Comment t’es venue l’idée de ces interventions urbaines et en quoi consistent-elles ?
Je me balade souvent en rue, je marche, je réfléchis, je pense et c’est au fil de ces balades que j’ai remarqué pas mal de trous dans le sol, des pavés manquants, des choses qui étaient enlevées, etc., et ces pavés manquants l’étaient depuis longtemps.
C’est alors que J’ai eu l’idée de travailler avec le bois, d’en faire mon matériau « fétiche ». Au cours de mes études à l’Académie des Beaux-Arts de Tournai, il y a deux ans d’ici, j’avais réalisé une installation qui était une rampe d’accès pour personnes handicapées, elle avait été fabriquée avec des matériaux de récupération, des palettes, des portes, etc.
Et il me restait encore toutes ces palettes, je décidais alors de ne rien jeter, il fallait nécessairement que j’en fasse quelque chose. Il m’est donc venu l’idée de réutiliser les cubes que l’on trouve sur les palettes et les faire vivre, prendre forme en tant que pavés avec une signalétique qui est le rouge : celle du danger, la Croix-Rouge, la demande d’attention, de vigilance etc. Le rouge n’a rien à voir avec une quelconque coloration politique. Cette signalétique je l’avais déjà utilisée lors d’un précédent travail mais qui ne visait pas du tout la même optique, il s’agissait d’un travail sur le thème du facteur.
Un personnage de facteur ?
Oui, oui celui qui dépose le courrier. Mais ce n’est pas le travail en lui-même qui était intéressant sur ce coup-là, c’était surtout les relations humaines, pouvoir tisser un lien social avec les gens. C’était essentiellement la démarche de ce projet qui m’avait séduit rien à voir à priori avec ce que je fais actuellement. Mais ironie du sort, finalement, ce lien social je le retrouve dans la trajectoire artistique que je me suis fixée. En effet, le fait d’aller réparer les sols, muni de mes pavés en bois dans un grand sac par-dessus mon épaule…c’est un engagement social selon moi ! En tout cas c’est de cette façon que j’ai commencé. La pose des premiers pavés a pris court depuis presque deux ans. Puis la tournure des choses a bien vite évoluée, tout s’est très vite multiplié. Mon regard a été attiré vers du mobilier urbain qui était aussi détruit, cassé ou abîmé. J’ai mis mon art au service des bancs publics puis en appui aux vitres des cabines téléphoniques qui volaient en éclats. Ensuite, je me suis intéressé au malheureux état des gouttières, puis des barrières « invisibles » le long de l’Escaut. J’ai remarqué pas mal de barrières et rambardes cassées ou devenues inexistantes au fil du temps. J’ai alors mesuré le danger qu’elles représentaient. Il n’était pas rare de voir passer des enfants vraiment tout près et je me suis dis qu’il suffisait qu’ils trébuchent et patatras un enfant tombé dans l’Escaut ! J’ai donc commencé à fabriquer ces barrières et à les installer. Mine de rien, J’en ai déjà posé une trentaine. Ce qui est assez drôle aujourd’hui, c’est qu’il y en a quelques-unes qui ont été enlevées et réparées. La ville est passée par-là et a compris le message visiblement…
Tu es un peu connu dans Tournai ? On t’a désigné « le soigneur des villes ». C’est une appellation qui te correspond bien ? L’idée d’aider les gens tout en réparant des choses qui pourraient devenir sur le long terme dangereuses pour eux ?
Oui, les gens commencent à me connaître. Puis, j’ai fait beaucoup d’interventions sur Tournai, mes premières « ébauches » ont pris naissance dans cette ville. Maintenant, mes actions environnementales ont commencé à se développer hors de Tournai, dans le nord de la France ainsi qu’à Bruxelles. Notamment en face du Palais des Beaux-Arts, à l’arrêt de tram Koning, dans la rue Haute, le quartier des Marolles, des pavés et des dossiers de bancs publics remplacés, toujours en bois évidemment. A Pâques je suis parti exécuter quelques réparations dans une petite ville espagnole près de Valence. Et je ne compte pas en rester là…
Tu es originaire du Nord-Pas-de-Calais ?
Oui, je viens du Pas-de-Calais, de Nœux-les-Mines plus précisément à côté de Béthune. Là-bas, j’ai commencé à faire des réparations en gare de Béthune, là où les portes des cabines téléphoniques étaient cassées. Puis en chemin je me suis arrêté à Bavay et à Nœux-les-Mines où sur le quai de gares, les abris de train étaient dans un grave état de délabrement. J’ai réparé encore et toujours. A Bully-les-Mines aussi. On peut suivre facilement mes interventions en prenant le train de ce côté, le rouge y domine !
