Le consentement : une notion à l’épreuve de la complexité des relations humaines

Illustration : Vanya Michel

L’entrée dans le Code pénal de la notion de consen­te­ment peut paraître une pro­gres­sion impor­tante pour une meilleure prise en charge des vio­lences sexistes et sexuelles. Pour autant, est-ce la pana­cée ? Notion ambigüe s’il en est, le consen­te­ment est ques­tion­né par de nom­breuses cher­cheuses qui n’y voient pas for­cé­ment le remède idéal. Si le concept a le mérite de mettre en lumière la néces­si­té de prendre en consi­dé­ra­tion la parole de chacun·e, il reste ambi­va­lent à divers égard. C’est cette ambi­va­lence que nous allons ten­ter de décrypter.

Si l’introduction dans les textes offi­ciels de la notion de consen­te­ment est une réelle avan­cée, celle-ci ne règle pas tout. Datant de 1867, les dis­po­si­tions concer­nant le droit pénal sexuel n’étaient plus adap­tées à notre époque. Conscient·es du côté obso­lète de ces der­nières, nos gouvernant·es ont tra­vaillé à leur réforme et c’est en 2022 qu’une série d’articles ont ain­si été publiés au Code pénal. Par­mi les notions appa­rues dans ces nou­velles dis­po­si­tions, celle de consen­te­ment au tra­vers de l’article 417/5 rela­tif aux infrac­tions sexuelles1 dont les pre­mières phrases se lisent comme suit : « Le consen­te­ment sup­pose que celui-ci a été don­né libre­ment. Ceci est appré­cié au regard des cir­cons­tances de l’affaire. Le consen­te­ment ne peut pas être déduit de la simple absence de résis­tance de la vic­time. Le consen­te­ment peut être reti­ré à tout moment avant ou pen­dant l’acte sexuel ».

Au tra­vers de ce terme, l’intention est de pou­voir prendre en consi­dé­ra­tion dif­fé­rentes atti­tudes autre­fois mises en avant pour dédoua­ner les agres­seurs. Par exemple, la sidé­ra­tion qui consti­tue une réac­tion phy­sio­lo­gique fré­quente du corps lorsqu’il est face à une situa­tion de grand danger.

La suite de l’article de loi met en avant, notam­ment, diverses situa­tions dans les­quelles il n’y a pas de consen­te­ment. Ain­si, le consen­te­ment est absent en cas de situa­tion de vul­né­ra­bi­li­té de la vic­time, mais aus­si lorsque l’acte à carac­tère sexuel a été com­mis au pré­ju­dice d’une vic­time incons­ciente ou endor­mie. Ou encore s’il résulte d’une menace, de vio­lences phy­siques et psychologiques.

Il ne vous aura pas échap­pé qu’à la lec­ture des textes de loi, on apprend tout ce qui ne relève pas du consen­te­ment aux yeux de la loi concer­nant les rela­tions sexuelles. Mais nous ne savons tou­jours pas ce qui pour­rait être recon­nu comme un consentement.

Par ailleurs, le texte légal indique que le « consen­te­ment sup­pose que celui-ci a été don­né libre­ment », ce qui n’est pas sans poser la ques­tion de la réa­li­té per­son­nelle des per­sonnes concer­nées. Nous ne sommes pas toustes égaux·ales au sein de notre socié­té patriar­cale capi­ta­liste. Cette liber­té affir­mée ne tient aucu­ne­ment compte des réa­li­tés raciales, sociales ou encore de classe qui peuvent entra­ver la liber­té dans les rela­tions inter­per­son­nelles. En effet, lorsqu’on rela­tionne avec une per­sonne qui ne fait pas par­tie de la même classe sociale que la nôtre, par exemple, il peut arri­ver que notre liber­té de consen­tir soit entra­vée par cette bar­rière sociale.

Enfin, et cela relève du fonc­tion­ne­ment de notre droit pénal et du prin­cipe de la pré­somp­tion d’innocence, la charge de la preuve repose tou­jours sur la vic­time, et donc des démarches qu’elle pour­ra entre­prendre rapi­de­ment après son agres­sion. Or, qu’il s’agisse de la récolte de preuves ou d’un dépôt de plainte, la per­sonne peut ne pas dis­po­ser des res­sources néces­saires, ni de l’énergie ou de la dis­po­si­tion men­tale pour entre­prendre les démarches requises à une recon­nais­sance ulté­rieure des vio­lences vécues par la jus­tice pénale.

