Dans le cadre de sa mission de formateur du prochain gouvernement fédéral, Bart De Wever a diffusé plusieurs notes aux partis pressentis pour une coalition. À travers les versions, différents thèmes restent constants. Parmi ceux-ci, le travail du dimanche, de nuit et des jours fériés. Concrètement, nous pouvons lire : « L’interdiction du travail du dimanche, du travail de nuit et du travail les jours fériés sera supprimée ». Cette flexibilité est souhaitée par plusieurs fédérations patronales et partis politiques, lesquels prennent en exemple les Pays-Bas. Il est vrai que, de l’autre côté de la frontière, le recours aux horaires atypiques de travail est plus important qu’en Belgique.
Ainsi, le travail en soirée concerne près d’un travailleur·euses sur 3 aux Pays-Bas (contre moins d’un sur 10 en Belgique). Concernant le travail en équipe et de nuit, nos voisins enregistrent des pourcentages largement supérieurs aux nôtres : 8,2% aux Pays-Bas contre 3,6% en Belgique. Pour ce qui est du travail du samedi, plus d’un travailleur sur 4 est concerné aux Pays-Bas tandis qu’il concerne moins d’un travailleur sur 5 en Belgique. Enfin, le travail du dimanche est une réalité pour près d’un travailleur sur 5 de l’autre côté de la frontière contre 1 sur 10 en Belgique. À ce propos, nous constatons que les travailleuses hollandaises sont plus concernées que leurs homologues masculins par des activités professionnelles le septième jour de la semaine (22,3 % contre 17,4 % pour les hommes).
Pourquoi de telles différences entre nos deux pays ? Aux Pays-Bas, la législation en matière de flexibilité et d’horaires atypiques est plus souple, ce qui facilite leur implémentation par les employeurs. En Belgique, le cadre légal actuel prévoit le recours à la concertation sociale ou, à défaut de représentation des travailleur·euses, des procédures administratives au sein des organes sectoriels de concertation. Mais la flexibilité hollandaise constitue-t-elle un idéal à copier ? Concrètement, seriez-vous d’accord de travailler le jour de Noël ou le 1er mai ? Seriez-vous aussi d’accord de travailler la nuit ou le dimanche ? Si cette intention politique se concrétise, ces questions ne vous seront pas posées : ces formes de flexibilité vous seront imposées indépendamment de leurs impacts sur votre vie. Le formateur du prochain gouvernement fédéral semble vouloir faciliter toute initiative patronale d’implémentation de la flexibilité en contournant la concertation préalable des travailleur·euses.
MOINS CHER LE TRAVAIL DE NUIT ET MOINS D’ARGENT POUR LE TRAVAILLEUR
Par ailleurs, la « super nota », c’est-à-dire la note qui sert de base aux négociations du programme du gouvernement fédéral à venir, comprend le passage suivant : « Le travail de nuit commencera désormais à partir de minuit au lieu de la limite actuelle de 20 heures, sans perte de pouvoir d’achat pour le travailleur qui travaille déjà aujourd’hui entre 20 h et 24 h ». Dans la pratique, cela signifie que la prime de nuit des travailleurs concernés sera désormais attribuée à partir de minuit au lieu de 20 h comme c’est le cas actuellement.
Afin de mesurer l’impact financier de ces « quelques lignes », nous nous sommes penchés sur la situation typique de quelques travailleur·euses concerné·es par le travail de nuit. Par exemple, Ali, employé du secteur de la chimie, engagé en temps plein en équipe de nuit recevra 78 € bruts en moins par mois.1 Mariam, infirmière dans un hôpital privé, qui preste 6 nuits par mois touchera 120 € bruts en moins par mois.2 Quant à David, ouvrier dans un dépôt de la grande distribution, travaillant également de nuit, il perdra 198 € par mois.3
Les pertes de revenus calculés ci-dessus se basent sur des données actuelles et figées : les futures augmentations et indexations des salaires et primes de nuit augmenteront encore cette différence.
Aussi, le manque à gagner sur une carrière est considérable. Ainsi, sans tenir compte des augmentations et indexations annuelles et partant qu’Ali doive encore travailler 25 ans avant sa pension, il perdra plus de 23 500 € !
Un autre passage doit attirer notre attention : « sans perte de pouvoir d’achat pour le travailleur qui travaille déjà aujourd’hui entre 20 h et 24 h ». Les nouveaux travailleurs en équipes et de nuit sont-ils les seuls impactés ? Ou s’agit-il uniquement des travailleurs d’entreprises qui instaureront le travail en équipes et de nuit à l’avenir ? Au-delà des réponses à ces questions, est-il éthique de créer de telles différences de traitement entre travailleurs concernés par des conditions équivalentes de travail ? De même, est-il judicieux d’accroitre l’attractivité financière de ces régimes de travail en faveur des employeurs et au détriment de la santé et de la qualité de vie des travailleurs ?
Au programme donc : réduction de la prime de nuit et suppression de l’interdiction du travail du dimanche, de nuit et les jours fériés. Prises ensemble, ces mesures indiquent clairement l’intention du formateur : les horaires atypiques doivent se développer en Belgique. Par conséquent, un travailleur actuellement employé en journée pourra être soumis à une adaptation arbitraire et conséquente de son horaire de travail. De même, une future travailleuse sera plus souvent confrontée à des propositions d’emplois pour lesquels le travail du dimanche est une règle non négociable. Mais travailler en décalage avec les rythmes habituels de la société laisse des traces sur les principaux concernés.
