Du bon usage des mots pour se conscientiser et résister au tout-numérique

Inter­net citoyen, atti­tude tech­no-cri­tique, mal­bouffe numé­rique, lutte contre la déma­té­ria­li­sa­tion, solu­tions alter­na­tives, logi­ciel libre, humain, éthique, com­mun, éco­no­mie du par­tage et du don, neu­tra­li­té du net… les mots de la résis­tance à la numé­ri­sa­tion à tout-va de nos admi­nis­tra­tions, de nos emplois, de nos vies, nous les avons décons­truits en com­pa­gnie de Céline, anthro­po­logue de for­ma­tion et tra­vailleuse chez Tac­tic et d’Erick, actif dans des pra­tiques tech­no-cri­tiques au sein de divers col­lec­tifs wal­lons et bruxel­lois dont le Comi­té humain du numérique. 

Inter­net, comme le rap­pelle Erick, c’est « cette capa­ci­té à être en com­mu­ni­ca­tion au niveau mon­dial sans aucune bar­rière. C’est une immense infra­struc­ture qui relie tout par­tout, mais qui est majo­ri­tai­re­ment aux mains de grands acteurs dont l’objectif pre­mier est de faire du pro­fit, ce qui entraine une concen­tra­tion capi­ta­lis­tique qui nous échappe ». Entrer en résis­tance face à ces mul­ti­na­tio­nales est une démarche néces­saire pour une série d’associations et de grou­pe­ments qui œuvrent à des solu­tions alter­na­tives dont l’objectif est de per­mettre aux citoyen·nes de reprendre le contrôle de leurs usages numé­riques, et par là même, de leur auto­no­mie face à ces géants du net. Comment ?

Pour Erick, Céline et les divers mou­ve­ments dans les­quels iels s’inscrivent, il s’agit d’abord de s’émanciper de cet ima­gi­naire de la connec­ti­vi­té ins­tan­ta­née et du solu­tion­nisme tech­no­lo­gique. Aujourd’hui, nous sommes confronté·es à une numé­ri­sa­tion à tout-va qui semble aller de soi. La tech­no­lo­gie est dis­po­nible et donc on l’utilise, comme s’il n’y avait pas d’autre alter­na­tive. Or, ce n’est pas parce que c’est pos­sible que cela doit adve­nir. Erick ne dit pas autre chose : « Pour moi, cela res­sort émi­nem­ment d’une forme d’ « inévi­ta­bi­lisme ». On dit que c’est le pro­grès sans se deman­der si c’est un pro­grès réel. On nous vend une forme de solu­tion­nisme tech­no­lo­gique dans lequel la tech­no­lo­gie appor­te­rait des réponses sys­té­ma­tiques et qu’elle par­vien­dra à cor­ri­ger ses défauts par la nou­veau­té et l’innovation. Nous sommes sur ces deux axes qui se poussent l’un l’autre. Or, il est de plus en plus évident que cela ne cor­res­pond pas à un mieux-être, à un vrai pro­grès. Pour un grand nombre de per­sonnes, cela rend les choses beau­coup plus com­pli­quées. Cela peut même deve­nir excluant pour une par­tie signi­fi­ca­tive de la popu­la­tion. Aujourd’hui, le ren­ver­se­ment s’impose par une remise en avant de la pos­si­bi­li­té pour tout·e un·e chacun·e de ne pas être contraint·e et forcé·e à éta­blir des rela­tions au tra­vers d’une numé­ri­sa­tion, quelle qu’elle soit. Dis­po­ser d’un outil en « back office » [L’ensemble des ser­vices tech­niques et admi­nis­tra­tifs qu’une orga­ni­sa­tion mobi­lise en arrière-plan pour faire fonc­tion­ner un ser­vice. NDLR]  peut certes avoir un inté­rêt en termes d’efficience, mais ça ne veut pas dire que tout le monde, indi­vi­duel­le­ment, doit de manière impé­ra­tive et obli­ga­toire, être confron­té à l’outil. Le droit fon­da­men­tal à vivre connecté·e ou non doit deve­nir une reven­di­ca­tion fondamentale ». 

Céline abonde en ce sens lorsqu’elle parle de la numé­ri­sa­tion des ser­vices publics, notam­ment : « Le droit à être déconnecté·e, notam­ment au regard de toutes les pro­cé­dures d’accès à l’obtention de droits, aux pro­cé­dures admi­nis­tra­tives et ban­caires, me semble essen­tiel. Plus encore qu’un simple droit à la décon­nexion, j’ai envie de mettre en avant le droit de ne pas uti­li­ser le numé­rique. Nous sommes confronté·es à un dis­cours uni­la­té­ral com­plè­te­ment tech­no-solu­tion­niste qui affirme que le numé­rique, c’est l’avenir et qu’il n’y a pas d’alternative. Ce dis­cours est extrê­me­ment pré­sent et il est par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile à contre­car­rer. D’autant que les termes de ces dis­cours peuvent cacher cer­taines réa­li­tés ».

