Que propose la Maison des femmes ?
Nous essayons de proposer un service le plus complet possible. Notamment des cours de français qui sont souvent la porte d’entrée au reste de nos activités. Les femmes peuvent avoir accès, si elles en expriment le besoin, au service d’une assistante sociale. Moi-même je suis psychologue et continue à suivre quelques dossiers. Nous avons aussi engagé une conseillère en recherche d’emplois et de formations. Une coach bénévole travaille avec des classes sur l’affirmation de soi. Nous proposons des activités sportives, des activités socioculturelles. Nous avons opté pour une offre globale. Certaines femmes vivent des situations pénibles et précaires. Elles ne peuvent s’en sortir seules car la non maîtrise de la langue reste un frein. De même elles ne connaissent pas assez de réseaux ou la législation administrative. C’est vraiment essentiel pour elles de bénéficier d’un service qui les prennent en charge globalement et qui les accompagnent vers d’autres services plus spécialisés quand il le faut.
Les femmes sont capables d’apprendre, capables de changer aussi. Il ne faut pas se contenter de dire : « c’est leur culture, laissons-les », c’est là un manque de respect. Nous sommes tous pareils, nous avons tous des potentiels et nous voulons vivre mieux. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille transformer ou adopter telle ou telle autre culture, il n’existe pas de hiérarchie dans les cultures. Mais nous devons croire en elles. Les femmes subissent de nombreuses pressions sociales, des problèmes conjugaux, elles sont souvent discriminées depuis leur plus jeune âge. Si à un certain moment de leur vie elles décident de s’en sortir, il faut leur donner les moyens d’y arriver comme l’indépendance financière et la connaissance de la langue. Il faut continuer à avoir des espaces pour elles. Et pas seulement des moments de détente et de convivialité. Elles sont en demande de bien d’autres choses et, parfois, elles s’étonnent elles-mêmes de ce qu’elles peuvent faire ou réaliser.
Que pensent les hommes, notamment les hommes « religieux » des femmes qui fréquentent vos activités ?
Les cours de français sont un premier pas vers nos activités. Les hommes ne refusent pas cela, sauf certains mais c’est rare. C’est vrai que certaines femmes ont dû parfois mentir pour pouvoir venir ici. Pour certaines d’entre elles, participer à des activités à l’extérieur posaient problème. C’est assez rare, mais c’est arrivé. Pour la majorité de ces femmes, le fait d’être un lieu presque exclusivement féminin rassure leur famille. Mais la Maison des femmes ne cache pas son objectif premier : l’émancipation des femmes. Les hommes savent que c’est une association qui soutient les femmes et les aide dans leur démarche d’indépendance.
Souhaitez-vous revenir davantage sur un terrain plus culturel que cultuel ?
Nous sommes un service public et laïc. Le cultuel est exprimé individuellement par les appartenances de l’une ou de l’autre, mais nous n’abordons pas cette question au sein de la Maison des femmes. Par exemple, nous avons mis sur pied depuis deux ans des cours d’arabe. Apprendre l’arabe comme langue et s’ouvrir au monde arabe culturel avec ses différences, avec ses richesses, avec sa modernité nous semblent importants et les femmes sont ravies d’avoir ces cours qui ne désemplissent pas. Mais nous avons spécifié d’entrée de jeu que c’était à condition que ce soit un cours de langue pour s’ouvrir à la culture, et non un apprentissage de la religion. Il y a des femmes arabes qui sont chrétiennes, juives ou athées : l’arabe n’est donc pas une langue religieuse. Il existe assez d’offres à l’extérieur pour le cultuel, il faut beaucoup plus mettre l’accent sur ce qui est culturel. Dans les objectifs que nous poursuivons en cohésion sociale, nous organisons de nombreuses sorties culturelles intégrées dans nos programmes de cours : théâtre, cinéma, festivals…
Dans les groupes de femmes qui fréquentent nos classes, nous avons parfois une ou deux femmes radicales qui « dictent leur loi » et disent aux autres femmes que les sorties cinéma, théâtre sont interdites. Elles peuvent influencer les autres participantes si l’animatrice n’est pas en capacité de les remettre à leur place très rapidement. Parfois, nous rencontrons des réticences dans le groupe. Des femmes craignent que leur mari ou leurs frères les croisent lors de leur sortie culturelle. C’est pourquoi nous travaillons fortement toutes ces questions-là avec les femmes. Il ne faut pas hésiter à parler religion pour la décortiquer, non pas pour l’apprendre, mais pour acquérir l’esprit critique. Pour qu’elles ne croient pas tout ce qu’elles entendent et pour qu’elles fassent confiance à leur propre intelligence.