Au fur et à mesure, le temps joue en ma faveur, je me déplace un peu partout, j’élargis mes trajectoires. L’idée étant qu’au volant de ma camionnette, lorsque je me retrouve en tous lieux, j’ai toujours quelques matériaux avec moi, quelques pavés, quelques bouts de bois déjà peints, et même parfois il m’arrive de fabriquer directement sur place. Je répare alors en real time les choses qui peuvent l’être.
Tu comptes continuer dans ce type d’art ou tu as une idée plus précise ?
Dans le futur, bien sûr, je vais continuer, je ne vais pas m’arrêter là et j’ai un tas d’idées qui naissent et sont dans la même logique, dans le même ordre des choses.
En ce moment, je suis occupé à travailler sur des cages de buts de foot pour les implanter sur un terrain où il n’y en avait plus. Ce projet se situe à tournai en face de la Caserne Saint-Jean. Pour cette intervention, un ami m’a rejoint, son travail consiste à tisser les pieds. On utilise pour ce projet-ci des fils de récupération des échafaudages, des filets de pommes de terre, etc. Quand le projet sera abouti, il sera très coloré, très visible. Nous organiserons pour l’occasion un petit événement, un petit match de football avec les gens du quartier et nous proposerons aux enfants de disputer des matchs, etc. Encore une fois, la dimension sociale qui m’habite sera au rendez-vous.
As-tu déjà rencontré des difficultés avec les autorités locales ou avec la police enraison de ces interventions sur la voie publique ?
Non, jusqu’à présent pas la moindre. En ce qui concerne la police tournaisienne, elle connaît un peu mon travail car la presse locale commence à parler de mes travaux. Ils voient plutôt en mes interventions un geste salutaire et citoyen. En tous cas, ils ne sont jamais venus m’interpeller. Quant aux gens, ils sont assez séduits par le côté esthétique, artistique que peut prendre l’art urbain que je développe. Je trouve ces appréciations très chouettes.
Quels sont tes rapports avec l’urbanisme ou l’architecture ? Est-ce que tu as des références ?
Effectivement, il y a des architectes ou artistes qui m’intéressent pas mal. Je pense entre autres à Shigeru Ban connu notamment, pour ses constructions à base de tubes de carton fort, destinées par exemple à être des habitations temporaires pour réfugiés après des catastrophes naturelles (séismes, inondations). Sa particularité, et c’est ce trait d’intervention qui m’intéresse dans le personnage, est qu’il reconstruit en collaboration avec les gens. Sa technique est d’amener énormément de matériaux qu’il récupère dans les usines. Je trouve cela assez noble comme travail.
Il y a aussi Tadashi Kawamata qui dans les années 1980 à Paris fabriquait des petites maisons sous les ponts. Cet architecte lui travaillait énormément le bois, il créait des sculptures certes très esthétiques mais qui finalement n’avaient aucune fonction particulière. Ce sont des installations environnementales dans lesquelles je me retrouve aussi dans la forme et dans le style d’organisation ‘’désorganisée’’.
Et ton choix jusqu’à présent est de travailler essentiellement avec du bois ?
Essentiellement avec le bois, mais je diversifie aussi. Il m’arrive de travailler avec des bouteilles en plastique pour refaire une gouttière. J’ai travaillé en février dernier en tandem avec un allemand rencontré à Minsk. C’était dans le cadre d’un échange culturel via une association appelée Locadi. J’ai choisi de travailler avec cet Allemand car il intervient directement sur des sculptures détériorées, il rajoute de la matière comme du polystyrène, ou une multitude de matières différentes. Nos idées se sont rencontrées et nous avons décidé de travailler en commun. Nous sommes intervenus sur une structure de bois qui au départ n’était pas peinte. Nous avons utilisé du pain sec que nous avons badigeonné de mon rouge, nous l’avons alors mis sur les parties endommagées de l’œuvre.
On répondait autant avec ma couleur sur son matériau et avec mon matériau sans ma couleur. Au mois d’août, normalement, je pars quelques jours en Allemagne, nous allons de nouveau travailler ensemble à Erfurt.
Si tu devais mettre un qualificatif sur tes interventions, que dirais-tu ?