De l’importance de l’usage des mots

Pour sor­tir de ces dis­cours, il convient dans un pre­mier temps de revoir l’usage des termes aujourd’hui acco­lés au numé­rique, car ce sont eux qui struc­turent nos pen­sées, impac­tant la manière dont nous conce­vons le numé­rique. Il y a, notam­ment, d’abord, cette « fameuse » frac­ture dont on nous parle tel­le­ment. « Les mots sont essen­tiels, nous dit Erick, la frac­ture est un terme médi­cal. Pen­dant long­temps, et encore aujourd’hui, on parle de frac­ture numé­rique, au même titre qu’on peut le faire au niveau médi­cal. C’est-à-dire qu’il y aurait quelque chose de cas­sé et qu’il fau­drait répa­rer en rédui­sant la frac­ture. Or, réduire la frac­ture au sens médi­cal du terme, c’est recol­ler deux mor­ceaux. Mais en quoi un humain serait-il dimi­nué phy­si­que­ment parce qu’il est frac­tu­ré numé­ri­que­ment ? Toutes les poli­tiques vont dans le sens d’une ‘’défrac­tu­ra­tion’’ des indi­vi­dus en les accom­pa­gnant avec toute une série de dis­po­si­tifs. Pour­tant, on peut tout à fait vivre et être en capa­ci­té de faire plein de choses et de s’exprimer sans recours au numé­rique. Aujourd’hui, on uti­li­se­ra plu­tôt le terme de ‘vul­né­ra­bi­li­té numérique’ ».

Nous pou­vons éga­le­ment poin­ter la pré­ten­due « déma­té­ria­li­sa­tion » carac­té­ri­sant trop sou­vent le numé­rique. Comme le relève Céline : « On nous vend la déma­té­ria­li­sa­tion sans jamais évo­quer les impacts envi­ron­ne­men­taux des inno­va­tions numé­riques. On nous dit que c’est l’avenir, en uti­li­sant même par­fois des argu­ments soi-disant éco­lo­giques. Dire qu’on déma­té­ria­lise et que cela réduit notre empreinte sur l’environnement, alors qu’en réa­li­té, celle-ci est énorme, c’est pro­blé­ma­tique. Il y a aus­si quelque chose d’occultant dans le fait qu’il suf­fise de pres­ser sur un bou­ton pour effec­tuer une opé­ra­tion sans se rendre compte que cela active de nom­breuses machines der­rière, avec ce que cela implique en termes de res­sources et de pol­lu­tion ». Pour Erick « la déma­té­ria­li­sa­tion est vrai­ment un mot à ban­nir parce que c’est tout le contraire qui se passe. Ça nous vend du rêve, de l’imaginaire avec un côté imma­té­riel qui nous est mar­te­lé. On finit par y croire alors que c’est tota­le­ment faux, notam­ment lorsqu’on parle de cloud. Le cloud, ce n’est pas un nuage dans le ciel, c’est un ser­vice four­ni par un ordi­na­teur qui se trouve quelque part sur la pla­nète. » Car comme le dit cette phrase célèbre que nous rap­pelle Céline : « Le cloud, c’est l’ordinateur de quelqu’un d’autre ».

Retrou­vez la suite de l’article dans le der­nier numé­ro des Cahiers de l’éducation per­ma­nente « Les maux du numé­rique » 

Les maux du numérique

Des services publics à l’accès aux droits sociaux en passant par la réception de factures et autres documents administratifs, les démarches numériques à effectuer sont devenues quasi quotidiennes. Cette numérisation des services d’intérêt généraux se réalise à marche forcée et se voit rarement remise en cause. Pourtant, elle fabrique ou renforce de nombreuses inégalités sociales et la « fragilité numérique » est une réalité qui touche près de la moitié des Belges. Dans ce N°59 des Cahiers de l’éducation permanente intitulé « Les Maux du numérique », une quinzaine d’auteur-trices abordent la question des enjeux et des dégâts sociaux du tout au numérique ainsi que des alternatives qui lui sont possible.

A commander sur la boutique de PAC

A l’occasion de la sortie de ce numéro, le Mouvement PAC propose une série de rencontres pour cerner enjeux et pistes de solution autour des fragilités numériques. Au programme de ces rencontres : arpentage de l'étude, spectacle « Le projet 5G », et échange autour de la fragilité numérique.
Le 25/11/24 au Centre culturel d’Amay
Le 29/11/24 au Vecteur à Charleroi
Le 02/12/24 à la Régionale PAC Centre
Le 05/12/24 à la CGSP Tournai
Le 6/12/24 au Centre culturel de Dison.

Infos ici

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