La nouvelle stratégie du mouvement nationaliste flamand

Illustration : Vanya Michel

Com­ment une Flandre natio­na­liste et sépa­ra­tiste se déploie et se rami­fie dans le pay­sage poli­tique belge actuel ? Une cer­taine Flandre qui rêve de deve­nir une Répu­blique fla­mande. Une cer­taine Flandre qui désire la scis­sion de la Bel­gique. Qui dès lors manœuvre stra­té­gi­que­ment et agit en sous-main pour arri­ver à ses fins. Elé­ments de réponse et explo­ra­tion de l’utopie fla­min­gante avec l’historien Vincent Scheltiens.

Le mouvement flamand, dont fait partie le Vlams Belang (VB), menace-t-il réellement la démocratie ?

Oui, le VB menace cer­tai­ne­ment la démo­cra­tie. Mais atten­tion il faut être mesu­ré. Il y a plu­sieurs pans à ana­ly­ser. D’un côté, il y a le mou­ve­ment fla­mand qui s’est lar­ge­ment ins­ti­tu­tion­na­li­sé dans le cadre de la Bel­gique fédé­rale – tout comme le mou­ve­ment wal­lon d’ailleurs. Notons que cela a consi­dé­ra­ble­ment réduit la por­tée de ces deux mou­ve­ments en tant que mou­ve­ments sociaux. Et puis, il y a le mou­ve­ment natio­na­liste fla­mand qui lui a été presque com­plè­te­ment absor­bé par deux par­tis poli­tiques : la N‑VA et le VB. Le rêve, le pro­gramme maxi­ma­liste de ces deux par­tis, c’est l’émergence d’une Répu­blique fla­mande et donc que la Flandre fasse scis­sion de la Bel­gique. Un pro­jet tout à fait irréa­liste et irréa­li­sable dans le contexte contem­po­rain belge et international.

Pourquoi cette République flamande est-elle une perspective utopique ?

D’a­bord parce que la plu­part des Flamand·es n’en veulent pas. Et ensuite parce que les natio­na­listes n’ont pas de solu­tion pour Bruxelles qui est une enti­té à part entière, ni fla­mande ni wal­lonne. Les Bruxellois·es ne veulent pas deve­nir membres d’une Répu­blique fla­mande. Ils et elles ne parlent pas le fla­mand pour la plu­part (il n’y a que 15% de néer­lan­do­phones en région de Bruxelles-Capi­tale). Sans comp­ter la pré­sence des ins­ti­tu­tions euro­péennes et inter­na­tio­nales à Bruxelles qui com­plexi­fie la chose.

Et puis, parce que l’Europe n’en veut pas. On l’a vu en 2017 avec le cas cata­lan. La Cata­logne est une région rela­ti­ve­ment riche dont une majo­ri­té poli­tique très étroite pen­sait pou­voir faire scis­sion d’un Etat-membre de l’UE. Mais per­sonne en Europe n’était dis­po­sé à auto­ri­ser la recon­nais­sance d’une Cata­logne indé­pen­dante car ç’aurait été ouvrir la boîte de Pan­dore par­tout en Europe. D’autre part, pour­quoi l’Eu­rope accep­te­rait-elle cette scis­sion et ce fai­sant, puni­rait-elle l’Espagne, qua­trième puis­sance éco­no­mique de l’UE et pays qui fonc­tionne en har­mo­nie avec les autres Etats membres ?

La N‑VA semble s’être ren­du compte de toutes ces limites à son uto­pie sépa­ra­tiste et – sans chan­ger son objec­tif maxi­ma­liste – s’est orien­tée vers une stra­té­gie d’emprise plus forte sur la Bel­gique en vue de ren­for­cer la Flandre et d’avancer vers la direc­tion d’un confé­dé­ra­lisme. Le VB per­siste mais com­prend lui aus­si que ce cri pour une Flandre indé­pen­dante n’intéresse pas son élec­to­rat. C’est pour­quoi le VB mise éga­le­ment sur une autre de ses obses­sions, la ques­tion de l’immigration, et sur des dis­cours racistes. Ceci dit, au sein du natio­na­lisme fla­mand, N‑VA et VB res­tent deux orga­ni­sa­tions issues de la même famille qui partent des mêmes racines, mais la tac­tique ou la stra­té­gie de la N‑VA a bien changé.

Comment se traduit cette stratégie de la N‑VA d’augmenter l’emprise du mouvement flamand sur l’Etat belge pour l’affaiblir ?

La N‑VA a aujourd’hui la com­pé­tence du minis­tère de la Défense. Elle a le 16 rue de la Loi. A pre­mière vue, c’est ridi­cule, non ? Pre­nons l’exemple d’un pays comme l’Espagne. Peut-on ima­gi­ner que les cata­la­nistes par­ti­cipent au gou­ver­ne­ment cen­tral à Madrid sous pré­texte de mettre le bud­get espa­gnol en équi­libre ? Peut-on s’imaginer qu’en tant que séces­sion­niste, on ren­force l’armée de l’Etat que l’on veut détruire ? Or, c’est quand même ce que prône Théo Fran­cken, ministre N‑VA de la Défense. C’est quand même ce que tente Bart de Wever, pre­mier ministre N‑VA, lui qui vou­lait déchi­rer la Bel­gique et qui est main­te­nant en train de ten­ter de la sau­ver. Enfin, la sau­ver à la manière néo­li­bé­rale conser­va­trice, en cas­sant les acquis et le tis­su social. Mais, selon sa rhé­to­rique, il la sauve, cette Bel­gique si détes­tée ! C’est sur­réa­liste ! On pour­rait presque pen­ser qu’ils essayent de contrô­ler l’Etat belge pour tra­vailler à sa décom­po­si­tion afin de faire com­prendre à la Wal­lo­nie qu’il vau­drait mieux qu’ils s’éloignent ou se séparent.

