Les évènements dramatiques de la guerre de 14 ont entraîné la publication d’une quantité phénoménale de récits, journaux et témoignages divers, tous ancrés dans les terribles réalités du conflit. Cette production abondante, initiée pendant la guerre, se poursuivra jusqu’à la fin des années 20. De ce gigantesque corpus se dégage un roman d’un genre nouveau, hybride, témoignage romancé des années de front, vécues durement par une génération d’écrivains combattants.
Auteurs confirmés avant la catastrophe ou « révélés » par la guerre elle-même, ces écrivains laissent à la postérité une littérature dont leur propre expérience du champ de bataille constitue la matière première. La mort et ses formes nouvelles, violentes, « grotesques » (Cendrars) ; les conditions de vie dans les tranchées ; la guerre mécanique, chimique ; la vie en groupe au-delà des préjugés de classe (pas simple pour des intellos…) ; les bombardements et les offensives à outrance, dévastatrices…
Comme bon nombre d’intellectuels, les écrivains — traditionnels, modernes ou d’avant-garde — se sont massivement engagés dans la Grande Guerre, certains par conformisme patriotique, d’autres par consentement à l’inéluctable, d’autres encore tentés par une vision « régénératrice » du conflit, la guerre étant perçue comme un passage nécessaire de la décadence à la naissance d’un monde nouveau.
Les motivations varient peu d’un camp à l’autre, mais le choc industriel du conflit bouleversera chez la plupart les représentations romantiques et préalables d’une guerre idéalisée. C’est donc une fiction profondément inspirée par des modes guerriers encore inédits qui prend forme dans les tranchées. La difficulté étant de raconter l’inconcevable. Si le rapport est étroit entre cette fiction et le réel, si la relation à la vérité se fait complexe, il n’en reste pas moins que la littérature de la Grande Guerre conserve une force intacte et bouleversante. « La guerre a fait de nous des propres à rien, écrit Remarque. Nous ne voulons plus prendre d’assaut l’univers. Nous sommes des fuyards. Nous avions dix-huit ans et nous commencions à aimer le monde et l’existence ; voilà qu’il nous a fallu faire feu là-dessus. Le premier obus qui est tombé nous a frappé le cœur. Nous n’avons plus aucun goût pour l’effort, l’activité et le progrès. Nous n’y croyons plus ; nous ne croyons qu’à la guerre. »
Malgré les points de vue, les intentions, voire les idéologies qui catégorisent leurs auteurs, seule la sensibilité formelle de l’écrivain diffère vraiment. La convergence se vérifie sur de nombreux thèmes dont celui, et non des moindres, d’une humanité contrainte à la régression… « Je comprends cette sagesse des oppresseurs, qui retirent à ceux qu’ils exploitent l’usage de leur cerveau, en les courbant sous des tâches qui épuisent. Je me sens parfois au bord de cet envoûtement que donnent la lassitude et la monotonie, au bord de cette passivité animale qui accepte tout, au bord de la soumission, qui est la destruction de l’individu. Ce qui est en moi qui juge s’émousse, admet et capitule. L’hébétude, le jeu des disciplines se passent de mon consentement et m’incorporent au troupeau. Je deviens un vrai soldat d’infanterie, la biffe comme on dit, l’intelligence sur la couture du pantalon, exécuteur des corvées et fragment d’effectif » (Gabriel Chevallier).
Notons enfin que la censure ne s’organisant que tardivement, elle touchera peu les romans (en France en tout cas), contrairement à d’autres types de publication (la presse essentiellement et les écrits pacifistes, plus rares). Ainsi, « Le feu » d’Henri Barbusse est publié en 1916 et obtient le prix Goncourt la même année, sans avoir été « échoppé » (subir des coupures). La censure sera d’autant plus acceptée que c’est en partie parmi les écrivains et poètes eux-mêmes que l’on recrutera les censeurs… Guillaume Apollinaire sera l’un d’eux. La plume sur la couture du pantalon.
À lire en priorité
Henri Barbusse, Le Feu
Ernst Jünger, Orages d’acier
Blaise Cendrars, La main coupée
Gabriel Chevallier, La peur
Frederic Manning, Nous étions des hommes
Jean Bernier, La percée
Erich Maria Remarque, À l’Ouest rien de nouveau