Je dirais que ce sont en priorité des interventions d’utilité publique, qui dénoncent aussi, tout au moins en partie l’inaction des autorités publiques. Mes interventions mettent en avant les choses qui demandent un entretien. Mais ce n’est pas là mon idée première, ce n’est pas du tout d’aller pointer les villes en disant « si vous n’avez pas fait cela, ce n’est pas bien ». Mais forcément les choses parlent d’elles-mêmes. La conception et la poursuite de mon projet sont bien celles de sécuriser à un moment donné l’endroit et de le réparer. D’attirer le regard aussi.
Tes projets d’avenir dans l’immédiat, tu parlais d’un projet d’urinoirs publics, j’en découvre dans ton atelier les premiers frétillements, c’est un prototype ?
Oui, jusqu’à présent, il n’y en a encore aucun d’installé, cela viendra. J’ai dans l’idée de réaliser une intervention environnementale et utilitaire pour le Doudou, car à Mons, il y a particulièrement une rue où les jeunes urinent tout le temps pendant la manifestation folklorique, ce serait drôle de mettre une quinzaine d’urinoirs en fonction, pourquoi pas ! En plus Mons, il y a longtemps que je n’y ai pas remis les pieds. C’est une belle occasion.
Tu ne dois pas demander l’autorisation pour une telle intervention urbaine ?
Je crois que ce sera purement événementiel, ce ne sera pas dans le but de les laisser tout le temps. C’est dès lors de l’art éphémère. Les propriétaires sont d’ailleurs assez contents d’avoir enfin un urinoir dans le coin sur leur passage.
Il faut aussi qu’à côté de ces interventions je trouve un petit emploi alimentaire. Je travaille toujours entre deux, je fais des petits boulots qui pour moi représentent aussi des moments importants car se plonger dans la vie active vous apprend beaucoup d’autres choses, des choses élémentaires parfois. En réalité, pour tout dire, j’aime bien me retrouver dans des situations tout à fait décalées. Actuellement, je travaille pour une société de nettoyage mais c’est exclusivement alimentaire.
Cela te prend combien de temps à peu près une intervention ?
Un pavé, ce n’est pas très long. Les barrières pas trop détériorées cela me prend un quart d’heure. Par contre, je pense à l’intervention que j’ai faite sur une cabine téléphonique, je suis venu directement avec des planches, il n’y avait rien qui était préparé, et j’ai donc travaillé sur place. Cela a pris une heure et demie mais c’était super drôle de le faire.
J’aime assez varier la pratique, ne pas venir avec quelque chose de tout fait quand je peux me le permettre, quand l’occasion s’y prête.
Quand tu travailles pendant une heure et demie, y‑a-t-il des gens qui viennent te voir, suivre ton travail ?
Oui, et avec le travail des pavés, ce qui est drôle aussi, c’est que j’en mets à un endroit puis je vais quelques mètres plus loin, il y en a un autre qui est enlevé, les gens m’accompagnent. Et cela devient vraiment une performance. Dans le cadre du Festival 2011 d’expositions d’art contemporain et interventions plastiques en ville à tournai appelée « Art dans la ville » auquel je participais, je m’étais pas mal baladé et j’ai remis des pavés à travers la ville durant tout un après-midi, c’était excitant.
J’ai réalisé également avec un ami, un travail pour la ville de Tournai qui était considéré comme un travail d’utilité publique. Il s’agissait de poubelles de tri sélectif que l’on avait fabriqué avec des matériaux de récupération et cela a fonctionné pas mal. Les gens venaient y déposer la collecte des déchets, le verre, le PVC, le papier carton en notre présence avec nos matériaux, nos installations environnementales. Pour la circonstance on avait même fabriqué nos charrettes, nous étions avec nos vélos. Ce fut un chouette moment de partage d’idées avec les gens.
Tes projets futurs ?
Dans un futur proche, je participe au festival Visueel au Centre culturel de Berchem-Sainte-Agathe les 2 et 3 juin prochains où je monte une installation « vidéo dans la camionnette », ce sont des actions réparations » réalisées dans différentes villes. Puis, en compagnie de Gaëtan Koch et Priscillia Beccari, nous allons nous atteler à la réalisation d’une œuvre monumentale, en accord avec la Ville de Tournai et de quelques d’agriculteurs. C’est prévu pour le 2 juillet 2012, on pourra la découvrir du sommet du Mont Saint-Aubert ou d’un hélicoptère. Pour la même occasion, nous avons aussi pour projet d’échafauder une installation imposante sur le toit de la Maison de la culture.