Le mouvement flamand, dont fait partie le Vlams Belang (VB), menace-t-il réellement la démocratie ?
Oui, le VB menace certainement la démocratie. Mais attention il faut être mesuré. Il y a plusieurs pans à analyser. D’un côté, il y a le mouvement flamand qui s’est largement institutionnalisé dans le cadre de la Belgique fédérale – tout comme le mouvement wallon d’ailleurs. Notons que cela a considérablement réduit la portée de ces deux mouvements en tant que mouvements sociaux. Et puis, il y a le mouvement nationaliste flamand qui lui a été presque complètement absorbé par deux partis politiques : la N‑VA et le VB. Le rêve, le programme maximaliste de ces deux partis, c’est l’émergence d’une République flamande et donc que la Flandre fasse scission de la Belgique. Un projet tout à fait irréaliste et irréalisable dans le contexte contemporain belge et international.
Pourquoi cette République flamande est-elle une perspective utopique ?
D’abord parce que la plupart des Flamand·es n’en veulent pas. Et ensuite parce que les nationalistes n’ont pas de solution pour Bruxelles qui est une entité à part entière, ni flamande ni wallonne. Les Bruxellois·es ne veulent pas devenir membres d’une République flamande. Ils et elles ne parlent pas le flamand pour la plupart (il n’y a que 15% de néerlandophones en région de Bruxelles-Capitale). Sans compter la présence des institutions européennes et internationales à Bruxelles qui complexifie la chose.
Et puis, parce que l’Europe n’en veut pas. On l’a vu en 2017 avec le cas catalan. La Catalogne est une région relativement riche dont une majorité politique très étroite pensait pouvoir faire scission d’un Etat-membre de l’UE. Mais personne en Europe n’était disposé à autoriser la reconnaissance d’une Catalogne indépendante car ç’aurait été ouvrir la boîte de Pandore partout en Europe. D’autre part, pourquoi l’Europe accepterait-elle cette scission et ce faisant, punirait-elle l’Espagne, quatrième puissance économique de l’UE et pays qui fonctionne en harmonie avec les autres Etats membres ?
La N‑VA semble s’être rendu compte de toutes ces limites à son utopie séparatiste et – sans changer son objectif maximaliste – s’est orientée vers une stratégie d’emprise plus forte sur la Belgique en vue de renforcer la Flandre et d’avancer vers la direction d’un confédéralisme. Le VB persiste mais comprend lui aussi que ce cri pour une Flandre indépendante n’intéresse pas son électorat. C’est pourquoi le VB mise également sur une autre de ses obsessions, la question de l’immigration, et sur des discours racistes. Ceci dit, au sein du nationalisme flamand, N‑VA et VB restent deux organisations issues de la même famille qui partent des mêmes racines, mais la tactique ou la stratégie de la N‑VA a bien changé.
Comment se traduit cette stratégie de la N‑VA d’augmenter l’emprise du mouvement flamand sur l’Etat belge pour l’affaiblir ?
La N‑VA a aujourd’hui la compétence du ministère de la Défense. Elle a le 16 rue de la Loi. A première vue, c’est ridicule, non ? Prenons l’exemple d’un pays comme l’Espagne. Peut-on imaginer que les catalanistes participent au gouvernement central à Madrid sous prétexte de mettre le budget espagnol en équilibre ? Peut-on s’imaginer qu’en tant que sécessionniste, on renforce l’armée de l’Etat que l’on veut détruire ? Or, c’est quand même ce que prône Théo Francken, ministre N‑VA de la Défense. C’est quand même ce que tente Bart de Wever, premier ministre N‑VA, lui qui voulait déchirer la Belgique et qui est maintenant en train de tenter de la sauver. Enfin, la sauver à la manière néolibérale conservatrice, en cassant les acquis et le tissu social. Mais, selon sa rhétorique, il la sauve, cette Belgique si détestée ! C’est surréaliste ! On pourrait presque penser qu’ils essayent de contrôler l’Etat belge pour travailler à sa décomposition afin de faire comprendre à la Wallonie qu’il vaudrait mieux qu’ils s’éloignent ou se séparent.