Ain­si que le dit la phi­lo­sophe Manon Gar­cia : « Ce qui me pose le plus pro­blème avec l’utilisation du concept de consen­te­ment dans un contexte légal, c’est que j’ai peur que ça ren­force cette ten­dance – qui existe déjà dans les tri­bu­naux – qui fait qu’on évoque le com­por­te­ment de la vic­time, alors qu’on ne devrait pas en par­ler. Si on demande à l’accusé : ’Avait-elle consen­ti ? Qu’a‑t-elle fait qui montre qu’elle avait, ou non, consen­ti ? », on fait comme si l’agression sexuelle rele­vait du com­por­te­ment de la vic­time. Donc on fait comme si le viol, c’était du sexe nor­mal moins du consen­te­ment. Or, l’agression sexuelle, c’est quelque chose que fait l’agresseur. Je pense qu’il faut que le viol soit défi­ni uni­que­ment par les actions du vio­leur »2.

« Oui, c’est oui », la formule magique ? 

Le consen­te­ment étant défi­ni par tout ce qu’il n’est pas, il serait ten­tant d’affirmer que seule l’affirmation d’un « oui » soit syno­nyme de consen­te­ment. Et que le consen­te­ment serait dès lors une for­mi­dable solu­tion. Pour­tant, si nous pou­vons toustes aisé­ment conce­voir que « non, c’est non », les avis divergent gran­de­ment sur le fait que le « oui » soit un mot magique qui vienne régler la ques­tion. Un « oui » ne peut être libre­ment affir­mé que s’il est assor­ti de la pos­si­bi­li­té de dire non.

Dans son ouvrage La doc­trine du consen­te­ment3, la phi­lo­sophe Cla­ra Ser­ra pro­pose de « se réap­pro­prier ces débats afin d’aborder l’une des grandes ques­tions de notre temps sans solu­tions de faci­li­té, sans sim­pli­fi­ca­tions rapides, sans recettes magiques ni rac­cour­cis trom­peurs. En par­tant de l’opacité et de la com­plexi­té du consen­te­ment, en ne s’épargnant aucune de ses dif­fi­cul­tés, en recon­nais­sant ses zones d’ombres »4.

À lire ses mots, il appa­raît que la notion est loin d’être claire. Mais aus­si qu’elle est assor­tie d’une mul­ti­tude de nuances dont il est impor­tant de tenir compte dans ce qui reste aujourd’hui par­fois un grand mal­en­ten­du lié au fait que nous vivons aujourd’hui dans une socié­té patriar­cale dont sont empreintes toutes nos rela­tions et qui reste impré­gnée, mal­gré une cer­taine évo­lu­tion ces der­nières années, de la culture du viol5.

Or, comme l’indique Cla­ra Ser­ra : « Toute légis­la­tion qui entend règle­men­ter le consen­te­ment sexuel se heur­te­ra néces­sai­re­ment au vieux pro­blème sou­le­vé par [la phi­lo­sophe de la pen­sée fémi­niste Gene­viève] Fraisse : un pacte entre égaux est-il pos­sible dans le domaine du sexe ou bien celui-ci est-il le théâtre d’inévitables rap­ports de domi­na­tion ? »6. Pour prendre en consi­dé­ra­tion le consen­te­ment dans ces cir­cons­tances, il appa­raît que la jus­tice devrait pou­voir être en mesure de juger chaque cas sui­vant les par­ti­cu­la­ri­tés de la situa­tion. Au regard de l’état de notre sys­tème judi­ciaire, de sa len­teur à son engor­ge­ment en pas­sant par le manque de per­son­nel, quand bien même l’intention du légis­la­teur irait en ce sens, il nous paraît évident que c’est mis­sion impossible.

Pour­tant, l’introduction du consen­te­ment reste un outil empou­voi­rant, comme l’affirme l’avocate spé­cia­li­sée dans la défense de vic­times de vio­lence sexuelles, Élo­die Tuaillon-Hibon, « #MeToo, fina­le­ment, c’est le grand ren­ver­se­ment : on en a ras le bol de cette mobi­li­sa­tion du consen­te­ment à nos corps défen­dants. Donc, on va s’emparer de cette notion pour en faire une arme, afin de cas­ser la culture du viol et les sté­réo­types sexistes »7.

Une posi­tion que nuance la phi­lo­sophe et pro­fes­seur de psy­cha­na­lyse Clo­tilde Leguil dans Céder n’est pas consen­tir en met­tant en avant le risque d’imposer le consen­te­ment au regard de notre envi­ron­ne­ment social : « For­cer l’autre à don­ner un consen­te­ment est le propre de l’emprise et du har­cè­le­ment tota­li­taire. On aper­çoit là le risque propre à l’instrumentalisation du ’consen­te­ment’ au sens poli­tique, soit celui de for­cer le citoyen à don­ner son consen­te­ment, là où pour­tant il se sent la proie d’un pou­voir auto­ri­taire, dic­ta­to­rial, tota­li­taire. Ce détour­ne­ment du consen­te­ment au ser­vice d’un abus de pou­voir est aus­si une per­ver­sion appli­quée au consen­te­ment du sujet »8.

