Internet, comme le rappelle Erick, c’est « cette capacité à être en communication au niveau mondial sans aucune barrière. C’est une immense infrastructure qui relie tout partout, mais qui est majoritairement aux mains de grands acteurs dont l’objectif premier est de faire du profit, ce qui entraine une concentration capitalistique qui nous échappe ». Entrer en résistance face à ces multinationales est une démarche nécessaire pour une série d’associations et de groupements qui œuvrent à des solutions alternatives dont l’objectif est de permettre aux citoyen·nes de reprendre le contrôle de leurs usages numériques, et par là même, de leur autonomie face à ces géants du net. Comment ?
Pour Erick, Céline et les divers mouvements dans lesquels iels s’inscrivent, il s’agit d’abord de s’émanciper de cet imaginaire de la connectivité instantanée et du solutionnisme technologique. Aujourd’hui, nous sommes confronté·es à une numérisation à tout-va qui semble aller de soi. La technologie est disponible et donc on l’utilise, comme s’il n’y avait pas d’autre alternative. Or, ce n’est pas parce que c’est possible que cela doit advenir. Erick ne dit pas autre chose : « Pour moi, cela ressort éminemment d’une forme d’ « inévitabilisme ». On dit que c’est le progrès sans se demander si c’est un progrès réel. On nous vend une forme de solutionnisme technologique dans lequel la technologie apporterait des réponses systématiques et qu’elle parviendra à corriger ses défauts par la nouveauté et l’innovation. Nous sommes sur ces deux axes qui se poussent l’un l’autre. Or, il est de plus en plus évident que cela ne correspond pas à un mieux-être, à un vrai progrès. Pour un grand nombre de personnes, cela rend les choses beaucoup plus compliquées. Cela peut même devenir excluant pour une partie significative de la population. Aujourd’hui, le renversement s’impose par une remise en avant de la possibilité pour tout·e un·e chacun·e de ne pas être contraint·e et forcé·e à établir des relations au travers d’une numérisation, quelle qu’elle soit. Disposer d’un outil en « back office » [L’ensemble des services techniques et administratifs qu’une organisation mobilise en arrière-plan pour faire fonctionner un service. NDLR] peut certes avoir un intérêt en termes d’efficience, mais ça ne veut pas dire que tout le monde, individuellement, doit de manière impérative et obligatoire, être confronté à l’outil. Le droit fondamental à vivre connecté·e ou non doit devenir une revendication fondamentale ».
Céline abonde en ce sens lorsqu’elle parle de la numérisation des services publics, notamment : « Le droit à être déconnecté·e, notamment au regard de toutes les procédures d’accès à l’obtention de droits, aux procédures administratives et bancaires, me semble essentiel. Plus encore qu’un simple droit à la déconnexion, j’ai envie de mettre en avant le droit de ne pas utiliser le numérique. Nous sommes confronté·es à un discours unilatéral complètement techno-solutionniste qui affirme que le numérique, c’est l’avenir et qu’il n’y a pas d’alternative. Ce discours est extrêmement présent et il est particulièrement difficile à contrecarrer. D’autant que les termes de ces discours peuvent cacher certaines réalités ».
De l’importance de l’usage des mots
Pour sortir de ces discours, il convient dans un premier temps de revoir l’usage des termes aujourd’hui accolés au numérique, car ce sont eux qui structurent nos pensées, impactant la manière dont nous concevons le numérique. Il y a, notamment, d’abord, cette « fameuse » fracture dont on nous parle tellement. « Les mots sont essentiels, nous dit Erick, la fracture est un terme médical. Pendant longtemps, et encore aujourd’hui, on parle de fracture numérique, au même titre qu’on peut le faire au niveau médical. C’est-à-dire qu’il y aurait quelque chose de cassé et qu’il faudrait réparer en réduisant la fracture. Or, réduire la fracture au sens médical du terme, c’est recoller deux morceaux. Mais en quoi un humain serait-il diminué physiquement parce qu’il est fracturé numériquement ? Toutes les politiques vont dans le sens d’une ‘’défracturation’’ des individus en les accompagnant avec toute une série de dispositifs. Pourtant, on peut tout à fait vivre et être en capacité de faire plein de choses et de s’exprimer sans recours au numérique. Aujourd’hui, on utilisera plutôt le terme de ‘vulnérabilité numérique’ ».
Nous pouvons également pointer la prétendue « dématérialisation » caractérisant trop souvent le numérique. Comme le relève Céline : « On nous vend la dématérialisation sans jamais évoquer les impacts environnementaux des innovations numériques. On nous dit que c’est l’avenir, en utilisant même parfois des arguments soi-disant écologiques. Dire qu’on dématérialise et que cela réduit notre empreinte sur l’environnement, alors qu’en réalité, celle-ci est énorme, c’est problématique. Il y a aussi quelque chose d’occultant dans le fait qu’il suffise de presser sur un bouton pour effectuer une opération sans se rendre compte que cela active de nombreuses machines derrière, avec ce que cela implique en termes de ressources et de pollution ». Pour Erick « la dématérialisation est vraiment un mot à bannir parce que c’est tout le contraire qui se passe. Ça nous vend du rêve, de l’imaginaire avec un côté immatériel qui nous est martelé. On finit par y croire alors que c’est totalement faux, notamment lorsqu’on parle de cloud. Le cloud, ce n’est pas un nuage dans le ciel, c’est un service fourni par un ordinateur qui se trouve quelque part sur la planète. » Car comme le dit cette phrase célèbre que nous rappelle Céline : « Le cloud, c’est l’ordinateur de quelqu’un d’autre ».
Retrouvez la suite de l’article dans le dernier numéro des Cahiers de l’éducation permanente « Les maux du numérique »
Les maux du numérique
Des services publics à l’accès aux droits sociaux en passant par la réception de factures et autres documents administratifs, les démarches numériques à effectuer sont devenues quasi quotidiennes. Cette numérisation des services d’intérêt généraux se réalise à marche forcée et se voit rarement remise en cause. Pourtant, elle fabrique ou renforce de nombreuses inégalités sociales et la « fragilité numérique » est une réalité qui touche près de la moitié des Belges. Dans ce N°59 des Cahiers de l’éducation permanente intitulé « Les Maux du numérique », une quinzaine d’auteur-trices abordent la question des enjeux et des dégâts sociaux du tout au numérique ainsi que des alternatives qui lui sont possible.
A commander sur la boutique de PAC
A l’occasion de la sortie de ce numéro, le Mouvement PAC propose une série de rencontres pour cerner enjeux et pistes de solution autour des fragilités numériques. Au programme de ces rencontres : arpentage de l'étude, spectacle « Le projet 5G », et échange autour de la fragilité numérique.
Le 25/11/24 au Centre culturel d’Amay
Le 29/11/24 au Vecteur à Charleroi
Le 02/12/24 à la Régionale PAC Centre
Le 05/12/24 à la CGSP Tournai
Le 6/12/24 au Centre culturel de Dison.