Quelles évolutions récentes notez-vous en ce qui concerne les sectes agissant en Belgique ?
Il serait d’abord opportun de repréciser ce que l’on considère comme secte dans notre pays. La définition légale est la suivante : « tout groupement à vocation philosophique ou religieuse ou se prétendant tel, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales, dommageables, nuit aux individus, ou à la société, ou porte atteinte à la dignité humaine ». C’est donc sur cette base que nous envisagerons ce phénomène. J’ai eu la chance de présider en 2006, un groupe de travail visant justement à mesurer l’étendue du phénomène dans notre pays.
Du point de vue quantitatif, on sait que la commission parlementaire mise en œuvre en 1996 suite aux suicides collectifs de l’ordre du temple solaire, avait auditionné 189 organisations qui selon les parlementaires posaient à tout le moins question. Dans la foulée de leur rapport, l’État a créé un observatoire des sectes particulièrement efficace, dénommé CIAOSN (Centre d’avis et d’information sur les organisations sectaires nuisibles). Cet outil remarquable recueille des questions de personnes privées mais aussi d’institutions publiques qui s’interrogent sur les pratiques de tel ou tel groupement. On peut considérer qu’en un peu plus de 10 ans ces questions ont porté sur plus ou moins 800 nouveaux groupements ou pratiques sectaires qui peuvent concerner de grands groupes mais aussi des pseudo thérapeutes individuels. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il y a 800 nouvelles sectes en Belgique, mais cela indique clairement, qu’à tout le moins, ces pratiques sont en recrudescence. Et avec la crise ça ne s’arrange pas.
Et d’un point de vue qualitatif ?
D’un point de vue qualitatif, on constate aussi une forte diversification des objectifs et des pratiques. Si durant de nombreuses décennies, notre éducation commune judéo-chrétienne était un terreau fertile pour les sectes apocalyptiques (en résumé : la fin du monde arrive, les bons auront le paradis éternel sur terre et les méchants iront en enfer…), il faut bien constater qu’à l’aube du troisième millénaire, ces convictions religieuses traditionnelles s’étiolent et qu’il fallait pour ces gourous de tout poil de nouveaux champs d’action. Ces gourous ne sont plus toujours affublés de grandes capes dorées et de couronnes, mais ont parfois le profil de jeunes cadres dynamiques, col et cravate, ou de pseudo-spécialistes en blouse de médecin… ce sont les secteurs de la formation professionnelle, du développement personnel, de l’aide humanitaire, ou encore de la jeunesse, qui sont les objectifs majeurs.
Une autre tendance qui interpelle, c’est la prolifération d’églises néo-pentecôtistes d’origine africaine qui pose aujourd’hui partout dans notre pays un réel problème de vie sociale et de manipulations de groupes.
Ce qui m’effraie le plus aujourd’hui, c’est encore le développement pernicieux de pratiques sectaires dans le domaine de la santé.
Dans le même temps, comment concilier la liberté des cultes avec la lutte contre la manipulation des consciences ?
Je suis pour le respect intégral de l’article 19 de la constitution qui garantit à chacun la liberté de conviction et de religion. Chacun peut aller à sa guise payer cher pour se faire passer la lumière avec une musique orientale en toile de fond, un bouddha en décoration et quelques incantations… si ça lui fait du bien ! Je m’opposerai toujours en revanche à toutes pratiques qui fassent en sorte, par exemple, qu’une personne atteinte d’un cancer du sein abandonne sa chimio pour aller se faire passer la lumière, c’est dramatique ! C’est un réel problème de santé publique !
Quels sont les modes d’approche privilégiés de ces organisations ?
L’objectif de ces organisations est clair : broyer les consciences, reformater les modes de pensée et vider vos portefeuilles. On constatera en général que les personnes contactées se trouvent souvent momentanément dans un état de faiblesse psychologique ou affective suite à un décès, une maladie, une rupture… La secte apparaît alors dans une attitude d’aide, d’empathie, et entoure avec le groupe la personne d’une pseudo affection, ce qui aura pour conséquence de rassurer, de se sentir protégé et de commencer le long calvaire à l’intérieur de l’organisation en coupant tout contact avec son milieu familial, social ou professionnel. D’autres techniques relèvent plus du marketing avec des propositions de cours, de formations dans le domaine du bien-être ou de l’amélioration de ses propres performances. Vous êtes quelqu’un d’intéressant mais il y a encore moyen de vous améliorer si… et c’est là qu’à coup d’heures de cours et de syllabus couteux, certains se retrouvent sans le sou. Et puis je dirais que les nouvelles technologies de la communication ne sont pas épargnées.
