Les droits culturels sont une catégorie de droits — ou plus exactement un ensemble de droits – qui reste relativement nébuleux. Le libellé « droits culturels » n’est invoqué dans les instruments de protection des droits fondamentaux qu’à une reprise, dans le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce Pacte, dans son article 15, cite le droit de participer à la vie culturelle, le droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications, le droit de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique et la liberté scientifique et culturelle. Cela étant dit, la littérature n’hésite pas, parfois, à qualifier d’autres droits de « droits culturels » comme les droits linguistiques, le droit à l’éducation ou la liberté de culte. Enfin, le débat s’est porté aujourd’hui sur la question de l’existence, très controversée, d’un « droit à l’identité culturelle ».
La notion de droits culturels est donc floue et sujette à débat (Voir C. ROMAINVILLE, Le droit à la culture, une réalité juridique, Thèse défendue le 31 mai 2011 pour l’obtention du titre de docteur en droit, à paraître). Toutefois, en ce qui concerne le droit de participer à la vie culturelle, qui intéresse au premier plan les politiques culturelles, certains éléments de définition peuvent être identifiés. Ainsi, en combinant les textes internationaux relatifs au droit de participer à la vie culturelle (Article 15 du Pacte international relative aux droits économiques, sociaux et culturels, Article 27 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme) et la Constitution belge, on peut construire une définition de ce droit comme impliquant
1) le droit à la liberté artistique (le droit de créer, de diffuser sans entraves ses créations et d’avoir accès aux médias de diffusion)
2) le droit au maintien, à la sauvegarde et à la promotion de la diversité culturelle ;
3) le droit d’accès à la diversité de la vie culturelle (droit d’avoir/de recevoir les moyens de dépasser les obstacles physiques, financiers, géographiques, temporels qui s’oppose à l’accès à la culture mais aussi d’accéder aux « clés », « références culturelles », permettant de dépasser/renverser les obstacles psychologiques, symboliques, éducatifs, linguistiques ou liés au manque de « capital culturel » et de « besoin/désir de culture »)
4) le droit de participer à la vie culturelle (au sens strict) : droit de prendre part activement à la diversité des vies culturelles, de recevoir les moyens concrets de s’exprimer sous une forme artistique et créative et d’accéder aux « clés » et « références culturelles » permettant de s’exprimer de manière critique et créative
5) le droit au libre choix : le droit de participer ou non à la culture, d’être en mesure de choisir les vies culturelles auxquelles on veut participer
6) le droit de participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques culturelles et des décisions concrètes concernant le droit de participer à la vie culturelle
7) le droit à la non-discrimination dans l’exercice du droit de participer à la vie culturelle
En ce qui concerne l’objet de ce droit, il ne se cantonne désormais plus à la « haute culture » mais s’étend à la diversité des vies culturelles, c’est-à-dire à la diversité des œuvres, des méthodes, des lieux et des pratiques qui expriment, de manière critique et créative, ou sous la forme d’un héritage à transmettre, le travail sur le sens opéré par la culture entendue au sens large du terme. Ce droit intègre, en tant que dimension particulière et en tant qu’enjeux, la protection et la promotion des identités culturelles. Toutefois, jusqu’ici, ces dernières ne constituent pas l’objet de ce droit (Y‑M. DONDERS, Towards a right to cultural identity, School of Human Rights Research Series, Intersentia/Hart, Antwerp/Oxford/New York , 2002). Il est donc possible de définir le droit de participer à la vie culturelle par rapport à la diversité des œuvres, des méthodes, des lieux et des pratiques.
LES DROITS CULTURELS ET LES POLITIQUES CULTURELLES
Les États et toutes les autorités publiques ont l’obligation de respecter le droit de participer à la vie culturelle (ne pas s’ingérer dans l’exercice de ce droit ou établir des discriminations dans cet exercice), de protéger les particuliers contre les atteintes qui pourraient être portées à l’exercice de ce droit par d’autres particuliers et enfin de réaliser ce droit par des mesures concrètes, positives et effectives. Autrement dit, les législateurs belges et les autorités publiques ont l’obligation d’agir pour réaliser ce droit. Cette obligation d’agir reste toutefois ouverte et les autorités publiques conservent, au nom de la démocratie, une marge de manœuvre importante dans la réalisation des droits humains (moins dans leur respect) : les autorités publiques et les parties prenantes peuvent – et doivent – décider de l’orientation des politiques amenées à réaliser ces droits et de leur contenu.
La relation entre droits culturels et politiques culturelles n’est pas fixée, établie, déterminée une bonne fois pour toutes. Il y a certes des interdictions formelles posées par le droit des droits fondamentaux (établir des discriminations dans l’exercice du droit de participer à la vie culturelle en est un exemple). Mais, pour les obligations de protéger et de réaliser, il revient au débat démocratique et aux autorités publiques de définir plus précisément les droits culturels et le droit de participer à la vie culturelle (en adaptant par exemple les politiques de démocratisation de la culture à l’environnement numérique ou aux changements des pratiques culturelles diagnostiquées sur le territoire). Il revient également aux autorités publiques de concilier le conflit et la tension inhérente aux droits culturels entre liberté (de créer, de choisir) et égalité (d’accéder, de participer, notamment au regard des certains groupes particuliers) en relançant le débat et en redéfinissant les relations entre droit d’auteur et politiques culturelles, par exemple. Il revient enfin aux participants au débat démocratique la tâche de définir les moyens des actions publiques de protection et de réalisation du droit de participer à la vie culturelle et de justifier les « saupoudrages » ou les priorités établies. Enfin, le dernier rôle qui incombe, en vertu des droits culturels, aux politiques est celui d’évaluer, au regard du droit de participer à la vie culturelle, notamment, leurs politiques, afin de réorienter les actions qui mènent à des impasses ou des incohérences ou de redonner du souffle à d’autres actions.
Définir le droit de participer à la vie culturelle et les droits culturels et leur assurer une effectivité réelle est une mission qui n’incombe donc pas seulement aux chercheurs en droit ou aux juges. Cette mission appelle, surtout, de vigoureux débats démocratiques menés dans les enceintes où se définissent et se mettent en œuvre légitimement les politiques culturelles (Parlement et Gouvernement de la Communauté française, pouvoirs locaux, milieu associatif subventionné, etc.). Bien sûr les juges ont un rôle important de ce débat démocratique et pour garantir l’effectivité de ce droit. Mais il ne faut pas négliger l’importance des acteurs qui façonnent les politiques culturelles et qui doivent assurer le respect, la protection et la réalisation de ces droits, la conciliation du conflit entre liberté et égalité, l’adaptation des politiques et des droits aux changements de la réalité culturelle et sociale et enfin l’évaluation des actions menées.