Nous allons inviter prochainement Asmae Lamrabet, une féministe musulmane très connue au Maroc, qui a une lecture vraiment révolutionnaire et féministe de la religion. Je pense que c’est important de former les formatrices/teurs à cette approche pour leur donner des arguments, pour pouvoir contrer et déconstruire une pensée religieuse tellement hiérarchisée. Il est important qu’elle rencontre les femmes de Molenbeek afin qu’elles lui posent des questions, qu’elles échangent avec elle.
Comment les femmes qui fréquentent vos ateliers ont-elles vécu les attentats de Bruxelles ?
Je me rappelle que les cours avaient déjà commencé ce jour-là et que ça a été un choc terrible pour tout le monde. Nous ne pouvions pas sortir, la consigne était de rester à l’intérieur. Nous nous sommes donc toutes rassemblées dans la salle polyvalente et suivions ensemble les informations pour voir ce qu’il se passait. Ce jour-là, on devinait beaucoup de tristesse. Elles ont beaucoup pleuré et ont manifesté beaucoup d’inquiétude. Non seulement une inquiétude en tant que citoyenne belge. Mais aussi une inquiétude et interrogation quant à la raison pour laquelle des jeunes agissaient de la sorte. Si bien qu’en tant que femmes analphabètes, elles se sentaient complètement démunies. L’une d’entre elles avouait par exemple ne rien savoir des agissements de son fils sur internet. Leurs enfants sont toujours occupés au téléphone ou sur l’ordinateur, et elles, elles sont effrayées de ne pas être en mesure de connaître leurs faits et gestes. En plus, elles ont peur d’être agressées en rue lorsqu’elles portent le foulard. Et pour elles, quitter Molenbeek est devenu plus compliqué. Ce n’est pas facile à vivre. Pendant une semaine ou deux, elles ont moins fréquenté les cours vu l’agitation médiatique et policière dans les rues de Molenbeek. Ensuite petit à petit, la vie a repris le dessus. Mais cela reste un sujet qui les inquiète toujours.
Comment voudriez-vous changer l’image que l’on se fait encore aujourd’hui d’un certain Molenbeek ?
L’image finalement m’importe peu. Ce qui m’intéresse surtout, c’est la vraie vie des gens et comment les choses se passent réellement. Je suis retournée dans ma famille récemment au Liban. Ils étaient choqués de savoir que je travaillais à Molenbeek qu’ils comparaient à l’Afghanistan ! C’est l’idée qu’ils en ont ! J’ai passé beaucoup de temps à leur expliquer ce qui se passait réellement à Molenbeek. Je leur ai dit que la vie restait agréable et que le travail associatif et culturel y aidait beaucoup. De notre côté en tout cas, sans fausse modestie, la visibilité de la Maison des femmes en dehors de Molenbeek est grandissante. Notre travail est reconnu que ce soit au travers de la Marche mondiale des femmes ou des manifestations féministes. Nous sommes invitées à des colloques à Louvain-la-Neuve ou ailleurs. Je pense effectivement qu’en sortant aussi de Molenbeek, qu’en participant à des activités à l’extérieur au nom de Molenbeek, nous avons le pouvoir de changer les choses. Tout ne doit pas nécessairement se passer à Molenbeek, il faut en sortir et la faire connaître et exister hors de nos murs. Nous sollicitons la presse pour les activités positives mais malheureusement, elle ne vient que quand il se passe un fait divers négatif.