Les frontières de l’Europe forteresse tuent, chaque jour un peu plus. Le renforcement des frontières extérieures de l’UE n’a jamais arrêté le flux migratoire. Il l’a rendu juste beaucoup plus dangereux. Les perdant·es de cette politique sont de toute évidence les victimes, qui n’ont pas quitté leur terre d’origine par choix mais bien par nécessité de survie. Les gagnant·es, quant à elles·eux, on les retrouve généralement à l’ombre des bureaux de la capitale européenne. Petit tour d’horizon…
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Quartier Schuman
Le cœur du système politique de l’UE bat dans ce quartier européen, ancien quartier populaire de Bruxelles. De 30 à 40 % des lois des États membres sont issues des décisions de l’UE. Tout autour de cette activité législative, un intense travail de lobbying visant à influencer élu·es et haut·es-fonctionnaires européen·es s’est développé. Un lobby, c’est une structure organisée pour représenter et défendre les intérêts d’un groupe donné en exerçant des pressions ou des influences — directes ou indirectes — sur des personnes et institutions détentrices de pouvoir concernant l’élaboration, l’interprétation, l’application des lois et directives des pouvoirs publics. On estime aujourd’hui à environ 25 000 personnes le nombre de lobbyistes en fonction à Bruxelles. Certaines estimations parlent même de 50. 000 personnes !
Il existe un « registre de transparence ». Il s’agit d’un site internet où toute organisation qui exerce une activité de lobbying européen à Bruxelles peut se déclarer (sans obligation toutefois). En place depuis 2011, il est accessible au public sous forme de moteur de recherche.
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LA Commission européenne
C’est la gardienne des traités de l’UE et la garante de l’intérêt général de l’Europe. Mais c’est aussi (et surtout) l’exécutif de l’UE : elle propose des législations, met en œuvre les décisions et gère les affaires courantes de l’UE. Son pouvoir très important en a fait la cible principale des lobbys de tous les secteurs.
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Le Conseil européen
Le Conseil européen rassemble les chefs d’État et de gouvernements des 27 pays membres de l’UE. Ils se réunissent en sommet plusieurs fois par an, dont 4 au moins se tiennent à Bruxelles. Ils doivent définir ensemble les orientations et priorités de politique générale européenne. Attention à ne pas confondre avec le Conseil de l’Europe — organisation internationale qui défend pour sa part les droits humains.
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MBDA
MBDA (Matra-Bae Dynamics-Alenia), c’est le leader européen et le numéro 2 mondial dans la fabrication de missiles avec un chiffre d’affaires de 4,45 milliards d’euros. Cette entreprise du secteur sécurité défense est issue de la fusion des principaux producteurs de missiles français, italiens, allemands et anglais.
Le site internet de la MBDA contient des onglets appelés « responsabilité et d’entreprise » et « éthique » : « Nous nous engageons à faire preuve de vigilance pour identifier et prévenir les impacts négatifs directs ou indirects de nos activités sur les droits humains, libertés fondamentales, santé et sécurité des personnes. Nous accordons une attention toute particulière aux droits des personnes vulnérables dans les pays dans lesquels nous exerçons nos activités »…
La MBDA déclare un 0,5 temps plein au registre de transparence de l’U.E et entre 50.000 et 99.999 euros dépensés chaque année pour le lobbying à Bruxelles.
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Thales
L’entreprise nait de la privatisation de l’industrie de l’armement en France (mais l’État français y est encore bien présent avec 30 % de l’actionnariat). Chiffre d’affaires : 18,4 milliards d’euros. La moitié de ses activités concerne le secteur sécurité défense, l’autre le civil. En 2012, Thalès et la société espagnole Aerovision présentent ensemble leur drone appelé Fulmar dans une première démonstration en vol organisée par Frontex. Il s’agit d’un drone de surveillance et d’identification maritime.
A cette occasion, la communication de l’entreprise rappelle à quel point « la surveillance et le contrôle des frontières sont essentiels pour garantir la sécurité intérieure d’une nation étant donné l’accroissement des risques et des menaces (immigration clandestine, trafic de drogues, terrorisme,…), les gouvernements réclament un plus haut degré de sécurité pour leurs frontières… »
Thalès déclare 3,5 personnes à temps plein pour faire du lobbying à Bruxelles et entre 300.000 et 399.999 euros de dépenses annuelles.
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Le Service Européen pour l’Action Extérieure
Le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) est le service de diplomatie de l’UE. Il nait en 2010, à la suite du Traité de Lisbonne en 2007 qui prévoit la fusion des activités de politique étrangère, de défense et de sécurité. Sa mission est de coordonner ces politiques au niveau européen et représenter l’UE à l’étranger.