Néan­moins, si l’on ne peut prendre la volon­té expri­mée comme cri­tère de déli­mi­ta­tion de la vio­lence sexuelle, on se dirige tout droit vers un pater­na­lisme d’État, où ce der­nier devient le média­teur char­gé de dire non à notre place. Exté­rieur à nous, il le dira face à nos silences, mais logi­que­ment éga­le­ment face à nos « oui ». Où pla­cer notre libre arbitre si c’est l’État qui finit par tran­cher ? On le voit au tra­vers de ces pro­pos, le consen­te­ment est loin d’être la for­mule magique !

Entre oui, non et zone grise

Le consen­te­ment ne se résume pas au simple fait de consen­tir. Il mêle désir, plai­sir et accep­ta­tion, mais ren­voie aus­si autant au fait de céder que de choi­sir. En effet, une rela­tion sexuelle peut consti­tuer une expé­rience, un saut vers l’inconnu, et, lorsqu’on y consent, on consent fina­le­ment à quelque chose qu’on ne connaît pas encore. On se laisse por­ter par un désir au tra­vers duquel le consen­te­ment peut revê­tir un carac­tère énig­ma­tique et rela­ti­ve­ment opaque et cette notion alors abs­traite pour­rait être convo­quée pour deve­nir effec­tive et concrète.

Pour le dire avec Clo­tilde Leguil, « Le consen­te­ment en tant qu’acte du sujet, est l’ouverture à l’autre, le risque pris de lais­ser l’autre fran­chir la fron­tière de son inti­mi­té. En cela, le consen­te­ment est tou­jours un saut : sans savoir, je fais confiance au désir de l’Autre. Sans savoir, je crois en sa parole. Sans savoir, je m’en remets à son désir »9 ; ou avec Cla­ra Ser­ra « Que sommes-nous en train de perdre réel­le­ment, nous les femmes, dans ce scé­na­rio ? (…) ce qui ces­se­ra d’exister pour nous dans un monde émi­nem­ment dan­ge­reux, c’est le droit à la recherche à et l’exploration, c’est-à-dire le droit de ne pas savoir »10.

C’est ce qu’on pour­rait qua­li­fier de « zone grise du consen­te­ment » telle que la défi­nit la socio­logue Alexia Bou­che­rie dans Troubles dans le consen­te­ment11, à savoir toutes ces situa­tions de rap­ports sexuels qui ont du mal à trans­pa­raître à tra­vers des textes de loi, puisque dans la vie de tous les jours, il n’y a pas uni­que­ment soit un consen­te­ment soit pas : il y a de mul­tiples nuances entre un oui enthou­siaste et un non ferme. Face à ces nuances, chaque par­te­naire a le droit d’exprimer ses doutes pour défi­nir le péri­mètre de son consen­te­ment. Et ces zones grises, ce sont jus­te­ment ces diver­gences entre les situa­tions vécues à un ins­tant T et les textes de loi cen­sés les encadrer.

Entre le vécu rela­tion­nel de chacun·e et un Code pénal des­ti­né à trai­ter toutes les infrac­tions à carac­tère sexuel, le fos­sé reste impor­tant. Néan­moins, la réforme en Bel­gique du droit pénal sexuel est sans aucun doute un pre­mier pas vers une meilleure prise en consi­dé­ra­tion de la situa­tion des vic­times. Mais res­tons lucides, sans tou­te­fois nous lais­ser sub­mer­ger par le déses­poir. Tant que notre socié­té et ses ins­ti­tu­tions res­te­ront patriar­cales, empreintes d’une culture du viol encore trop répan­due, racistes à de nom­breux endroits et clas­sistes à beau­coup d’autres, le che­min res­te­ra semé d’embûches pour éta­blir des textes qui puissent répa­rer les victimes.

  1. « Loi modi­fiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel », 21/03/2022. À consul­ter sur le site du SPF Justice
  2. Marie Kir­schen, Le consen­te­ment doit-il figu­rer dans la loi ? Entre­tien avec Louise Dela­vier, Manon Gar­cia et Élo­die Tuaillon-HibonLa Défer­lante, N°14, mai 2024
  3. La doc­trine du consen­te­ment, Cla­ra Ser­ra, La Fabrique, 2025.
  4. Ibid., p. 22.
  5. Appa­ru aux États-Unis dans les années 1970, ce concept éclaire com­bien les com­por­te­ments par­ta­gés au sein de la socié­té patriar­cale bana­lisent, mini­misent et/ou jus­ti­fient les agres­sions sexuelles.
  6. Ibid., p. 34.
  7. Marie Kir­schen, op. cit.
  8. Céder n’est pas consen­tir, Clo­tilde Leguil, PUF, 2021, p. 63 – 64.
  9. Ibid., p. 27.
  10. La doc­trine du consen­te­ment, Cla­ra Ser­ra, La fabrique édi­tions, 2025., 74 – 75.
  11. Alexia Bou­che­rie, Troubles dans le consen­te­ment, Les Péré­grines, 2019.

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