L’IMPACT SUR LA SANTÉ DES TRAVAILLEURS EN ÉQUIPES ET DE NUIT
Les individus sont des êtres diurnes. S’ils sont actifs de nuit, ils entrent en conflit avec leur horloge interne. Résultat ? Différentes fonctions de leur corps comme le sommeil, la température, la digestion et la sécrétion hormonale se dérèglent. Cela a bien sûr des conséquences sur leur santé : troubles du sommeil, système digestif perturbé, problèmes cardiovasculaires, risque de cancer de la prostate, du pancréas, du rectum, de la vessie et des poumons. Une récente étude pointe aussi le risque accru de diabète pour les personnes soumises à un éclairage durant la nuit.
De même, une enquête de la KUL-HIVA met en avant la mauvaise qualité du sommeil des travailleurs en équipes et de nuit. Ainsi 67 % des travailleur·euses concerné·es estiment que leurs habitudes de sommeil ne sont pas bonnes, 52 % déclarent que leur sommeil a un impact négatif sur leur travail, 65 % estiment que leurs habitudes de sommeil ont un impact négatif sur leur vie sociale et familiale. Et enfin, 69 % déclarent que leur travail a un impact négatif sur leurs habitudes de sommeil.
Au même titre que des exercices physiques et une alimentation saine, une bonne nuit de sommeil est pourtant l’une des meilleures choses que vous puissiez faire pour votre santé. A contrario, le manque de sommeil peut avoir des effets importants sur notre corps et sur notre mental.Sur le plan physique, le manque de sommeil peut entrainer un risque accru de maladies cardiovasculaires, de diabète et d’obésité, ainsi qu’une altération du système immunitaire et un retard dans le processus de récupération après une maladie ou une blessure physique.
Les effets psychologiques du manque de sommeil peuvent inclure l’irritabilité, l’anxiété et la dépression, ainsi qu’une mémoire et une capacité de concentration plus faibles. En outre, le risque de développer la maladie d’Alzheimer est plus élevé. En raison des troubles de la concentration, vous risquez également de commettre des erreurs, par exemple au travail ou en conduisant votre véhicule. Cela vous met en danger ainsi que votre entourage.
QU’EN EST-IL DE LA QUALITÉ DES RELATIONS FAMILIALES ET SOCIALES DES TRAVAILLEUR·EUSES ?
Outre la santé, les horaires atypiques de travail placent le travailleur ou la travailleuse en marge de la société car se retrouvant régulièrement indisponibles pour des activités en société ou en famille. Par exemple, on pourra constater un déphasage par rapport aux rythmes scolaires, aux activités et aux éventuels temps de garde des enfants. De même, une indisponibilité fréquente pour une multitude d’activités sportives, culturelles ou ludiques qui se déroulent les week-ends que le travailleur en soit le protagoniste, le spectateur ou le simple accompagnant. Ces absences nuisent à la qualité de son implication dans la vie familiale et sociale.
Côté professionnel, l’isolement du travailleur du week-end, de nuit ou en équipes existe aussi. Son accès aux services de l’entreprise est plus compliqué (service du personnel, médecin du travail, activités sociales, représentation du personnel). Son horaire atypique de travail freine aussi son évolution professionnelle en raison d’un accès moins aisé aux formations. Dans le même ordre d’idée, alors qu’ils constituent un ascenseur professionnel et un atout majeur de réorientation, les cours du soir ne lui sont pas accessibles.
Alors que le nombre de travailleur·euses malades atteint le demi-million, que son évolution est croissante et que le nombre de burnouts et de dépressions a augmenté de 46 % en 5 ans, il apparait urgent de prendre des mesures qui améliorent les conditions de travail. Malheureusement, force est de constater que les actuelles intentions des partis politiques réunis pour un accord de gouvernement fédéral vont dans l’autre direction. Combien de nouveaux malades, de burnouts et de dépressions devrons-nous relever à la suite de cette course à la flexibilité ? Quel en sera le coût pour la Sécurité sociale ? Mais aussi quelles seront les difficultés quotidiennes des employeurs confrontés à un accroissement des absences pour maladie ?
LA COURSE À LA FLEXIBILITÉ AU DÉTRIMENT DES TRAVAILLEURS
Alors, êtes-vous prêts à travailler le dimanche, la nuit et les jours fériés ? Êtes-vous d’accord de mettre votre santé en danger et vos relations sociales entre parenthèses ? Trouvez-vous aussi correct de voir vos revenus diminuer ? Avant tout accord de gouvernement, les partis politiques de la future coalition fédérale devront prendre en considération les conséquences concrètes induites par des horaires atypiques de travail. La course à la flexibilité détériorera le quotidien et le revenu des travailleur·euses, les éloignera de leur emploi, ne répondra pas aux attentes des entreprises sur la durée et augmentera les coûts de la sécurité sociale.
Sur base du contenu actuel de la « super nota », les travailleur·euses sortent perdant·es sur toute la ligne : plus de flexibilité et moins de revenus, plus de risques pour leur santé et moins de temps pour leurs relations familiales et sociales. Indépendamment des visions politiques, les travailleur·euses méritent plus de considération et de respect, en particulier ceux qui sont les plus exposés aux problèmes de santé et qui rencontrent des difficultés à combiner vie privée et vie professionnelle.
- Salaires et primes de nuit minima appliqués pour les employés du secteur de la chimie : Salaires en CP 207 et CCT 49.
- Voir Le baromètre de la vie chère — FGTB Wallonne.
- Idem.
Andrea Della Vecchia est secrétaire fédéral de la FGTB
Cet article fait partie d'uns série de trois contributions liées aux enjeux que posent les projets gouvernementaux en matière de flexibilisation du temps de travail.
La f·r·acture sociale de la flexibilité - Andrea Della Vecchia
Les impacts genrés de la flexibilisation du travail - July Robert
Sans papiers, laboratoire de la flexibilisation du travail - Aurélie Ghalim