Est-ce que la N‑VA joue le rôle de « facilitatrice » en essayant de normaliser la vision et l’idéologie du VB dans le champ politique flamand ?
Oui, tout à fait. D’abord, parce leur électorat fonctionne par vases communicants et qu’ls tentent tous deux de le séduire. Et ensuite, parce qu’historiquement, ils sont issus de la même famille, le nationalisme flamand de droite qui a pour héritage la mémoire de la Deuxième guerre mondiale. Ils partagent notamment l’idée que la collaboration flamande avec les nazis a été trop punie à l’issue de la guerre.
Cette normalisation des idées et discours du VB n’est pas uniquement le fait de la N‑VA. Elle remonte à beaucoup plus loin. En 1992, le Vlaams Blok, publie son « 70-puntenplan » visant à « résoudre le problème de l’immigration ». Tout le monde à l’époque s’en est offusqué et trouvait cette liste de 70 mesures abjecte et inhumaine.
Mais, si on relit aujourd’hui ces 70 points, on s’aperçoit qu’ils sont à présent discutés et débattus tout à fait normalement dans le champ politique flamand… et même belge. Certains de ces points – notamment celui qui prônait d’« enfermer des mineurs d’âge avec leurs parents dans des centres fermés » — ont ainsi été appliqués par des gouvernements ne comptant aucun membre d’extrême droite ou de la N‑VA.
C’est aussi cela la normalisation. Un peu partout en Europe s’opère une convergence idéologique et discursive entre l’extrême droite et la droite. Et dans le même temps, une acceptation et même une reprise de propos, idées et proposition de ce pôle de droite par ce qu’on nomme le « centre » politique. C’est entre autres la raison pour laquelle le combat contre l’extrême droite ne peut jamais être un combat pour la défense du statu quo. Il faut la remobilisation d’une gauche large, crédible, et enracinée pour un changement de cap… dans le bon sens.
Et comment a évolué le mouvement flamand ou flamingant à un niveau plus culturel ?
Pour ce qui reste du mouvement flamand proprement dit, c’est-à-dire en tant que mouvement social et associatif, il ne compte plus beaucoup. Même Bart de Wever en parle avec beaucoup de mépris et considère qu’il ne sert plus à rien. Mais on peut cependant constater que les appareils du VB et de la N‑VA ont absorbé tout ce qui était mouvement associatif, tout ce qui était mouvement militant et collectif hors de ces partis
Comment dès lors envisager le futur de notre pays, souvent qualifié d’Etat failli ?
En Flandre, personne ne souhaite revenir sur le fait que la Belgique n’est plus un Etat unitaire et qu’elle est devenue un Etat fédéral. N’oublions pas qu’historiquement au sein du mouvement flamand, il y avait aussi l’idée de se réunir avec la Hollande. Cette idée existait au tout début de la Belgique (le mouvement « orangiste »), puis s’est éteinte. Elle est réapparue comme étant le rêve des nationalistes flamands à un moment donné mais c’est aujourd’hui une idée risible. Aucun Hollandais ne souhaite intégrer la Flandre ! C’est un peu la même histoire que celle des « rattachistes » du mouvement wallon qui voudraient voir la Wallonie annexée à la France.
La Belgique s’est bien constituée comme un Etat indépendant. Elle est aussi un des pays pionniers de l’unification européenne, à partir de l’expérience du Benelux. Cette position, lui a toujours conféré un rôle hors proportion par rapport à sa taille, même s’il est sensiblement en perte de vitesse aujourd’hui. Aussi, bon nombre d’institutions européennes sont représentées à Bruxelles. Ce n’est pas par pur hasard, c’est un fait avéré. Donc si on estime que la Belgique est, comme disent les anglophones, un « failed state », un Etat défaillant, c’est le meilleur Etat défaillant du monde !