Justement, les sectes sont-elles présentes sur internet ?
Il est évident que ces organisations s’adaptent à la modernité, et donc internet est certainement un outil de recrutement efficace. Parce qu’il est un formidable outil d’acquisition d’informations mais aussi à mes yeux, une redoutable machine de repli sur soi et de liens sociaux virtuels. Il est donc aisé pour ces groupements mal intentionnés de lancer son hameçon dans l’océan planétaire du net et d’attendre que les poissons désespérés viennent s’y accrocher pour avoir le sentiment d’exister et d’avoir des amis. Un rapport récent de la commission d’enquête parlementaire du sénat français mettait en évidence la problématique des priorités données par les moteurs de recherche sur internet. En mettant en exergue le fait que taper « biologie totale » sur Google débouchait prioritairement sur plusieurs sites promouvant cette dérive sectaire en matière de santé alors que les informations officielles de la République n’arrivaient qu’en 7e position. C’est dire la puissance de ces machines et l’importance que nous devons accorder à leur présence sur le net.
En quoi consiste la loi sur l’abus de faiblesse votée en décembre dernier dont vous êtes l’un des auteurs ?
J’ai déposé en 2007 une proposition de loi prévoyant d’ériger en infraction la déstabilisation mentale des personnes et l’abus de situation de faiblesse des personnes. Ce texte trouvait sa source dans l’exemple français, la Loi About Picard qui sanctionne l’abus de faiblesse et qui a fêté en décembre dernier son dixième anniversaire, j’ai d’ailleurs pris la parole à l’Assemblée Nationale française à cette occasion. La pratique française nous a beaucoup aidés dans notre travail parlementaire, puisque l’on a constaté qu’en France, chaque année, cette loi avait permis 5 à 6 condamnations pour dérives sectaires, mais aussi 500 à 600 condamnations d’abus de faiblesse pour personnes âgées. Après de longs débats, ma loi a été votée et est parue au moniteur, et est donc pleinement active. Elle permet à chaque individu qui estime avoir été abusé dans un moment de faiblesse et avoir été amené à poser des actes qu’il n’aurait pas commis dans son état normal de porter plainte contre les personnes ou les organisations et le cas échéant d’obtenir réparation.
A‑t-elle permis des résultats ?
Plusieurs affaires sont à l’heure actuelle à l’instruction sur base de cette incrimination pénale, mais aucun jugement n’est encore arrivé. Il est encore trop tôt pour se prononcer.
Quels autres outils pour lutter contre ce phénomène pourraient être déployés ?
Le chantier est immense. L’action principale doit résider dans la prévention, mais pour ce faire, les outils manquent et les moyens humains et financiers aussi, et je ne crois pas que ce soit nos entités fédérées désargentées qui vont massivement investir dans ce domaine. Puisque l’on en est à repenser l’utilité même des cours philosophiques à l’école et de les transformer, ce que je plaide, en cours d’éducation à la citoyenneté et à l’histoire des religions et des philosophies, un chapitre dérives sectaires trouverait utilement sa place dans ce nouveau dispositif. De manière générale, je considère que nos médias de service public font un travail assez minutieux en la matière. Restent les victimes qui, une fois qu’elles ont osé s’arracher de la secte et se retrouvent seules, souvent isolées, et sans le sou, ne trouvent aucune structure pour se reconstruire et repartir dans la vie. C’est le but.
Vous êtes l’un des fondateurs de l’ASBL d’aide aux victimes AVISO, comment agit-elle ?
C’est justement pour tenter d’aider ces victimes que nous avons mis en place cette asbl, AVISO. Un aviso, c’est un petit navire de guerre chargé de détruire les sous-marins. C’est une belle image qui illustre la volonté de quelques bénévoles de se mettre au service des victimes, pour les soutenir d’abord mais aussi pour dénoncer avec force et vigueur les méfaits de ces groupements qui détruisent des vies, des familles, et gomment des individus de la société.