Un docu au cœur d’une révolution citoyenne et poétique

La réa­li­sa­trice fran­co-tuni­sienne Hind Med­deb avait déjà docu­men­té dans Elec­tro Chaâ­bi et Tuni­sia clash les révo­lu­tions dites du « Prin­temps arabe » d’Égypte et de Tuni­sie. Dési­reuse de se pen­cher sur l’histoire sou­da­naise en marche, elle se rend à Khar­toum en 2019 pour fil­mer la révo­lu­tion popu­laire qui s’y déroule alors. Un mou­ve­ment qui vient de ren­ver­ser l’autocratie mili­taire d’Omar El-Béchir. Un peuple en liesse qui savoure et fête sa vic­toire et son audace. Une jeu­nesse pleine d’espoirs qui tente avec fer­veur de main­te­nir la pres­sion pour que le pou­voir ne retourne pas aux mains des mili­taires. Hind Med­deb filme en immer­sion l’incroyable et puis­sant sit-in mis en place autour du siège de l’armée pour exi­ger le chan­ge­ment de régime pro­mis à l’issue de la « Marche du mil­lion », quand des cen­taines de mil­liers de Soudanais·es avaient conver­gé vers la capi­tale et réus­si à faire tom­ber une dic­ta­ture vieille de 30 ans.

DÉCOUVRIR LE SOUDAN ET SA RÉVOLUTION VOLÉE

Ce docu aux folles scènes de lutte nous place au cœur de l’action de ce mou­ve­ment popu­laire et fémi­niste. Ce long-métrage de 76 minutes pos­sède au moins trois qua­li­tés qui le rendent unique et nécessaire.

D’abord, il donne à voir des images que nous sommes peu habitué·es à voir puisque tant la révo­lu­tion que la guerre civile sou­da­naise sont sous-docu­men­tées. Sou­dan, sou­viens-toi donne ain­si accès à ce pays mys­tère et met à l’écran les per­son­nages com­plexes qui le peuplent, dis­cu­tant poli­tique dans des cafés clan­des­tins et pre­nant la rue. On y voit la belle Khar­toum en ébul­li­tion, dans ce moment magique de flot­te­ment où tout semble pos­sible, mal­heu­reu­se­ment enva­hie par les pickups des forces réac­tion­naires. Puis par les défenses anti­aé­riennes, lorsque les ambi­tions de dif­fé­rents géné­raux dégé­nè­re­ront en guerre civile.

Ensuite, le film per­met de sai­sir, depuis le point de vue popu­laire, ce qui s’est pas­sé ces der­nières années : la libé­ra­tion d’un peuple après des décen­nies d’une dic­ta­ture mili­taire étouf­fante. Un peuple orga­ni­sé, réso­lu à dépas­ser les bar­rières eth­niques, les tra­di­tions étouf­fantes et deman­dant tout sim­ple­ment l’État de droit et des ser­vices publics effi­caces au ser­vice de tous·tes. Une lutte déter­mi­née où les femmes sont à l’avant-garde. Avant que le rêve de démo­cra­tie vienne se fra­cas­ser sur un nou­veau coup d’État militaire.

Enfin, le docu­men­taire rend compte des puis­sants outils de la rue en lutte sou­da­naise qui devraient ins­pi­rer le monde entier tant ils sont enthou­sias­mants. L’usage poli­tique omni­pré­sent de la poé­sie, du slam, du chant, per­met­tant autant de dif­fu­ser une cri­tique poli­tique que de gal­va­ni­ser les manifestant·es paci­fiques sur qui on tire à balles réelles. L’adjectif « joyeux » sou­vent acco­lé aux luttes actuelles est ici loin d’être un man­tra mais bien une réa­li­té fac­tuelle exaltante.

CULTIVER UN MOMENT RÉVOLUTIONNAIRE

Le docu s’achève juste après le coup d’État de 2021 qui voit les mili­taires reprendre la main par la force. Depuis une guerre civile meur­trière (150 000 morts, 20 mil­lions de per­sonnes frap­pées par la famine, 13 mil­lions de déplacé·es), une capi­tale dépeu­plée, et une jeu­nesse au rêve bri­sée pous­sée à l’exil, dans une indif­fé­rence qua­si mondiale.

Tout au long de Sou­dans sou­viens-toi, la fer­veur popu­laire du moment révo­lu­tion­naire à l’écran fait face à l’inéluctable que nous savons : l’imminence du coup d’État. Mais si le récit est tra­gique et tout en ten­sion, le docu n’est pas déses­pé­rant, au contraire. Comme son titre l’indique, Sou­dan, sou­viens-toi est bien une invi­ta­tion à se rap­pe­ler que cette force mili­tante joyeuse et ce pro­fond désir de liber­té ont exis­té. Que ces sacri­fices n’ont pas été faits en vain. Et qu’un jour, la révo­lu­tion volée sera reprise.