Mais la politique de défense européenne préexiste à la politique étrangère. En 2004 déjà avait été créée l’Agence Européenne de Défense (AED) à la suite de l’intense lobbying des industries de l’armement. Son but était de combler « les trous » dans des capacités d’intervention militaire de l’UE et de coordonner de nouveaux projets d’armement. Les experts issus des industries sécurité défense occupent une place importante à l’intérieur de l’AED…Cette agence a été intégrée dans le SEAE dès sa création.
On retrouve donc les compétences de politique étrangère, de sécurité et de défense et les politiques commerciales liées dans un même organe institutionnel – ce qui présente le danger de fréquents conflits d’intérêts.
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BAE Systems
Situé dans le bâtiment de l’ambassade britannique, BAE Systems est le fabricant d’armes le plus important en Grande-Bretagne et en Europe et un du top 10 mondial avec un chiffre d’affaires de 6,04 milliards d’euros. Presque l’entièreté de son activité est dédiée à l’armement.
BAE Systems a multiplié les contrats européens autour des activités liées au contrôle de la migration (OPARUS, SEABILLA, PERSEUS,…) par les frontières côtières et maritimes. Il s’agit souvent de contrats en collaboration avec d’autres grandes sociétés d’armement et donc un partage du budget européen attribué à chacun de ces contrats.
BAE Systems déclare une personne à temps plein pour faire du lobbying à Bruxelles en entre 50. 000 et 99.999 euros.
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Frontex / DG Entreprise et Spatiale
Dans le même bâtiment cohabitent l’agence Frontex, la Direction Générale (DG) Entreprise et la Direction Générale Spatiale.
Frontex
L’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes en est à sa deuxième version. Elle a été créée en 2004 avec un budget annuel de 6,5 millions d’euros. Son budget actuel dépasse les 800 millions d’euros. Jusqu’en 2015 son mandat consistait à harmoniser les procédures de contrôles aux frontières des États membres et à organiser les vols retour (expulsions des personnes en migration des États membres organisés par Frontex, par vol militarisé). Elle ne pouvait pas acheter son propre matériel ni ses équipements, elle devait compter sur les prêts des États membres pour ça. Mais en 2015, la « crise migratoire » change la donne : Frontex voit son budget exploser ainsi que ses compétences. L’agence peut aujourd’hui acheter son matériel, disposer de ses propres garde-côtes et garde-frontières (près de 3000 aujourd’hui) qui sont désormais armés. Elle est donc devenue une cible très intéressante pour les lobbys de l’armement.
DG Entreprise
DG Entreprises : L’UE possède un très gros budget Recherche et Développement dont l’enveloppe est répartie entre différents secteurs. Un de ceux-ci concerne la sécurité intérieure de l’UE et de ses frontières. Dans le cadre du programme actuel « Horizon Europe » ce sont ainsi des millions d’euros qui sont distribués aux industries de l’armement pour réaliser leurs projets et construire l’Europe Forteresse. Comment ? Les industries de l’armement envoient des experts dans les groupes de travail constitués par la Commission européenne pour conseiller l’UE et ce à divers moments du processus d’attribution de subsides de projets européens. Par exemple, pour définir les besoins de l’UE dans certaines politiques, pour écrire les appels d’offres, pour examiner les projets et pour les sélectionner. Ou comment être à la fois bénéficiaires et ceux qui attribuent les subsides…
DG Spatiale
L’agence spatiale européenne (ESA) lance le premier satellite du programme Sentinelle en mai 2014. Sentinelle est un projet qui cible l’étude de l’évolution des couches de glace, la pollution marine, la cartographie des mouvements de terrain… et qui met les images prises par les satellites à la disposition du grand public et des chercheurs. La communication de l’ESA à l’occasion de ce lancement précise cependant que si « la lutte contre l’immigration illégale n’est le core business de Sentinelle, ces satellites pourront toutefois servir à envoyer des alertes à l’agence Frontex s’ils repèrent des bateaux de personnes en migration traversant la mer vers l’Europe. »
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Les autruches du Parc Léopold
Ce petit parc dans le parc est un clin d’œil au jardin zoologique qui se trouvait là fin du 19e siècle. En 2016, des statues d’autruches y font leur apparition, elles ont toutes la tête dans le sol, à deux pas du Parlement européen… Un symbole représentant les eurodéputé·es qui ne veulent pas réaliser l’étendue de l’influence des grandes sociétés sur leur activité parlementaire ?
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LE Parlement européen
C’est l’organe parlementaire de l’UE, les membres sont élus au suffrage universel tous les cinq ans. Il a un rôle législatif, pour la législation européenne mais aussi pour les accords internationaux etc. Il assure également un rôle de contrôle démocratique sur les institutions. Il élit le président ou la présidente de la Commission européenne et établit le budget européen… Environ 8000 fonctionnaires y travaillent. On estime à plusieurs dizaines le nombre de lobbyistes actifs autour de chaque eurodéputé·es. Tout comme la Commission européenne, le Parlement est la cible des lobbyistes pour leur compétence de législation.
Des Lobbys tours sont régulièrement organisés par Agir pour la paix