des individus, par la consultation, par la rue, et qui bousculent à raison le fonctionnement de l’expertise et des gouvernements.
Justement, la démocratie n’est pas seulement faite de négociations policées, c’est aussi du conflit, du dissensus, du rapport de forces… Comment les associations d’usagers plus militantes peuvent peser dans le débat et la prise de décisions ?
Elles le font avec leurs outils, avec l’activation et l’invention de tout un répertoire d’actions collectives et d’interpellations qui sont propres aux mouvements sociaux depuis les débuts du mouvement ouvrier.
Et comme on a produit du savoir, par exemple marxiste, sur des questions de travail et d’économie, à opposer à la vision patronale, on doit, pour pouvoir être entendu, produire de la connaissance dans le champ médical. C’est par exemple pourquoi différentes organisations de lutte contre le Sida, comme Act-Up, ont développé une vraie expertise en termes d’essais cliniques, de production des traitements, de travail sur les processus par lesquels on produit et valide les traitements afin de les accélérer, les amender, les transformer.
On a aussi des stratégies d’indépendance financière. L’exemple le plus connu, c’est celui des personnes atteintes de myopathie réunies au sein de l’Association Française de Myopathie (AFM) qui ont mis en place un système de financement via un show télévisé bien connu : le Téléthon. Au départ, il s’agissait de récolter de l’argent pour financer la recherche sur cette pathologie. Mais devant le succès et les sommes considérables récoltées, ils se sont retrouvés avec la possibilité non seulement de pouvoir financer des recherches existantes, mais aussi de pouvoir organiser eux-mêmes la recherche, en mettant en place un comité visant à susciter, orienter, encadrer des recherches vers des pistes qu’ils jugeaient eux-mêmes prometteuses.
Et en psychiatrie ?
La question des mouvements d’usagers en psychiatrie est plus compliquée. On y a toujours eu la tentation de parler à la place des patients. Tentation plus forte encore que dans d’autres secteurs de la santé, car en psychiatrie le patient est supposé être aliéné par sa maladie mentale et qu’il est donc à libérer. Cette idée est même constitutive de l’histoire de la psychiatrie depuis deux siècles. Le mythe fondateur de la discipline, c’est Philippe Pinel, un médecin, qui libère littéralement des malades de leurs chaines. On a donc connu de nombreux mouvements en psychiatrie visant à libérer les aliénés, à leur donner accès à une citoyenneté, mais aucun ne vient des malades eux-mêmes jusque dans les années 1970. Y compris d’ailleurs l’antipsychiatrie qui est un mouvement de contestation de la psychiatrie mis en place par des psychiatres.
Les vrais mouvements d’usagers en psychiatrie ne sont arrivés qu’à la fin des années 1970 avec en France, le « Groupe Information Asile », en Belgique, les « Émarges mentaux », ou encore aux États-Unis, des groupes de « survivants de la psychiatrie ». On est moins ici dans la contestation des savoirs par les groupes de malades – notamment parce que ce débat est déjà très vif parmi les psychiatres –, mais plutôt dans celle – notamment sur le plan juridique – des conditions des soins psychiatriques, et particulièrement des soins sous contraintes qui n’existent que pour cette spécialité. Aux États-Unis, les survivants de la psychiatrie ont commencé par contester les traitements forcés aux neuroleptiques des personnes hospitalisées, qu’elles le soient contre leur volonté ou non. Ainsi, le fait que vous soyez contraint de rester dans un hôpital psychiatrique ne devrait pas donner le droit à votre psychiatre de vous administrer des médicaments neuroleptiques sans votre accord. Ce mouvement a été un succès et il a contribué de façon décisive à poser la question de ce que pourrait être un soin non contraint en psychiatrie et à mettre en question le rapport qu’entretient cette discipline, historiquement, à la contrainte. Plus récemment, le mouvement des « Entendeurs de voix », implanté dans la plupart des pays européens, revendique pour sa part d’interroger la normalité et milite pour une autre qualification de leur pathologie. Il essaye ainsi de resituer l’expérience de l’hallucination auditive comme une expérience normale – qui peut certes parfois tourner mal pour certains –, mais pour laquelle il existe en tout cas un ensemble de savoir-faire pour vivre avec et les gérer sans médicaments.