Est-ce que la N‑VA joue le rôle de « facilitatrice » en essayant de normaliser la vision et l’idéologie du VB dans le champ politique flamand ?

Oui, tout à fait. D’a­bord, parce leur élec­to­rat fonc­tionne par vases com­mu­ni­cants et qu’ls tentent tous deux de le séduire. Et ensuite, parce qu’historiquement, ils sont issus de la même famille, le natio­na­lisme fla­mand de droite qui a pour héri­tage la mémoire de la Deuxième guerre mon­diale. Ils par­tagent notam­ment l’idée que la col­la­bo­ra­tion fla­mande avec les nazis a été trop punie à l’issue de la guerre.

Cette nor­ma­li­sa­tion des idées et dis­cours du VB n’est pas uni­que­ment le fait de la N‑VA. Elle remonte à beau­coup plus loin. En 1992, le Vlaams Blok, publie son « 70-pun­ten­plan » visant à « résoudre le pro­blème de l’immigration ». Tout le monde à l’époque s’en est offus­qué et trou­vait cette liste de 70 mesures abjecte et inhumaine.

Mais, si on relit aujourd’hui ces 70 points, on s’aperçoit qu’ils sont à pré­sent dis­cu­tés et débat­tus tout à fait nor­ma­le­ment dans le champ poli­tique fla­mand… et même belge. Cer­tains de ces points – notam­ment celui qui prô­nait d’« enfer­mer des mineurs d’âge avec leurs parents dans des centres fer­més » — ont ain­si été appli­qués par des gou­ver­ne­ments ne comp­tant aucun membre d’extrême droite ou de la N‑VA.

C’est aus­si cela la nor­ma­li­sa­tion. Un peu par­tout en Europe s’opère une conver­gence idéo­lo­gique et dis­cur­sive entre l’extrême droite et la droite. Et dans le même temps, une accep­ta­tion et même une reprise de pro­pos, idées et pro­po­si­tion de ce pôle de droite par ce qu’on nomme le « centre » poli­tique. C’est entre autres la rai­son pour laquelle le com­bat contre l’extrême droite ne peut jamais être un com­bat pour la défense du sta­tu quo. Il faut la remo­bi­li­sa­tion d’une gauche large, cré­dible, et enra­ci­née pour un chan­ge­ment de cap… dans le bon sens.

Et comment a évolué le mouvement flamand ou flamingant à un niveau plus culturel ?

Pour ce qui reste du mou­ve­ment fla­mand pro­pre­ment dit, c’est-à-dire en tant que mou­ve­ment social et asso­cia­tif, il ne compte plus beau­coup. Même Bart de Wever en parle avec beau­coup de mépris et consi­dère qu’il ne sert plus à rien. Mais on peut cepen­dant consta­ter que les appa­reils du VB et de la N‑VA ont absor­bé tout ce qui était mou­ve­ment asso­cia­tif, tout ce qui était mou­ve­ment mili­tant et col­lec­tif hors de ces partis

Comment dès lors envisager le futur de notre pays, souvent qualifié d’Etat failli ?

En Flandre, per­sonne ne sou­haite reve­nir sur le fait que la Bel­gique n’est plus un Etat uni­taire et qu’elle est deve­nue un Etat fédé­ral. N’oublions pas qu’­his­to­ri­que­ment au sein du mou­ve­ment fla­mand, il y avait aus­si l’idée de se réunir avec la Hol­lande. Cette idée exis­tait au tout début de la Bel­gique (le mou­ve­ment « oran­giste »), puis s’est éteinte. Elle est réap­pa­rue comme étant le rêve des natio­na­listes fla­mands à un moment don­né mais c’est aujourd’hui une idée risible. Aucun Hol­lan­dais ne sou­haite inté­grer la Flandre ! C’est un peu la même his­toire que celle des « rat­ta­chistes » du mou­ve­ment wal­lon qui vou­draient voir la Wal­lo­nie annexée à la France.

La Bel­gique s’est bien consti­tuée comme un Etat indé­pen­dant. Elle est aus­si un des pays pion­niers de l’u­ni­fi­ca­tion euro­péenne, à par­tir de l’expérience du Bene­lux. Cette posi­tion, lui a tou­jours confé­ré un rôle hors pro­por­tion par rap­port à sa taille, même s’il est sen­si­ble­ment en perte de vitesse aujourd’hui. Aus­si, bon nombre d’institutions euro­péennes sont repré­sen­tées à Bruxelles. Ce n’est pas par pur hasard, c’est un fait avé­ré. Donc si on estime que la Bel­gique est, comme disent les anglo­phones, un « fai­led state », un Etat défaillant, c’est le meilleur Etat défaillant du monde !

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